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Fralib : il y a boycott et boycott

Je voudrai revenir sur le débat qui a eu lieu après le film Pot de thé / POT DE FER à propos de l’idée de combattre les monopoles par des consignes de boycott. Je continue (en bon marxiste pour qui l’essentiel du capitalisme se joue dans la production) à ne pas être d’accord et voudrai continuer ce débat (que j’ai eu avec d’autres aussi…).

 

Oui, on peut combattre les groupes monopolistes en organisant leur boycott. Pour les affaiblir ou les dénoncer (ce que proposent les Fralib avec Lipton, qui n’est qu’une marque parmi 400 que possède Unilever, ils en ont eu jusqu’à 1600 !). Il y a eu d’autres exemples avant : Lu et Total en France, Nestlé dans le monde. La divergence porte sur ce qu’on peut en attendre : un affaiblissement conjoncturel lié à une lutte ou une dénonciation / OU une voie nouvelle pour abattre un système basé sur ces monopoles : consommer local, petites entreprises… C’est cette idée, saugrenue à mes yeux, que je voudrai critiquer :

 

1. Organiser le boycott de Coca au bénéfice d’autres marques moins monopolistiques, vu l’importance de Coca dans le monde, si ça réussissait même dans plusieurs pays, ne les affaiblirait que passagèrement. Pas de quoi les mettre à genoux

 

2. Même si ce boycott réussissait, que Coca s’effondre commercialement, le capitalisme et les autres monopoles lui survivraient ! Même ses capitaux seraient en partie réutilisés. C’est le principe même de la concurrence qui pousse chaque patron aux bas salaires, à la précarité, aux licenciements, aux délocalisations,… Pour diminuer le « coût » du travail et maintenir ou augmenter ses profits pour survivre à la concurrence qui en fait autant. Alors, faire jouer la concurrence, ou s’en débarrasser en maitrisant toute la production et la distribution ?

 

3. Les monopoles ne sont pas nés en un jour, mais en grignotant, achetant, écrasant… la concurrence. Ceux qui remplaceraient Coca suivraient le même processus de concentration au fil du temps et du capitalisme, puisque c’est son fonctionnement : l’accumulation

 

4. La remarque a été faite aussi : rendez-vous compte, la publicité que font toutes les marques pour qu’on les achète, c’est le consommateur qui les paie ! C’est vrai. Mais le consommateur paie tout le reste aussi, pas que la pub : les hauts salaires des dirigeants, les revenus des actionnaires, les profits des entreprises. Les Fralib ont calculé qu’en 4 mois, la production de l’année était payée (avec ses salaires records des dirigeants, du propriétaire du terrain,…). Les deux autres tiers de l’année, les ouvriers ne produisent plus que pour les profits ! Donc, il n’y a pas que la pub de pourrie dans leur système, la remise en cause (et la réappropriation) doit être bien plus large.

 

5. L’éducation à une autre consommation dont tu parles, Lionel, est donc nécessaire, mais est-ce vraiment un problème d’éducation (de morale presque) ? Les marxistes ont abordé très vite la question de l’aliénation : nous ne sommes pas libres de consommer librement : nos désirs, nos impulsions d’achats, nos besoins fondamentaux et secondaires, mais aussi nos colères, nos refus, nos solidarités sont alimentés, contrôlés, sont pris en main par le système. C’est l’aspect idéologique, qu’ils ont besoin de dominer effectivement pour nous faire vivre et consommer selon leurs intérêts. Le problème n’est pas que les gens sont trop bêtes pour comprendre, mais qu’ils sont déformés et endormis. Alors, les inciter à consommer local ou bio ou petite production dans cette société ne restera que marginal et laissera les monopoles dominer…

 

6. Ce qui est possible dans le secteur de l’alimentaire éventuellement de l’est pas ailleurs : boycotter Airbus et Boeing ? Boycotter Renault, Peugeot et les autres monopoles ? … On peut multiplier les exemples : dans tous les secteurs (ce n’est pas un hasard après 2 siècles de développement capitaliste), les monopoles dominent la production de marchandises (et du coup s’attaquent aux services comme la santé, la retraite, la poste…). Et que dire aussi des banques, assurances et autres maillons du système productif et financier ? On ne peut boycotter tous les monopoles pour abattre le système qui les porte ! D’ailleurs est aussi posée ainsi la question de la consommation : trouver des concurrents petits et gentils des monopoles OU poser la question de la consommation autrement ? Le marché fait partie de la remise en cause.

 

7. Pour un marxiste, le cœur du système n’est pas dans la consommation, mais dans la production, là où est créée la plus-value. Bien sûr, elle est réalisée par la vente. Mais le système ne sera pas abattu en contournant son cœur (si c’était possible, mais les remarques précédentes montrent que non).

 

8. Les monopoles ont érigé souvent leur force en ayant les moyens de la R&D (recherche et développement) plus que leurs concurrents, s’assurant des avancées techniques décisives pour le marché. Plusieurs monopoles sont morts de ne pas l’avoir porté (je pense à Polaroïd et Kodak par exemple, dans certains secteurs où ils dominaient). Peut-être Nokia en ce moment. Et alors, ce sont d’autres monopoles, en l’absence d’appropriation sociale de la production, qui en bénéficieront…

 

9. Cet appel au boycott des marchandises ignore aussi un autre aspect : le rôle de l’Etat qui, loin d’être neutre, est au fond le grand organisateur de la société au service de ces monopoles (la fusion entre eux est parfaite : ça s’appelle une domination de classe : la bourgeoisie !). Espérer contourner le poids et la place de l’Etat en s’attaquant aux seuls monopoles me paraît aussi vain, donc créateur d’illusions

 

10. Enfin, je pense que la remise en cause de la consommation (nécessaire, absolument, pas de problème là-dessus !) permet de contourner principalement les conditions de la production (en un mot, l’exploitation). Elle peut être le credo de la petite-bourgeoisie qui se satisferait souvent d’un capitalisme propre et moral. Mais pas des producteurs, qui eux, produisent dans les conditions du capitalisme et ont bien d’autres choses à remettre en cause que la seule consommation. D’où l’importance de la lutte des Fralib qui, en tant que producteurs, dénoncent la façon de produire d’Unilever, et combattent ce monopole jusqu’à proposer une alternative de production (locale, « équitable », sans accapareurs,…). Cette voie a aussi ses limites pour abattre le capitalisme dans son entier ! Mais elle est différente de prétendre abattre les monopoles par l’éducation à une consommation moins monopolistique, qui ne fait que contourner le problème : la domination économique, politique et idéologique de la société par les monopoles.

 

Militant VP

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