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La plus grande grève ouvrière depuis 1995 !

Partisan N°238 - Mai 2010

Depuis six mois, 6 000 travailleurs sans papiers sont engagés dans une grève impulsée par la CGT et dix autres associations et syndicats. Ils demandent, comme tous les sans papiers, une régularisation qui leur permet de se soustraire à l’extrême précarité de leur condition d’exploités. La CGT a entièrement fondé la lutte sur la démonstration que ces travailleurs sont indispensables à l’économie française. Elle s’est battue pour une circulaire de régularisation qui permettrait selon elle d’harmoniser les conditions de régularisation et de limiter l’arbitraire des préfectures dans le traitement des dossiers. Les nombreuses réunions des associations avec le Ministère de l’immigration ont débouché en novembre sur une circulaire, qui ne change pas grand chose. Insatisfaites, ces organisations ont poursuivi la lutte pour une nouvelle circulaire, qu’elles voyaient possible après les élections régionales.

Les élections passées, la situation est bien moins favorable que celle envisagée par ces associations. Après son revers aux régionales, le gouvernement donne un coup de barre vers son électorat le plus réactionnaire. Il a concocté un projet de loi qui rendra plus facile les expulsions de sans papiers. Il ne veut plus que des juges rendent leur liberté à des sans papiers, comme cela s’est produit pour les Kurdes de Syrie arrivés en Corse, et pour cela il va changer la loi.

- Déposer les dossiers ou pas
Après six mois, ces travailleurs ne voient toujours pas le bout du tunnel. Beaucoup comprennent que le temps joue contre eux. Mais la CGT se refuse à déposer en préfecture les dossiers de ceux qui ont obtenu des promesses d’embauche. Le premier argument avancé est qu’un dépôt partiel affaiblirait la lutte et introduirait la division. C’est un argument qui mérite d’être examiné. Mais elle en utilise d’autres qui sont de purs mensonges. Selon elle, en déposant des dossiers, les sans papiers s’exposeraient à des reconduites dans leur pays. Malheureusement pour eux, ils courent ce risque tous les jours dans leurs déplacements, et un dépôt de dossier ne les expose pas plus.
Voyons l’argument de la division. La division est déjà dans le mouvement du fait même des conditions d’une régularisation par le travail : certains ont des employeurs, d’autres pas (ils ont été licenciés), beaucoup travaillent au noir et sont isolés, comme les femmes dans les services à la personne. Penser que tous les sans papiers en grève pourront être régularisés sur la base d’une nouvelle circulaire est une illusion. Illusion compte tenu du rapport de force construit par la CGT. Le mouvement s’affaiblit. Il n’y a plus guère de piquets de grèves. Un des derniers, le plus important, rue du Regard à Paris, a été évacué le 1er avril. Depuis, le gouvernement a affirmé son intention de tous les évacuer. Il n’est pas prêt à concéder une nouvelle circulaire, alors qu’il a affaibli la lutte. Il s’est exprimé clairement à ce sujet. La CGT compte maintenant sur la pression des patrons qui emploient des sans papiers pour faire reculer le gouvernement. Il est certain que ces patrons ont besoin de ces travailleurs à exploiter. Mais la crise est passée par-là et leurs besoins sont moindres. Dans ces conditions, il peut y avoir une régularisation partielle, mais pas de tous. Et on ne construit pas un rapport de force solide contre l’Etat de la bourgeoisie en comptant sur les intérêts des patrons.
Des travailleurs sans papiers voudraient que la CGT dépose des dossiers tant que cela est encore possible. C’est là un recul tactique, inévitable dans le rapport de force actuel. Pourtant, la CGT maintient sa politique, ce qui revient à n’offrir comme débouché à la lutte que le « tout ou rien ».

- Que penser de la ligne de la CGT ?
La direction confédérale de la CGT ne porte pas un grand intérêt à la régularisation des sans papiers. Ce n’est pas le cas des militants dans les UL ou les syndicats, peu nombreux, qui sont de toutes les mobilisations. Deux arguments plaident dans ce sens. Le premier est que direction du mouvement refuse obstinément que les sans papiers aient la direction de leur lutte. Cela pour la maintenir conforme aux objectifs de la direction CGT ! Le deuxième argument, c’est le petit nombre de militants engagés dans le mouvement et l’absence de mobilisation des militants au-delà de ceux qui le sont déjà. Au fond, cette lutte fonctionne comme un moyen de propagande pour la direction confédérale. Elle lui permet de paraître être à la pointe d’une lutte (les médias parlent d’elle beaucoup à ce propos). Et d’en convaincre non seulement ces travailleurs, mais ses propres militants.
En dépit des slogans « ils bossent ici, ils vivent ici, ils restent ici », la CGT ne fonde pas la nécessité de la régularisation sur le fait que ces travailleurs sont exploités ici depuis des années. Pour elle, si ces travailleurs doivent être régularisés, c’est que l’économie française a besoin d’eux, maintenant et dans le futur. Ce qui se concrétise dans la recherche de Cerfas (de promesses d’embauche).
C’est un soutien partiel. Subordonné aux intérêts de l’économie française. Il tente de contourner le chauvinisme et de l’exploiter au bénéfice des sans papiers. Sur cette base, la CGT peut obtenir un « appui large de travailleurs » qui voient bien l’intérêt qu’il y a à ce que restent ceux « qui font le travail que les autres ne veulent pas faire ». Argument pourri, particulièrement inefficace en période de crise et de chômage. Ce soutien est sans conséquence du point de vue de la lutte, car la masse de ces « soutiens » est absente des mobilisations.

- Pour construire
Pour construire une mobilisation large et concrète qui impose un rapport de force capable de faire reculer le gouvernement, il faut donc faire appel à d’autres intérêts que ceux de l’économie française. Les sentiments humanistes, ou la solidarité de classe. Le premier soutien est encore celui qui reste le plus actif, porté par des militant(e)s de RESF et d’autres associations qui se mobilisent contre l’hypocrisie bourgeoise et la détresse humaine. Positif, il ne peut néanmoins entraîner les autres exploités. La solidarité de classe, elle, est à construire, à contre courant des replis individualistes ou locaux des travailleurs qui tous se sentent fragilisés, menacés. Cela implique un travail de persuasion, de propagande, d’initiatives concrètes. Il permet de construire des solidarités ouvrières avec les sans papiers. Il forme les ouvriers conscients qui participeront à la construction du Parti dont les ouvriers ont besoin, pour agir comme classe solidaire et consciente de ses intérêts.
Quelle que soit l’issue immédiate de ce combat, c’est à partir du bilan politique de cette expérience que se construiront, avec les militants du mouvement, les luttes futures pour la régularisation de tous les sans papiers.

Voir aussi
- la déclaration de VP : A bas le consensus chauvin, unité des travailleurs Libre circulation, régularisation de tous les sans papiers
- le tract unitaire : Nous Soutenons Les Sans-papiers En Marche Pour La Régularisation

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