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Guéant : les civilisations, ou la Civilisation ?
Partisan N°255 - Avril 2012
Voilà Guéant, ministre de l’intérieur, qui fait encore parler de lui avec une déclaration concernant les mérites comparés des « civilisations ». Normal, c’est son boulot de chien de garde, de rabatteur des idées les plus réactionnaires au service de Nicolas Sarkozy. Le message était clair : nous valons mieux que tous ces sous-développés qui battent leurs femmes. Une civilisation, d’après le Petit Larousse, c’est un « ensemble cohérent de société et de culture ». Voilà qui est assez flou. Certes, les sociétés du monde se différencient selon de grands ensembles caractérisés par des traits sociaux, religieux, culturels, économiques particuliers. Certains de ces grands ensembles sont restés isolés pendant de longues périodes (par exemple les sociétés amérindiennes), alors que d’autres, bien que nettement différenciées, sont en relations depuis des milliers d’années, par exemple l’Europe occidentale, la Chine et l’Inde.
Une seule Histoire humaine
Mais il existe avant tout une civilisation humaine unique, et non plusieurs. Il faut être conscient que toutes ses sociétés ne se sont pas construites les unes parallèlement aux autres, ni à fortiori en opposition les uns aux autres, mais avant tout par échange mutuel. Les innovations technologiques, depuis la maîtrise du feu et la taille de la pierre jusqu’à l’informatique, sont apparues dans certaines régions du monde avant de se diffuser. L’agriculture et l’écriture se sont d’abord développées au Moyen-Orient. La céramique moderne, en Chine. L’imprimerie, en Europe occidentale. Et ensuite, toutes ces techniques ont été adoptées à peu près partout ailleurs. Une innovation apparaît quelque part non du fait que les hommes qui la découvrent seraient intelligents ou plus ouverts d’esprits que les autres, mais parce que des conditions particulières à tel endroit ont encouragé ces découvertes. Ce qui prouve que tous les hommes peuvent au final être aussi dégourdis les uns que les autres, c’est que l’archéologie a montré que lorsqu’une innovation tarde à se diffuser, elle finit quand même par apparaître toute seule dans un région si les conditions s’y prêtent : c’est le cas de l’agriculture, qui a finit par apparaître chez les Indiens d’Amérique, certes plus tard qu’en Europe et en Asie, mais a fini par apparaître quand même.
Ce que nous dit le matérialisme historique
C’est également le cas pour les principes philosophiques et les comportements sociaux. Si les idées de liberté individuelle, de démocratie, de laïcité, etc. se sont plus développés dans certains pays que dans d’autres, c’est du fait des conditions historiques ; en Europe occidentale, c’est l’émergence depuis plusieurs siècles d’une classe sociale, la bourgeoisie, qui avait intérêt à porter ces idées pour prendre le pouvoir. Si la bourgeoisie a d’abord émergé en Europe occidentale, c’est du fait des caractéristiques du développement économique, donc de phénomènes indépendants de la volonté des hommes et de leur ouverture d’esprit : voilà ce que nous dit le matérialisme historique.
Toutes les cultures ont des éléments positifs et négatifs
Mais sur d’autres plans, certaines sociétés moins développées économiquement portent des valeurs plus positives, comme un souci plus grand pour le bien-être collectif, un droit de regard collectif reconnu sur l’éducation des enfants ou l’attention à porter aux personnes âgées... Alors que le capitalisme est la société individualiste par excellence ! Lorsque les premiers Européens ont débarqués en Amérique, ils ont souvent été ébahi par l’accueil amical qui leur était fait, ou par le sens du partage qui régnait dans les sociétés amérindiennes. De là est venu le mythe du « bon sauvage » de Denis Diderot : de la fascination des Européens pour des sociétés plus progressistes sur certains points, alors qu’ils s’estimaient les hommes les plus civilisés de leur époque. Toute société est dialectique, et sa culture est faite à la fois d’éléments positifs et d’éléments négatifs. Ainsi, avec le développement économique et social qu’elles ont connu, les sociétés capitalistes développées possèdent d’immenses moyens techniques et intellectuels, plus que jamais dans l’Histoire de l’Humanité.
C’est vrai, nos sociétés ont à leur disposition le plus de moyens qui peuvent objectivement servir l’émancipation collective et individuelle de l’être humain. Ce n’est pas un hasard si c’est en Europe occidentale que sont nées les idéologies les plus progressistes, comme le Marxisme.
Mais tout ces moyens sont également au service des réactionnaires : ce n’est pas un hasard non plus si les idéologies les plus réactionnaires des temps modernes, comme le Nazisme, sont également nées chez nous !
Il n’y a pas de hiérarchie des civilisations
Concernant les sociétés arabes et musulmanes, les préjugés réactionnaires y sont, à l’heure actuelle, peut-être plus présents dans les masses qu’en France, par exemple. Mais d’abord, on le sait, le sexisme et le racisme sont encore bien répandus chez nous, même si c’est de façon plus « light » et plus honteuse. Ensuite, à une certaine époque du Moyen-Âge, les débats philosophiques étaient beaucoup plus avancés parmi les intellectuels arabes de Bagdad ou du Caire (qui avait récupérés une part de la philosophie grecque antique progressiste) qu’en Europe occidentale. Alors qu’en France, à la même époque, l’obscurantisme chrétien tournait à plein régime, et n’oublions pas que la critique de l’Église valait le bûcher assez facilement jusqu’au 18e siècle. Tout est question de développement social et économique des sociétés : à certaines époques, elles sont à l’avant-garde de la pensée et du progrès humain, alors qu’à d’autres, elle sont à la traîne. Mais aucune n’est, de manière innée, la meilleure de toutes et pour toujours.
Pour une culture révolutionnaire et progressiste
Les différentes sociétés humaines ont connu, historiquement, un développement technologique, culturel, philosophique, inégal : certaines ont été en avance sur certains points, mais en retard sur d’autres. Tout cela existant indépendamment de la volonté des hommes, puisque ce sont leurs conditions d’existence qui les déterminent. En tout cas, il n’existe pas de hiérarchie entre civilisations. Dans le monde occidental, le développement économique et intellectuel avancé n’est pas dû à une supériorité de nos ancêtres ; et ce que certaines sociétés plus arriérées peuvent nous envier ne doit pas nous faire oublier ce que nous pouvons avoir à leur envier. Si nous voulons une société égalitaire, fraternelle, libérée des préjugés, il faut construire une nouvelle culture unifiée ; sur la base des éléments les plus progressistes des différentes sociétés humaines, en n’hésitant pas à critiquer ce qui est critiquable aussi bien dans notre culture que dans celle des autres. Il s’agit d’élaborer une culture progressiste commune des opprimés et des exploités, qui doit ensuite devenir la culture commune de l’Humanité débarrassée des oppositions de classe.
Axel
