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Contre l’impérialisme, qui et quoi soutenir
Partisan N°119 - Avril 1997
A deux reprises on a trouvé des formules malheureuses dans des articles de « Partisan » concernant le mouvement populaire dans les pays dominés. On a ainsi pu lire qu’il fallait « continuer à soutenir l’EZLN » au Mexique bien que ce soit une organisation réformiste (« Partisan » N°112), ou que « l’AFDL au Zaïre mérite d’être soutenue » (« Partisan » N°114) ce qui suscitait à juste titre la réaction d’une lectrice dans le numéro suivant.
Il y a là à mon avis une double confusion.
• Tout d’abord, il y a le mouvement populaire qui se soulève contre le pouvoir, l’impérialisme et les bourgeois locaux, avec tous ses espoirs de démocratie, de liberté, de réforme agraire et de pouvoir populaire. Cette révolte mérite évidemment notre soutien, elle est notre allié direct dans notre lutte contre l’impérialisme ici-même.
Et il y a les organisations qui se retrouvent à la tête de cette révolte : l’EZLN au Mexique, l’AFDL au Zaïre, mais aussi le FNLKS en Kanaky, l’OLP en Palestine... Qu’elles soient à l’origine de la révolte (les Sandinistes au Nicaragua ou l’EZLN, par exemple), ou qu’elles se retrouvent propulsées à sa tête par la force des choses et des considérations historiques (l’AFDL), nous avons une double attitude : d’une part nous reconnaissons qu’elles sont un représentant légitime de cette lutte, mais d’autre part nous portons un point de vue sur l’orientation de ces organisations.
Il y a d’un côté la révolte populaire et d’un autre côté l’organisation qui se retrouve à la tête et il ne faut pas confondre les deux niveaux.
• Deuxième confusion, quelles sont nos tâches, à nous qui nous réclamons de la révolution et du communisme ?
Bien sûr, d’abord soutenir le mouvement populaire et son soulèvement, car « on a raison de se révolter ».
Mais notre soutien ne s’arrête pas à la simple révolte. Nous aspirons à un monde libéré de la domination de l’impérialisme et du capitalisme, un monde où ouvriers et paysans aient la totalité du pouvoir économique, politique et social entre leurs mains.
Nous aurons donc d’abord des tâches négatives, « contre » nos ennemis communs et d’abord l’impérialisme. Aujourd’hui, plus que jamais il faut se mobiliser contre l’intervention française au Zaïre, contre l’accueil de Mobutu, pour la destruction des bases militaires, le retrait des soldats, l’abandon de tous les intérêts français en Afrique (Elf, par exemple). Ce sont là des tâches négatives, c’est à dire contre notre propre impérialisme.
Mais nous avons aussi des tâches positives, c’est à dire de véritable soutien à des groupes et organisations qui au sein de ce mouvement populaire proposent le chemin d’une véritable révolution démocratique et anti-impérialiste, c’est à dire comme une première étape de la marche au communisme. Et c’est alors selon ce critère que nous jugeons les organisations en place. Et c’est ainsi que nous soutenons le PCP au Pérou ou le PC des Philippines même si nous pouvons avoir des réserves secondaires sur certains aspects de leur activité.
A l’inverse, si les organisations à la tête du mouvement sont liées à telle ou telle puissance impérialiste, prônent une orientation ouverte de conciliation (même sous la pression de la révolte ou de la lutte armée), voire affichent une orientation ouvertement réactionnaire, nous ne pouvons pas les soutenir. Hormis les cas extrêmes des ayatollahs en Iran (que nous n’avons jamais soutenu, contrairement à nombre de militants de l’époque de la chute du Shah...) ou du FIS en Algérie (que certains, comme « Socialisme International », ménagent au nom d’un anti-impérialisme ( ?) supposé), nous ne soutenons pas l’EZLN, ni l’AFDL, dont les orientations ne sont nullement confuses et se sont peu à peu révélées, comme d’ailleurs « Partisan » en a rendu compte.
Cela ne veut pas dire que nous nous opposions à la révolte populaire ( ! !), mais que nous considérons que cette révolte sera dévoyée par ces organisations. Nous n’avons pas soutenu les Sandinistes au Nicaragua, et nous avons eu raison. Nous n’avons pas soutenu le FLNKS en Kanaky, et nous avons eu raison. Nous n’avons pas soutenu Izetbegovic en Bosnie, et nous avons eu raison. Pour autant, nous avons activement participé au mouvement de soutien à la lutte de ces peuples.
Il est impossible de séparer la lutte démocratique de sa poursuite en lutte sociale, car c’est dès le début que se construisent les bases du futur. Et dès le départ soutenir une orientation bourgeoise et réformiste, c’est garantir à coup sûr l’échec et la trahison des espoirs populaires.
Reste un cas particulier, c’est à dire le cas d’un mouvement populaire dirigé par une organisation démocratique et révolutionnaire, étroitement liée aux masses, aux aspirations (et à l’activité) véritablement anti-impérialiste, mais très confus sur le projet social et le contenu de cette révolution. Dans ce cas, il faudrait soutenir cette organisation, tout en conservant sa liberté de critique et en impulsant une orientation et un débat visant à infléchir la lutte dans le sens de la marche au communisme. Si cela s’avère impossible, et bien on retombe dans le cas de figure évoqué plus haut... Mais avouons que de nos jours, il s’agit plutôt d’un cas d’école et que nous ne voyons pas vraiment dans quelle région du monde il pourrait s’appliquer.
Depuis des dizaines d’années, cette question de la nature du soutien à la lutte des peuples est un point de fracture entre militants. Nous disons qu’il faut être rigoureux et cohérents : si l’on se réclame du communisme, c’est de ce point de vue et pas d’un point de vue seulement « révolté » qu’il faut observer et soutenir la révolte des peuples !
A.Desaimes
