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Retraites : penser plus loin que le bout de son nez...

Partisan N°237 - Avril 2010

C’est le sujet brûlant qui va nous tomber dessus.
Le sommet social de la semaine prochaine va aborder la question avec Sarkozy, et on annonce une loi votée dès le mois de Juillet (évidemment, pendant les vacances, les mauvais coups...)

Avant de se lancer dans une bataille, il faut prendre le temps de réfléchir. Savoir ce qu’on défend, et pourquoi. Ne pas se lancer n’importe comment dans la lutte.
Et malheureusement, les prétendues évidences sur la retraite ne sont pas aussi claires qu’on le laisse entendre, y compris dans notre camp... Alors, réfléchissons un peu, et nous aurons bien sûr (on l’imagine sans mal !) l’occasion d’y revenir dans les semaines qui viennent.

Et d’abord, pour commencer, ça sort d’où la retraite ?
Et bien la première évidence, c’est que la retraite apparaît avec l’exploitation capitaliste, et même avec le stade impérialiste du capitalisme, celui où le capital envahit tous les domaines de la vie.
Pendant des siècles, on ne parlait pas de retraite, mais d’activité toute sa vie, et le parfait exemple encore vivant est celui du monde paysan.
Simplement, à partir d’un certain âge, du déclin des capacités physiques, les activités (productives et autres) allaient en réduisant jusqu’à la mort. Il y avait continuité dans la vie sociale, qu’il s’agisse du travail ou de toutes les autres activités.
La rupture de la retraite est apparue avec l’intensification du travail capitaliste, dela destruction physique et intellectuelle amenée par l’exploitation. Tout simplement, à partir d’un certain âge, la force de travail n’était plus assez efficace, performante, compétitive dans la guerre économique et la course aux profits, et il fallait se débarrasser des vieux.
D’ailleurs, dans un premier temps, on se débarrassait des vieux, mais la retraite n’existait pas encore. Les anciens se retrouvaient soit dans la misère pour mourir très vite, soit à la charge de leurs familles. Mais qui dit "charge", dit coût de reproduction de la force de travail, et donc problème pour les jeunes.
La retraite est donc apparue (vers 1910) comme la solution sociale et collective pour prendre en charge, par l’Etat, des exclus du système productif (comme des chômeurs, c’est exactement la même chose).

Mais sur le fond, la notion même de retraite, de coupure brutale avec le travail, est liée au capitalisme et à la manière dont il traite la force de travail : une source de plus value jetable quand elle n’est plus rentable. La retraite n’est un "progrès social" qu’au sens où elle atténue les effets de ce rejet.

L’accentuation du "problème" des anciens
"Problème", pour les exploiteurs, bien sûr.
Tout s’aggrave avec les restructurations, la crise, les licenciements. Avec la concurrence accentuée, l’intensification du travail s’accroît, les cadences augmentent, les rythmes de travail deviennent de plus en plus fous, le travail posté et de nuit se généralisent. Le corps et l’esprit se fatiguent beaucoup plus vite avec cette productivité qui augmente. A 55 ans, un ouvrier ne vaut plus rien, n’arrive plus à suivre. La force de travail s’use plus vite.
Alors, on le sortait de la chaîne, il y avait des emplois annexes, au magasinage, à la manutention, au gardiennage, à la maintenance. Mais là encore le talon de fer du capital est passé par là. Tout a été sous-traité, délocalisé, restructuré, ces postes ont disparu.
Ensuite, sont apparus dans les années 70 les FNE, la possibilité de partir en "pré-retraite" pour les ouvriers les plus âgés, 57 ans et 3 mois, 55 ans, moins parfois lors de luttes dures menées contre les licenciements.
La retraite, et l’avancée de son âge, ne sont que la manifestation de la crise capitaliste et de la multiplication des restructurations violentes, de l’intensification de l’exploitation. C’est parfaitement net dans les statistiques de l’INSEE, où l’on voit le taux d’activité des hommes de plus de 55 ans s’effondrer de 70% à 55% entre 1979 et 1983, précisément lors de la première vague de restructurations...
Toutes les velléités des bourgeois de prétendre allonger la durée du travail se heurtent à cette réalité incontournable, et c’est pour cela que ce n’est que l’apparence du débat.

Activité libre et activité contrainte
Sortons de cette vision. Essayons de réfléchir "autrement", d’imaginer le monde que nous voulons, de remettre à l’endroit nos idées, comme les camarades de Philips l’ont fait dans leur conflit sur l’emploi.
Au fond, si on réfléchit bien, on est contre l’idée même de la retraite. Si on doit imaginer un avenir, c’est celui des activités libres, toute la vie, "de chacun ses capacités". Activités qui comportent bien sûr le travail (activité productive), mais aussi toute l’activité citoyenne et sociale, l’épanouissement individuel. Activités qui tiennent compte des capacités techniques, physiques (âge), familiales de chacun.
De ce point de vue, avec cette vision du monde, il n’y a pas de retraite qui compte. L’activité se réduit alors progressivement au fil des ans, jusqu’à la mort, en fonction de la capacité de chacun, selon les contextes... Les capacités changent, il n’y a plus de rupture dans la vie sociale, et par exemple c’est la transmission de l’expérience et de la mémoire des anciens qui est mise au premier plan.
Cette "activité libre" s’oppose frontalement à l’activité contrainte matérialisée par l’exploitation. Exploitation qui détruit physiquement et intellectuellement, qui appauvrit et déssèche l’expérience de chacun(e), qui laisse de côté quand il n’y a pas besoin (chômeurs) et qui jette le citron quand il est pressé (retraite). Activité qui divise le travail et le pouvoir entre décideurs et exécutants, intellectuels et manuels, dirigeants et dirigés...


Mais alors, sur quoi se battre ?

Et oui, c’est vrai cela, si sur le fond on est contre la retraite, il faut laisser passer les mesures, ne rien faire ?
Evidemment, non. Simplement cela éclaire bien le contexte, et donc la manière de se battre. Car l’aspiration la plus immédiate et la plus forte des anciens, c’est de fuir le plus vite possible le monde de l’exploitation pour se reposer, tenter de profiter un peu du temps libre qui leur reste à vivre - temps libre qui d’ailleurs ne veut pas forcément dire activité libre, tant le capital sait se soumettre tous les volets de la société. Et nous savons que beaucoup d’anciens se retrouvent seuls à la retraite, et meurent sans plus aucune vie et utilité sociale.
Partir le plus vite possible, fuir l’exploitation, c’est légitime, c’est la situation actuelle que nous imposent nos exploiteurs... Et en plus, on n’est jamais en retraite pour le militantisme, voilà du temps libéré rendu vraiment utile !
Alors, partir, et dans quelles conditions ?

Faut-il parler années de cotisation ?
Par exemple, "retour aux 37,5 années de cotisations", enjeux de multiples discussions encore au Congrès ? Au risque de heurter certains lecteurs, nous disons NON. On n’a pas à rentrer dans un débat pourri, qui lie notre départ à l’exploitation... Et les sans-papiers ? Et ceux qui ont travaillé tard ? Et les mères de famille qui se sont arrêtées ? Ce n’est pas notre débat.
Le capital nous jette parce que notre force de travail n’est plus assez rentable ? Soit, mais alors, ce doit être quel que soit le nombre d’années cotisées. Ce n’est pas à chacun de justifier sa place dans la société, c’est à celle-ci de donner à chacun la possibilité de la servir ! On notera que la Confédération va également dans ce sens, et sur ce volet elle n’a pas complètement tort quand elle écrit : « Une carrière de salarié sera considérée comme complète dès lors qu’elle ne comportera, à compter de l’âge de dix-huit ans et jusqu’à l’âge de soixante ans, que des périodes de formation – validées par un diplôme ou une attestation en bonne et due forme – des périodes d’activité, c’est-à-dire d’exercice d’un travail salarié ou des périodes d’inactivité forcée : maladie, inaptitude temporaire au travail, invalidité, recherche d’un premier emploi, chômage indemnisé ou non, de courte ou de longue durée. » Au détail bien sur des "validations" et autres "bonne et due forme", qui excluent de fait bien des jeunes et moins jeunes...

A quel âge ? Est-ce une histoire de démographie, d’allongement de la durée de vie, d’emploi des seniors ou on ne sait quoi ? Pas du tout. Parce que quelle que soit la durée de la vie, l’intensification de l’exploitation empêche le maintien au travail des anciens. Alors, quoi défendre ?
Et bien, c’est le capitalisme qui nous répond.

L’espérance de vie d’un ouvrier est de cinq ans inférieure à celle d’un cadre, tout le monde le sait et c’est une injustice absolument insupportable pour nous tous...
Aujourd’hui, le taux d’emploi général des plus de 55 ans est de 38% toutes catégories confondues (chiffre INSEE), bien plus faible évidemment pour les prolétaires (25% ? 15% ? nous sommes en train de chercher le chiffre...). C’est à dire que, dès à présent, la très très grande majorité d’entre nous ne travaille plus après cet âge.

Voilà la réalité qui nous est imposée. Alors nous exigeons, tout simplement, le droit à la retraite à 55 ans, quel que soit le nombre d’annuités. D’autant, et nous en reparlerons, que non seulement les ouvriers meurent plus jeunes que les cadres, mais en plus leur retraite est bien plus marquée par toutes les formes d’incapacité...
La Confédération a abandonné cette vieille revendication ouvrière, on se demande bien sur quelle base... Ou plus exactement, dans l’incapacité totale de justifier le maintien du départ à 60 ans, on comprend qu’il ne s’agit bel et bien que d’une question de financement... on en reparlera !
Pour ce qui est des cadres (ou autres), qui vivent leur fonction sociale de façon positive et sont bien moins usés par le travail, ce n’est pas notre problème dans l’immédiat : nous nous plaçons du point de vue des plus exploités, des ouvriers, des prolétaires et c’est à partir de cela que nous déterminons nos exigences.

Oui, mais quelle pension, alors ? Car le fin fond de l’histoire du gouvernement, ce que tout le monde sait très bien mais que personne ne dit, c’est que personne ne travaillera en fait plus longtemps, surtout pas les ouvriers et les prolétaires, usés par le travail, mais qu’ils partiront au même âge qu’avant, simplement avec une retraite amputée, réduite. C’est cela l’objectif caché...
Donc, que revendiquons-nous ? La revendication syndicale, c’est 75% du dernier salaire complet (et pas d’un quelconque salaire de "référence" - aujourd’hui sur 25 ans dans le privé...). Déjà, on se demande pourquoi, mais bon, on peut imaginer que les enfants sont casés, qu’il y a moins de besoins. Mais cette revendication doit être assortie d’un plancher, et aussi d’un plafond.


Un mini à 1600 euros net, et un maxi, mettons à 3500 euros nets.

Et bien sur en parallèle l’élargissement de ce minimum social aux étudiants, aux handicapés pour éviter de faire reposer sur les anciens la prise en charge que la société doit assurer.
Et puis un plafond, un maximum. Bien sûr ! Il est indécent d’imaginer un cadre supérieur toucher 7500 euros de retraite. Il faut en finir avec les retraites "chapeau" des grands dirigeants, comme il faut en finir avec leurs salaires astronomiques et leurs parachutes dorés... Aucun argument ne peut justifier de tel montants, et certainement pas celui des cotisations, puisque celles-ci ne servent pas à accumuler sa retraite, mais à financer par solidarité les pensions des retraités actuels... Déjà les ouvriers financent la retraite des cadres du fait de la différence d’espérance de vie...

La retraite, mais le reste aussi
On la vu, la question de la retraite, c’est celle de l’utilité de la force de travail pour les capitalistes.
Nous ne pouvons pas séparer le combat de celui sur l’intensification, la pénibilité, la réduction des cadences, l’interdiction du travail à la chaîne et du travail posté, de toutes ces revendications sur les conditions de travail que nous subissons au quotidien. Il ne s’agit alors pas seulement de gagner quelques années, comme le proposent les syndicats CGT en tête, mais de mener au concret ce combat dans les entreprises.


La question du financement...

On allait presque oublier le seul sujet dont tout le monde parle... Ah, oui, c’est que nous, sur ce blog, on se place du point de vue du travailleur, des prolétaires, sans rentrer dans la gestion de la société capitaliste.
Les richesses, elles existent, c’est plus criant que jamais. Des inégalités aux profits, des productions parasitaires et inutiles (des exemples ? la publicité, les emballages empilés, l’armement...) aux aides aux capitalistes et aux banques, de tous côtés on saurait trouver les financements, si on le voulait bien -c’est ce que fait un autre article publié sur ce blog. Sans parler des milliards d’exonérations au patronat, c’est à dire d’une baisse brutale du salaire global, puisque les cotisations ne sont que du salaire indirect...
Le fond du problème, et le seul, c’est de savoir le choix politique et social que l’on fait des richesses ainsi créées, quelles priorités on retient. Ce sont toujours les contemporains qui financeront la retraites des anciens, et c’est bien une question de société.
On voit aujourd’hui les priorités du capital. Il faudra imposer les nôtres.

Mais le problème, alors là pour le coup le vrai problème, c’est qu’on va commencer à toucher ainsi au capital, et à la répartition des richesses. Là, se pose la question de société, de pouvoir politique, de sens du monde que nous voulons construire.
Nous n’en sommes pas là concrètement, même si c’est dans ce sens que nous voulons aller. Alors, la meilleure manière d’avancer, c’est de défendre nos intérêts et rien d’autre, et de les imposer à nos exploiteurs, charge à eux de régler la question, puisque c’est eux, encore pour un temps, qui ont le pouvoir !

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