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D’où viennent les milliards de l’Etat ?
Partisan N°227 - Avril 2009
Une aubaine pour certains
« Chaque nouveau-né français hérite à sa naissance d’une dette de 19 000 euros, c’est un poids insupportable » : voilà le discours auquel on avait droit jusqu’à maintenant. La part de vérité de cette affirmation, c’est le pari sur l’avenir que représente une dette, c’est-à-dire un crédit, et la mise en circulation de la monnaie équivalente. Mais dire que à chaque nouveau-né hérite d’une dette de 19 000 euros est strictement faux. Il faut évidemment ajouter « en moyenne ». Les uns héritent d’impôts à payer, à commencer par l’impôt le plus important, la TVA ; et d’exploitation à subir, pendant 42 ans ou plus. Les autres héritent d’une fortune, sous forme de bons du Trésor, d’obligations publiques et de composants d’OPCVM.
Quand Fillon déclare, le 21 septembre 2007 : « Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier », ça signifie concrètement : Attention, les prolos, il va falloir en faire encore plus pour assurer notre fortune !
La dette, ils en redemandent
Avec la crise bancaire et boursière, les emprunts d’Etat n’ont jamais eu autant de succès, même s’ils ont toujours bien marché. Et même si on en voit le bout : La Hongrie et la Lettonie se sont retrouvées en cessation de paiement, et sauvées par le FMI. L’Irlande et en partie l’Espagne ont des difficultés actuellement pour emprunter.
La dette de l’Etat français était de 1142 milliards d’euros à fin 2006. Elle est détenue à 40% par des capitalistes français, les assureurs en tête (pour 300 milliards), et à 60% par des « non-résidents ». Un des trois postes les plus importants du budget de l’Etat, avec l’armée et l’Education nationale, c’est le remboursement des intérêts de la dette, un peu plus de 40 milliards par an. L’Etat collecte les impôts, la TVA, et reverse aux banques.
Car l’Etat prête ce qu’il a emprunté
Au lieu d’emprunter aux banques, l’Etat pourrait tout simplement créer de la monnaie, faire tourner la « planche à billets », même si celle-ci est maintenant électronique. Sauf qu’il a abandonné ce privilège aux grandes banques (loi Pompidou-Giscard du 3 janvier 1973 ; article 104 du traité de Maastricht ; etc). Car l’Etat est au service des capitalistes et pas l’inverse : « Je vous en prie, je n’en ferai rien » ! L’Etat n’a gardé que le monopole de la création de monnaie fiduciaire (les pièces et les billets), qui ne représente que 7% de l’émission de monnaie. L’essentiel aujourd’hui, 93%, est la création scripturale : les crédits bancaires, par un jeu d’écriture.
Quand l’Etat prête 6 milliards à Streiff (PSA) et Ghosn (Renault), cet argent devrait lui rapporter quelques intérêts au passage, mais il rapportera surtout à ceux qui ont mis ces milliards à disposition de l’Etat !
Une affaire rentable
Un petit livre (*) dénonce un certain nombre de ces mécanismes. Il s’ouvre sur cette citation croustillante de Henry Ford (1863-1947), le fondateur de la Ford Motor Cie : « Il est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire et monétaire, parce que si tel était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin ». Ce livre explique donc. Comment a été inventée la monnaie. Comment l’Etat a abandonné son monopole d’émission de la monnaie. Etc. Il devient délirant dans la deuxième partie, « Propositions », quand il affiche son réformisme et démontre comment rembourser la dette ! On peut zapper cette deuxième partie, ou trouver savoureux cet exemple d’imagination réformiste des classes moyennes. Rembourser la dette, c’est respecter l’engagement pris vis-à-vis des capitalistes de taxer et d’exploiter les travailleurs pendant des dizaines d’années. A la différence d’un capitaliste privé, l’Etat a les moyens de faire sa propre loi et sa propre police pour se faire rembourser (puis rembourser les banques), y compris en tirant sur les ouvriers ou en déclenchant une guerre impérialiste. C’est pourquoi il a la préférence des investisseurs de capitaux.
On ne va pas renouveler l’erreur des Communards de 1871, qui ne se sont pas emparés de la Banque de France. Il faut faire comme les communistes russes en 1917. Ce qui est valable pour les pays dominés l’est aussi pour les exploités des pays impérialistes : NON au remboursement de la dette ! Un programme d’émancipation est incompatible avec une dette qui est un programme d’exploitation !
Marc Crespin (*) La dette publique, une affaire rentable, Holbecq et Derudder, Ed. Yves Michel, 12 euros, 160 pages.
