Vous êtes dans la rubrique > Archives > Inde : Les naxalites aujourd’hui

Inde : Les naxalites aujourd’hui

Partisan N°230 - été 2009

Lorsque les camarades du PCI-maoïste continuent à définir l’Inde comme « pays semi-colonial et semi-féodal », on est en droit de s’interroger sur cette nature « semi-coloniale » de la 6e puissance économique du monde.

« SEMI-COLONIALE ».

Ayant développé ses forces productives à l’abri d’un système protectionniste quasi-autarcique voulu par Nehru, et maintenu par sa fille Indira Gandhi, l’Inde n’est entrée dans le circuit des échanges marchands et financiers du libéralisme mondialisé que lorsqu’elle a été en mesure de jouer la carte de son propre impérialisme en se concentrant sur certaines productions : mécanique, textile, métallurgie et informatique, entre autres. Que de nombreux groupes capitalistes étrangers investissent en Inde, attirés par des conditions d’exploitation avantageuses (comme les ZES, zones franches offertes aux multinationales), ne fait pas de ce pays une « semi-colonie ». La plupart des ZES sont en effet attribuées à des sociétés indiennes, ou à capital mixte, voulant se placer à un niveau compétitif sur le marché mondial. On pense ici plus au néo-capitalisme chinois qu’au néo-colonialisme imposé à l’Amérique latine ou à l’Afrique. Les trusts monopolistes indiens – tels Tata ou Mittal – cherchent à consolider leur hégémonie dans le domaine des industries mécaniques et métallurgiques largement audelà des frontières indiennes.

Parler dans ce cas de « bourgeoisie bureaucratique compradore », comme le font encore certains textes du PCI-maoïste, semble plus être un simple calque idéologique qu’une analyse objective des rapports de production contemporains. La bureaucratie développée par le capitalisme d’Etat des années 1950 à 1980, cède la place à une bourgeoisie libérale, industrielle ou d’affaires. Opposer une bourgeoisie « nationale » à une bourgeoisie « compradore » relève de schémas pré-industriels entièrement dépassés par la situation actuelle de la classe dirigeante indienne dans le cadre des rapports de force impérialistes.

« SEMI-FÉODALE ».

La situation « semi-féodale » d’une nation encore à 74% rurale est plus concrète. C’est pour cela que les « naxalites » (le PCI-maoïste et les divers PCI-ml) rencontrent autant d’échos favorables parmi les masses paysannes. Si des réformes agraires ont eu lieu dans les années 1960 et 1970, ce fut surtout pour permettre la mise en oeuvre de la « révolution verte » (intensification industrielle de l’agriculture) soutenue par le capitalisme agro-industriel américain. Ceci a conduit à une redéfinition des rapports de production, d’abord en faveur de la moyenne paysannerie, des groupes agro-industriels indiens ou étrangers, ou de la paysannerie riche ensuite. L’endettement provoqué par la contrainte du rendement (mécanisation, accroissement des surfaces cultivées, usage massif d’engrais chimiques, etc) a amené la ruine des plus précaires, les acculant au départ vers les sous-emplois des villes ou au maintien en tant que main-d’oeuvre journalière surexploitée par les propriétaires terriens et méprisée par une administration corrompue.

SOUTIEN POPULAIRE.

Si, dans les premières années du soulèvement naxalite (1967-1972), c’est essentiellement le lumpen-prolétariat des villes (les « intouchables ») et des champs (les « tribaux aborigènes »), entraîné par les étudiants, qui a soutenu les révolutionnaires du PCI-ml, depuis les années 1980 et la « conversion libérale » de l’économie indienne, la base du soutien populaire au maoïsme s’est nettement élargie. Outre les populations tribales plus que jamais discriminées (expropriées par les trusts puis parquées dans des « hameaux stratégiques » de sinistre mémoire), les paysans endettés, menacés d’expulsion, s’organisent dans des syndicats et associations souvent impulsés par les maoïstes, pour résister au pillage capitaliste des ressources naturelles. Ce phénomène s’est accompagné d’une lente progression de l’influence naxalite dans les villes.

L’économie informelle de sous-traitance (industrie ou services) a fait croître de façon exponentielle le nombre de prolétaires urbains. Sans protection sociale, ni garantie de salaire et d’emploi, cette humanité misérable ne croit plus à aucun miracle si ce n’est à celui de sa propre survie. La lutte des classes est son dur pain quotidien. Et la détermination des naxalites à changer radicalement l’ordre des choses est aussi de plus en plus la sienne. Jusqu’à la petite bourgeoisie (fonctionnaires, employés, enseignants, artisans) qui, paniquée par le désengagement de l’Etat à l’ombre duquel elle prospérait, avait un temps fait le lit des mouvements nationalistes xénophobes et fondamentalistes, se voit trahie par tous les partis inféodés au Capital et cultive la nostalgie du « socialisme à la Nehru ». Malgré une rhétorique stalinienne dont le dogmatisme révèle peut-être un retard théorique à combler (c’est déjà le cas dans l’excellente revue People’s Truth), les naxalites réussissent par leur pratique à démontrer la faillite de l’électoralisme en dénonçant l’incurie de la gauche parlementaire et sa complicité avec la classe dominante.

En maintenant des foyers de guerre populaire depuis plus de 40 ans, le naxalisme a moins entretenu l’espoir d’une « démocratie nouvelle » (qui n’apporterait rien de différent par rapport à la démocratie parlementaire indienne) qu’il n’a conforté l’idée qu’aucune rupture avec le capitalisme ne peut éluder la question de la violence révolutionnaire.

Omar, un lecteur

Soutenir par un don