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Mexique : une guerre de terreur

Partisan N°258 - été 2012

Le Mexique vit une guerre qui ne dit pas son nom. Guerre au narcotrafic, mais les femmes et le peuple sont en première ligne. Les 7 et 8 mars 2012, a eu lieu au Chiapas la première pré-audience du Chapitre mexicain du Tribunal permanent des peuples (TPP) [1] sur les féminicides et les violences masculines.

La « guerre » aux narco-trafiquants

En décembre 2006, le président Calderón, récemment élu, déclarait la « guerre » au narcotrafic, lançant dans les rues l’armée et la marine, pour remplacer la police, impuissante et corrompue. Cinq ans après, le bilan est dramatique. La guerre a déjà fait 60 000 mort-es, entre présumé-es délinquant-es, sicaires, policier-es, soldat-es, marines et civil-es, dont de nombreuses personnes impliquées dans la défense des droits humains [2], et en particulier des femmes activistes. Les cartels se sont multipliés et renforcés, notamment les Zetas, initialement un groupe d’élite de l’armée destiné à combattre le narcotrafic et qui désormais gangrène la police, l’armée, la justice et le monde politique. Chaque jour, les journaux montrent des cadavres ensanglantés, brûlés, décapités, pendus sous les ponts, tandis qu’une véritable culture « narco », incluant un nouveau culte à la Santa Muerte, se répand dans la société.

Misére sociale

De fait, il existe au Mexique au moins 7 millions de jeunes entre 15 et 29 ans, dont 38 % de femmes, baptisé-es « ni-ni », qui n’ont accès ni au travail, ni aux études (OCDE 2011). Tenter de quitter le pays pour chercher un avenir ailleurs, c’est s’exposer sur le chemin à toutes sortes de violences, extorsion, viols, et peut-être bien la mort – le Mexique est pourtant le deuxième expulseur de main-d’œuvre au monde. S’engager dans le narcotrafic peut alors paraître une option plus raisonnable que le secteur informel, le mariage, le travail du sexe ou l’entrée dans la police ou l’armée. Dans tout le pays et surtout dans les campagnes, la misère s’est développée massivement, aggravée par les mesures néolibérales, frappant en premier lieu les femmes. Devant la chute libre des prix agricoles (fin du protectionnisme oblige), de plus en plus d’Indiennes en sont réduites à produire en série de l’artisanat à la pièce, chez elles, et à s’endetter pour acheter du sel et du sucre – quand elles ne sont pas obligées de partir chercher du travail au Nord, voire à vendre leurs filles [3]…

Le Tribunal permanent des peuples.

Pendant deux jours, dans le Théâtre de la ville, plus de 200 femmes et quelques hommes ont écouté 8 cas particulièrement marquants, regroupés autour de quatre axes : féminicides et contre-insurrection, violations de procédure, violence sexuelle et domestique, et enfin violence structurelle. Les femmes ont témoigné en tzeltal, en tzotzil et en espagnol, les unes à visage découvert, d’autres derrière un écran. Dénoncer les violences, sexuelles notamment, est toujours très difficile et douloureux. Ici, les femmes ont montré une double dose de courage, car beaucoup ont été menacées par leurs violeurs, les assassins qu’elles dénoncent, la police ou les militaires. La peur revenait comme un leitmotiv, tout comme l’arbitraire et l’impunité des hommes, des riches, des métis, des fonctionnaires publics, des juges, des forces armées, des gardiens de prison. ..

Le Mexique laboratoire

Alors que dans d’autres régions du monde, les puissances occidentales qui imposent le néolibéralisme pratiquent la guerre ouverte d’occupation, la stratégie pour l’Amérique latine et les Caraïbes semble bien être de promouvoir la militarisation, paramilitarisation et narcomilitarisation. En d’autres termes, le continent fait lui aussi l’objet d’une guerre, mais d’une guerre qui ne dit pas vraiment son nom, essentiellement dirigée contre la population civile, pour briser sa résistance politique, l’obliger à travailler toujours plus sans protester, et/ou à quitter les lieux. Vu sa position géostratégique, le Mexique a le douteux privilège d’être le « laboratoire » par excellence de cette stratégie.

Changer le monde

Aujourd’hui, dans un Mexique que les politiques néolibérales ont mis à feu et à sang, au-delà de la peur, des souffrances et de l’arbitraire, des femmes et des féministes relèvent la tête contre l’impunité et exigent plus que jamais la justice. Leur courage, leur détermination et leurs analyses arrivent à point nommé pour nous rappeler que la France aussi est bien placée parmi les pays où l’impunité des violences masculines s’étale au vu et au su de tout le monde. Tant que la France enverra des Strauss-Kahn à la tête des institutions financières internationales ou comme spécialistes de l’économie, le continuum de la violence masculino-néolibérale aura des beaux jours devant lui. Comme en 1994 avec le soulèvement zapatiste, aujourd’hui encore, les Mexicaines nous montrent la voie.

 

Extraits de « Femmes et féministes contre la violence masculine, néolibérale et guerrière », de Jules Falquet, 12 mai 2012 – intertitres de Partisan.

 

Notes

 

[1] Fondé en 1979 en Italie, le TPP est un organisme non-gouvernemental qui prolonge le Tribunal Russell sur le Vietnam (1966-1967) puis sur les dictatures latino-américaines (1974-1976).
[2] Selon l’hebdomadaire Zeta, de Tijuana.
[3] Témoignages TPP.