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Népal : Lutte de ligne au sein du parti / Maintien de l’ordre ou reforme agraire ?

Partisan N°224 - Janvier 2009

Le PCNm est à la tête d’un gouvernement de coalition où sont représentés aussi l’UML, union marxiste-léniniste, parti réformiste et démocratique contrairement à ce que suggère son nom, et le MJF, madhési janaadhikar forum. En juillet, des paysans victimes d’inondations envahissent des terres abandonnées, y construisent des cabanes de fortune. Alerté par le propriétaire foncier, le ministre de l’Intérieur, UML, envoie les forces de l’ordre expulser les paysans. Alerté lui aussi, Yadav, ministre PCNm de la Réforme agraire, contacte son collègue de l’Intérieur pour lui dire son désaccord, rétablit les paysans, avec l’aide de l’armée, sur leurs nouvelles terres et les aide à reconstruire de nouvelles cabanes. Il est alors désavoué par le Conseil des ministres et critiqué par le Bureau politique du PCNm. Il remet sa démission de ministre. Et il devient un héros aux yeux des paysans et des travailleurs.
La critique du Bureau politique portait sur la forme, il était reproché à Yadav d’avoir agi seul sans poser le problème plus largement dans le parti. Mais le problème de l’orientation du gouvernement est maintenant largement posé, au-delà même des rangs du parti !

L’Etat est toujours aux mains des féodaux

Extraits de l’interview de Yadav, Telegraph Nepal, 4 octobre 2008


Ne pensez-vous pas, Mr Yadav, qu’il était immoral pour un membre du gouvernement de s’emparer de propriétés privées à Mirchaiya ?

Yadav : Certainement pas. Je suis devenu ministre pour servir le peuple. J’ai donc réquisitionné les terres d’éléments féodaux et je les ai distribuées à des citoyens pauvres et sans terre du Népal. Mais dans ce pays, les ministres sont des gens qui, au nom du peuple, volent ouvertement le peuple pauvre. C’est pourquoi j’ai pensé que je n’étais pas fait pour le poste, et j’ai démissionné pour des raisons morales (…). Pour votre information, les terres réquisitionnées n’appartiennent pas aux pauvres concernés. Elles appartiennent à Shanti Singh qui est la soeur de l’ex-roi Gyanendra (…). Ce que je fais, c’est simplement servir les droits du peuple. Voilà, la lutte continue.

Mais votre action n’a-t-elle pas été déclarée illégale même par votre propre parti ?

(…) Je pensais que, à son retour d’un voyage en Inde, le premier ministre Dahal approuverait mes actions… Mais il a semblé se soucier de la longévité du gouvernement. Et il m’a demandé de présenter des excuses. J’ai eu le sentiment que, pour qu’il puisse diriger plus facilement le gouvernement, je devais démissionner. C’est ce que j’ai fait.

Y a-t-il une possibilité que vous soyez sanctionné par votre parti ?

Notre parti ne ressemble pas au Congrès Népalais… Si Girija n’aime pas tel ou telle, il ou elle sera viré de l’appareil du parti. Le PCNm n’est pas, comme ça, la propriété privée d’un seul. Je ne pense pas que quelqu’un dans le parti ose me sanctionner. Même si je suis sanctionné, je continuerai ma lutte dans le parti lui-même. Je dénoncerai les agents des éléments féodaux et des propriétaires fonciers dans le parti.

(…) Pourquoi avez-vous pensé qu’il était actuellement nécessaire de réquisitionner la terre des propriétaires fonciers et des éléments féodaux ?

Nous avons déjà aboli la monarchie féodale dans le pays, mais les éléments féodaux existent toujours. Notre révolution doit donc continuer d’une manière ou d’une autre. L’Etat est toujours aux mains des éléments féodaux. Le gouvernement semble être sous direction communiste, mais l’UML et le Madhesi Janaakhikar Forum ne sont rien d’autre que des agents des propriétaires fonciers et des éléments féodaux. Ils servent les forces féodales. L’incident de Mirchaiya a montré clairement qu’ils n’étaient pas du côté des pauvres. Ainsi, j’ai été amené à dire que si les occupations des paysans sans terre étaient expulsées de Mirchaiya par la force, ce serait le commencement de la deuxième révolution (la guerre populaire). Il ne faut se faire aucune illusion à ce sujet.

Lutte de ligne au sein du parti

Il n’y pas beaucoup de pays au monde où tous suivent avec beaucoup d’intérêt… la lutte de ligne au sein du parti communiste maoïste. C’est le cas au Népal. Le PCNm y est majoritaire depuis avril. L’avenir du pays dépend de sa ligne politique, il concentre les espoirs des travailleurs, et il suscite la vigilance inquiète des puissances impérialistes.

Au cours de ce mois de novembre 2008, le PCNm a réuni son Comité Central, puis une Conférence nationale des cadres (environ 1500 personnes). Un congrès est prévu pour juin 2009 (5 à 6000 militants). Les débats sont vifs, et ouverts. Selon leur habitude, c’est-à-dire conformément à leur politique communiste maoïste, nos camarades népalais informent et consultent les travailleurs, car ils savent que là est leur force. Et les travailleurs se passionnent pour les choix politiques du parti, parce qu’ils savent que là se joue leur avenir.

Quel est le contenu du débat ?

Des plus classiques ! Après dix ans de guerre populaire, de 1996 à 2006, et deux années de lutte politique intense, la royauté a été abolie. Le PCNm s’est révélé nettement majoritaire aux élections à l’Assemblée Constituante avec 40% des voix, contre 20% au parti de gauche UML, et 20% au parti de droite, le Congrès Népalais. Faut-il maintenant consolider cette victoire, mener la lutte politique essentiellement par en-haut, rester prudents face au danger impérialiste ? C’est dans ce sens qu’allait le texte présenté au Comité Central par Prachanda, ancien secrétaire du parti et maintenant premier ministre. Ou faut-il se servir de cette victoire comme tremplin pour aller de l’avant, s’appuyer encore et surtout sur la mobilisation des travailleurs (« par en-bas »), et proposer la création d’un front uni pour la révolution mondiale ? C’est dans ce sens qu’allait le texte proposé par Kiran. Le Comité Central n’a pas dégagé de majorité claire.
Une politique réformiste mènerait à un Népal développé mais capitaliste, tandis que la voie révolutionnaire donnera tout le pouvoir aux travailleurs et posera au monde entier la question du socialisme. Même si la révolution au Népal en est encore à l’étape démocratique et nationale, la question de sa direction, c’est déjà : bourgeoisie ou prolétariat.


Beaucoup de choix politiques sont immédiatement en jeu :

la réforme agraire, l’extension ou pas des communes populaires existantes, le développement économique, la place faite aux capitalistes nationaux et étrangers, la mobilisation ou pas, et sur quelles tâches, des travailleurs des villes, l’alliance avec l’UML, la nature du futur Etat et de la future armée (coexistent actuellement une armée rouge et une armée nationale), la politique internationale, etc.
Une chose est sûre : le PCNm est un parti vivant, démocratique, loin du modèle stalinien d’un parti monolithique et verrouillé. Mais le débat y est organisé, il a pour but l’unité, une unité d’action politique (pas de fractions !). La situation est complexe, avec un point de vue maoïste modéré qui semble dominer au gouvernement, un point de vue maoïste plus radical qui semble majoritaire à la base (lire page suivante). Les tâches sont complexes : il faut à la fois, comme disaient les communistes maoïstes chinois, « faire la révolution et développer la production ». Une autre chose est sûre : nous suivrons avec beaucoup d’intérêt les résultats des débats de la Conférence nationale des cadres, et ceux du congrès du PCNm début 2009 !

M. C.

Nos articles précédents :
Débats au sein du PCNm (n° 221) ;
La révolution népalaise, obstacles et perspectives ;
Quelques leçons de la révolution chinoise (n° 220).
A consulter également :
nouveaunepal.over-blog.com.
Lire sur ce site : « Le débat dans le parti : réforme ou révolution », par Sanam, octobre 2008

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