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La Gauche et les sans papiers
Partisan N°258 - été 2012
1981 : ENTRE RÉGULARISATION LARGE ET CONSTRUCTION DES CRA.
Les vieux militants rappellent aujourd’hui avec émotion les régularisations faites après l’élection de Mitterrand en 1981. 110 000 titres pour 130 000 demandes. Tous ont cependant oublié comment cela s’est vraiment passé. La régularisation n’était même pas dans le programme de Mitterrand. Quand la circulaire est publiée, elle conditionne la délivrance d’un titre de séjour à la présentation d’un contrat de travail. Déjà les réflexes de DRH. L’ouverture va créer un afflux massif de dépôts de dossiers. Son administration étant complètement débordée, le nouveau gouvernement fait le choix d’une régularisation massive avec des critères très allégés, et, fair play, détruit les fiches des refusés. Mais, une fois passé cet épisode, le gouvernement applique les lois répressives de la droite. Il se donne même les moyens d’une répression aggravée en construisant une dizaine de centres de rétention administratifs (CRA). Le PS avait pourtant dénoncé celui d’Arenc, dans le port de Marseille, avant 1981.
Il durcit aussi la loi en accélérant les procédures d’expulsion et en restreignant le regroupement familial. C’est de cette époque (1984) que date l’obligation d’un logement adapté. De droit revendiqué, le logement décent devenait imposé à l’immigré désireux de faire venir sa famille. Quant à la pratique du charter, elle est inaugurée non par Pasqua (avec le charter des 101 Maliens), mais en 1985 par Joxe, ministre PS de l’Intérieur.
1997 : RÉGULARISATION LIMITÉE ET AUGMENTATION DES EXPULSIONS.
Le gouvernement Jospin arrive dans un contexte de lutte des sans-papiers contre les lois Pasqua. La petite-bourgeoisie est aussi mobilisée massivement contre le certificat d’hébergement qu’impose la loi Debré, avec l’obligation de délation en cas de maintien en France de l’hébergé. La nouvelle loi abrogera cette disposition.
La circulaire Chevènement inaugure une régularisation limitée ciblant les parents et ceux en France depuis plus de 7 ans. 80 000 sur 170 000 demandes. Prudents, beaucoup de sans-papiers ne déposent pas de demande. Les refusés écopent d’un arrêté de reconduite à la frontière.
Passé cette période, fini de rire, les circulaires activent les préfets pour alimenter la machine à expulser. La loi Chevènement, censée remplacer la loi Pasqua-Debré, facilite en fait l’expulsion (allongement de la rétention) et rend plus difficile la régularisation. Le combat contre les collectifs de sans-papiers reprend. Le gouvernement de la gauche plurielle aura ainsi à son actif, en 1998, l’expulsion de plusieurs sans-papiers ayant occupé deux églises dans Paris.
2012 : Du toilettage des lois de droite à la pratique du tout répressif ?
De ses différents passages au gouvernement, on peut repérer des analogies dans la politique du PS. Dans la période qui précède le retour aux affaires, il relaie mollement le mouvement social. Il se fend de quelques déclarations démocratiques ou humanistes. Avant 1981, c’était contre la rétention administrative. Avant 1997, c’était contre l’obligation du certificat d’hébergement. Ces dernières années, ce fut contre l’enfermement des enfants. Une fois au gouvernement, il corrige quelques aspects des lois, en enlève des incohérences, supprime les aspects les plus détestés mais en durcit d’autres. Les correctifs faits, il applique les lois précédentes ainsi ajustées et rebaptisées. En termes de régularisation, il assouplit les conditions et régularise un peu plus que ce qu’il voulait. Cela dépend beaucoup de l’énergie des sans-papiers eux-mêmes. Après une baisse des expulsions suite aux dépôts de dossier, elles reprennent de plus belle avec un ministre de la police à la manoeuvre pour faire monter les chiffres.
ET LES ALLIÉS ?
On a pu constater qu’ils se sentaient plus concernés par ce qui arrive aux salaires, aux retraites, à la fonction publique, que par les problèmes des sans-papiers. On peut résumer ainsi leur attitude après1997 : 1/ Aller à la soupe lors de la répartition des ministères. 2/ Neutraliser les mobilisations par l’intermédiaire de leurs militants à la base. 3/ Détourner pudiquement le regard quand les mesures répressives surviennent.
Lors du vote de la loi Chevènement, les députés Verts s’étaient abstenus. Idem pour ceux du PCF, sauf un vote contre. Le PCF continuait de réclamer « Des papiers pour tous », mais Robert Hue, le dirigeant de l’époque, s’était démarqué opportunément de la revendication.
QUEL ENJEU ?
L’enjeu de rappeler le passé est de combattre les illusions qui traînent autour de nous. Parmi les sans-papiers tout particulièrement. Aujourd’hui fleurissent les demandes de moratoires sur les expulsions et des sollicitations polies pour que les sans-papiers soient traités dignement. Certains, comme la direction de la CGT, se mettent même dans la peau du gouvernement et lui expliquent ce qu’il doit faire.
Notre travail doit être au contraire d’expliquer à chaque mesure scélérate en quoi ce gouvernement révèle sa vraie nature. Il faut préparer les camarades aux conflits à venir. Ce qui sera décisif, quand la période d’attente sera dépassée, ce sera le nombre de sans-papiers menant la bataille, leur conscience, leur détermination, et le soutien des autres travailleurs dans ce combat. C’est à tout cela que nous travaillons.
Correspondant VP
