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Hakim, "la Justice" et l’Etat

Partisan N°258 - été 2012

En mai 2008, suite à une altercation entre un employé de banque et un client, Hakim Ajimi, la BAC de la ville de Grasse, appelée par l’établissement, a brutalement interpellé ce dernier.

Alors qu’il était sorti de la banque, ils l’ont menotté dans le dos, et comme il opposait de la résistance contre cette violence hors propos, les policiers l’ont couché au sol et l’ont immobilisé : pendant qu’un flic lui infligeait une clé de bras au cou, un autre appuyait de tout son poids sur son thorax. Les textes européens, dans un macabre calcul, ont établi qu’après une durée de six secondes, une telle clé d’étranglement était mortelle. D’après tous les témoignages, M. Ajimi a été maintenu immobilisé de cette façon pendant plusieurs minutes. Ils ont ensuite jeté son corps inerte dans une fourgon et l’ont emmené jusqu’au commissariat où ils ont été obligés de constater sa mort.

Ils ont évidemment tenté de maquiller ce meurtre, mais c’était quasiment impossible : contrairement à l’habitude, la scène, hélas coutumière, ne s’était pas déroulée à l’abri des regards dans un de leurs véhicules, ni dans un commissariat, mais en pleine rue, devant une bonne dizaine de témoins.

Immédiatement, la famille a porté plainte. Pendant 4 ans, elle n’a pas lâché le combat… Au bout de 4 ans, les flics incriminés étaient assignés en correctionnelle. Durant le procès, le procureur a insisté sur la culpabilité évidente des flics, en reprenant le qualificatif d’inhumain employé dans le rapport de la CNDS. De quoi bercer les proches de Hakim dans l’illusion d’une justice indépendante et bien distincte de la police. Cela n’aura pas plus duré que le temps d’un réquisitoire puisque le représentant du Parquet a fini par demander des peines exemplaires de 18 mois à 1 an de prison avec sursis. Comprenant alors que l’on s’était moqué d’eux, la famille et les proches ont déclaré : « Nous quittons le tribunal et vous laissons entre vous ». Ils ont rédigé un tract qu’ils ont distribué dans la ville.

Porter plainte contre la police, c’est bien entendu faire confiance à la justice : c’est croire qu’elle est distincte de la police alors quelle a toujours montré qu’elle n’est qu’une autre branche du même système répressif. Mais ce qui important, ce n’est pas forcément d’en être idéologiquement persuadé, c’est surtout d’en faire la vérification concrète. Ce qui permet de se dégager de cette logique de justice, c’est de ne pas s’enfermer, de rencontrer d’autres familles qui ont connu, vécu le même genre d’événement malheureux. Et là, dans la construction d’un rapport de force, le refus d’accepter ces actes prend un autre sens : les familles qui sont confrontées au malheur d’avoir perdu un enfant, un frère dans un commissariat ou dans un mitard, n’ont jamais eu affaire à la justice dans beaucoup de cas. C’est au travers de confrontations avec d’autres expériences, de solidarité, qu’elles parviennent à sortir de la vision étatique. C’est exactement ce qui s’est produit à Grasse.

D’après L’Envolée, journal critique du système carcéral, 43 rue de Stalingrad, 93100 Montreuil.

P.S. Le père de la victime, Boubaker Ajimi a déclaré : « Ils vont pouvoir continuer à travailler (comme avant). Il y a une justice à deux vitesses : une justice première classe et une justice deuxième classe, c’est pas normal ».

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