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Congo RDC : Les dessous d’une guerre

Partisan N°226 - Mars 2009

Des acteurs régionaux visibles...

La province congolaise du Kivu est le champ principal de la guerre actuelle. Elle abrite gisements d’or, d’étain et de coltan figurant parmi les plus importants au monde. Le coltan, appelé communément « or gris », est une composante essentielle pour les téléphones portables et les ordinateurs. Cette province est aussi frontalière avec deux pays : le Rwanda, l’Ouganda. Depuis longtemps, ces derniers considèrent le Kivu comme une base arrière d’où partent des attaques des oppositions armées à leurs régimes, contre leurs territoires. Pour le Rwanda, il s’agit du FDLR composé de soldats de l’armée gouvernementale, et des milices Interhamwés responsables du génocide d’environ un million de Tutsis au Rwanda en 1994. Pour l’Ouganda, deux mouvements sont incriminés, l’ARS et l’UPDF. Depuis 1997, ces deux Etats sont intervenus directement ou s’appuient sur des milices ou organisations à leur solde. Ils justifient leur intervention par des raisons sécuritaires, pour prévenir toute attaque contre leur territoire. Le Rwanda téléguidait le RCD dont le CNDP dirigé par Laurent Nkunda était une composante. L’Ouganda s’appuyait sur le MLC. Par ailleurs, le RCD et le MLC participent actuellement à la coalition du pouvoir central à Kinshasa avec le parti du président Kabila !

Les raisons sécuritaires avancées par le Rwanda et l’Ouganda pour couvrir leurs ingérences ne sont que des faux prétextes, car ils ont occupé le Kivu en 1998-2000 sans pouvoir ni vouloir éliminer les forces qu’ils sont toujours censés combattre. De même, pour justifier la lutte, l’invocation par le CNDP de la discrimination dont seraient victimes les Banyamulenges ne tient pas la route. Les Banyamulenges sont les populations tutsies d’origine rwandaise persécutées sous le régime de Mobutu. Or la constitution de 2006 les a rétablies dans leurs droits [1]. D’ailleurs les élections présidentielles et législatives de 2006 se sont déroulées dans le calme au Kivu. Et les Banyamulenges y ont normalement participé.

Par contre, ce qui est incontestable, c’est que ces deux pays se sont systématiquement livrés au pillage des minerais du Kivu. L’extraction se fait d’une manière artisanale. Le relais est assuré par des intermédiaires locaux jusqu’aux armées rwandaises ou ougandaises qui rapatrient les produits dans leurs pays respectifs avant de les raffiner ailleurs ou exporter sur le marché mondial. Ces pays seraient par miracle ainsi devenus exportateurs de minerais n’existant pas dans leur sous-sol. En-dehors de leurs zones d’influence, l’autre partie du pillage est transportée à partir d’aérodromes insolites vers l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan par de vieux Tupolev et Iliouchine. D’ailleurs le Rwanda et l’Ouganda utilisent parfois le circuit de ces trois pays pour certaines opérations indispensables avant la commercialisation. Il est à noter que les trafics d’armes empruntent le même chemin, mais en sens inverse. Mais les bénéficiaires des segments les plus juteux de ce commerce souterrain de minerais et d’armes sont les sociétés occidentales, chinoises et israéliennes.

Ainsi, plus généralement et plus explicitement, un rapport des Nations-Unies mentionne « la collusion d’intérêts entre, d’un côté, les multinationales américaines, canadiennes, européennes, mais aussi les entreprises chinoises, israéliennes et africaines (ougandaises,rwandaises, burundaises, angolaises, zimbabwéennes), et de l’autre, des professionnels de la violence qui écument la région » [2].

Et d’autres acteurs moins identifiables

Si les acteurs africains sont visibles ou plus facilement identifiables, il n’en est pas de même pour les autres. Car les « honorables » ou grandes sociétés occidentales, chinoises ou israéliennes agissent sous le couvert de filiales qui sont des modèles d’opacité. Ces dernières résultent d’un montage dans les paradis fiscaux où l’allergie à une transparence même minimale est une épidémie.

Néanmoins, la Bourse de Toronto au Canada, spécialisée dans les minerais, constitue un poste d’observation assez pertinente du rapport des forces dans le pillage du Congo. Les cours des compagnies fluctuent en fonction du rétrécissement ou de l’extension des concessions minières de leurs filiales par les groupes armés alliés. Malgré la difficulté à démêler les liens entre les filiales et leurs maisons mères, les sociétés canadiennes (Banro, Barrick Gold, Heritage Oil), les sociétés cotées à la Bourse de Toronto et ayant leur siège au Canada sans être forcément de capitaux canadiens (First Quantum Minerals Canada, Lundin Group, Katanga Mining ex-Balloch Group), les sociétés chinoises (China Railway Group, Sinohydro, Exim Bank), sont certainement impliquées. Avec toutes ces évidences, il subsiste toujours des journalistes ou des « observateurs » pour parler de guerre ethnique.

Quelles perspectives ?

Auparavant, on était habitué à une forme cogestion de l’exploitation du peuple congolais et du bradage de ses richesses, entre d’une part un gouvernement exerçant une souveraineté sur son territoire, et d’autre part les puissances impérialistes. Maintenant, c’est dans un apparent chaos que différentes parties extérieures et intérieures organisent une partie de mise à sac, en-dehors du gouvernement central.

Ce gouvernement central est une coalition hétéroclite petite-bourgeoise cherchant à marchander au plus offrant entre les différents vautours impérialistes européens, américains, chinois. Mais il est impuissant à imposer une autorité quelconque sur ses provinces périphériques. Sans structures communes avec le reste du pays et sans services ou infrastructures publics, ces provinces n’ont aucun sentiment d’appartenance à un ensemble unique congolais. Bien au contraire, elles sont tentées par un repli régionaliste, ou bien sont progressivement intégrées dans les circuits économiques des pays voisins. Même durant la « paranthèse » dite faste du règne de Mobutu, il n’y avait pas de routes praticables dans la capitale Kinshasa même. N’en parlons pas entre les villes situées à des milliers de kilomètres de la capitale, qui sont, dans le meilleur (ou le pire !) des cas, desservies par des avions de fabrication russe d’un autre âge avec des accidents dramatiques à répétition.

La France et la Belgique, anciens tuteurs du Congo, sont les grands perdants du partage actuel du butin. La France a proposé une intervention militaire de l’Union Européenne, refusée par ses partenaires qui en veulent pas pâtir du discrédit de la France dans la région découlant de ses complicités dans le génocide au Rwanda en 1994.

A notre connaissance, pour le moment, il ne se dégage aucune alternative pouvant prendre en main les intérêts du peuple congolais dans une optique de rupture impérialiste et pour une prise en compte de ses besoins fondamentaux, dans la mesure où les forces les plus radicales, comme celles regroupées autour du journal Nyota ya Afrika, se sont de fait recyclées, comme les dites organisations de la société civile, dans les luttes pour un Etat de droit, les droits de l’Homme, la bonne gouvernance, etc.

En attendant, ces populations, surtout les femmes, les enfants, les adolescents payent un lourd tribut dans cette « guerre mondiale africaine », qui a causé depuis 1997 plus de 4 millions de morts, une catastrophe sanitaire et alimentaire, et un million de réfugiés dans des conditions inhumaines. Avec des exactions inimaginables comme le pillage des biens des populations, le racket, les enrôlements forcés, les mises en esclavage et les viols utilisés comme une arme de guerre dans une région où le taux de prévalence du sida est très élevé.

A moyen terme, le scénario le plus probable serait le maintien du statu quo de la satellisation de ces provinces périphériques par les Etats voisins, voire, pour le Kivu, son annexion pure et simple par le Rwanda avec sa grande densité démographique associée à une pénurie de terres cultivables. Or, en face, il y a les vastes, volcaniques, et très fertiles terres du Kivu !

Un sympathisant

Et l’ONU ?

Le gouvernement du Congo, et surtout ses populations, ne peuvent rien attendre de la MONUC, c’est-à-dire des casques bleus des Nations-Unies. La MONUC brille par son impuissance et son inefficacité. Elle dispose de faibles moyens, avec un budget d’un milliard de dollars, et de faibles effectifs, 17 000 hommes sur un territoire quatre fois plus grand que la France. Avec seulement 5000 de ses soldats déployés dans le Kivu, lieu des principaux affrontements. Les forces des Nations-Unies ne disposent ni de matériels performants, ni d’une organisation ou d’un mode de commandement efficients. Pour cause, ses deux principaux contingents viennent d’Inde et du Pakistan, c’est-à-dire deux Etats ennemis quasiment en état de guerre. Comme dans la plupart des pays du « Sud », les missions des Nations-Unies sont un pactole après lequel courent les gouvernements et les soldats. C’est pourquoi ils cherchent surtout à sauver leurs peaux. Pire même, les soldats de la MONUC sont impliqués dans les trafics miniers et dans les viols.

Sigles

RDC : République Démocratique du Congo, capitale Kinshasa ; séparée par le fleuve Congo de Brazzaville, capitale de l’autre Congo appelé Congo Brazza.

AFDL : Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo ; coalition qui a renversé le régime de Mobutu durant la « première guerre africaine » en 1996-7 ; dirigée alors par Laurent-Désiré Kabila, père défunt du président actuel, Joseph Kabila.

CNDP : Congrès National de Défense du Peuple, un faux-nez du Rwanda dirigé par Laurent Nkunda.

ARS : Armée de Libération du Seigneur, mouvement contre le gouvernement ougandais, basé en RDC dans la province du Kivu.

FDLR : Front Démocratique de Libération du Rwanda ; composé d’anciens membres du régime génocidaire rwandais, renversé en 1994, et dont l’armée française a protégé la fuite au Kivu dans le cadre de l’opération Turquoise.

MLC : Mouvement de Libération du Congo, organisation qui était proche de l’Ouganda.

MONUC : Mission de l’Organisation des Nations-Unies au Congo.

RCD : Rassemblement Congolais pour la Démocratie ; participe au gouvernement de Kinshasa et fut proche du gouvernement du Rwanda.

UPDF : Forces de Défense du Peuple Ouganda, mouvement contre le gouvernement ougandais, basé en RDC dans la province du Kivu.

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