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Où en est le mouvement des sans-papiers

Partisan Magazine N°16 - Janvier 2021

L’OCML Voie Prolétarienne travaille depuis sa création, il y a 45 ans, pour l’unité de la classe ouvrière, l’unité des ouvriers français et immigrés contre l’exploitation capitaliste [1]. Dès la lutte des foyers Sonacotra (1974-1980) et contre les mesures Stoleru (1976), nous sommes là aux côtés de nos camarades sur quelques mots d’ordres très simples :
-  Ouvriers français et immigrés, avec ou sans papiers, une seule classe ouvrière !
-  Non au cas par cas, régularisation sans condition de tous les sans-papiers !
-  Egalité absolue de tous les droits !
-  Liberté de circulation et d’installation !
-  Un seul combat commun, français et immigrés contre l’exploitation capitaliste, la répression et les expulsions !
-  A bas la FrançAfrique ! A bas l’impérialisme français !
Depuis le confinement, la lutte des sans-papiers a largement repris, à la tête de la remobilisation dès la fin du mois de mai, montrant l’exemple de ce qu’est un combat déterminé à l’ensemble des exploités.
Nous avons donc voulu faire le point, très concret, et nous donnons la parole à trois camarades investis dans le combat, dont Cheikh, militant sans-papiers actif dans le collectif Schaeffer d’Aubervilliers, Arthur et Lara militants syndicaux dans leur entreprise et militants de VP, actifs dans le soutien.

Lara : Salut les gars, ça va depuis hier ? Vous en avez pensé quoi de l’arrivée de la marche sur Paris ? Pour moi, ce 17 octobre, ça a été génial ! Il y avait beaucoup de monde j’ai trouvé, on peut même dire que c’est pas retombé en fait depuis les manifs du 30 mai et du 20 juin. En plus j’ai vu plusieurs collectifs qui se sont créés depuis le printemps. Ça donne de l’espoir pour la suite.

Arthur : Ça va merci ! C’est vrai Cheick, Lara a raison. Il y avait du monde et de la détermination, y compris parmi ceux qui ont marché pendant plusieurs semaines. Le collectif Schaeffer était bien représenté et on m’a dit que vous avez animé le cortège qui venait de Saint Denis. Comment tu l’expliques, toi, ce renouveau dans le mouvement des Sans Papiers auquel on assiste aujourd’hui ?

Cheick : Déjà, moi je pense que ce qui explique la forte réapparition du mouvement des Sans-Papiers, quand on en discute avec les camarades du collectif, c’est qu’en arrivant en France les grands Frères qui nous ont précédé ont tout de suite mis l’accent sur la régularisation. Ils avaient bien compris qu’une fois que tu as les papiers, c’est l’ouverture à tout, et ils nous ont tracé la voie à suivre ! En plus ici tous sont conscients de l’exploitation des patrons. Il y a des patrons qui sont au courant que les gens ne sont pas régularisés et ils les font travailler à moindre coût. Il y a aussi certains patrons qui demandent les papiers mais si tu envoies les papiers d’une autre personne parce que tu travailles sous alias et bien ils acceptent. Donc tout ça c’est de l’exploitation, et tu te fais parfois même exploiter deux fois, et par le patron et par celui qui te donne ses papiers pour que toi tu travailles. Donc on se dit à un moment il faut se battre pour avoir soi-même ses papiers. On a compris la nécessité de se mettre ensemble et on ne voit que par les papiers, il faut être régularisé pour pouvoir s’en sortir. Je pense que c’est ce qui fait que les camarades se lancent de plus en plus dans la lutte.

Lara : Après ce n’est pas un phénomène nouveau, les luttes pour les papiers accompagnent les vagues d’immigration qui se sont succédées en France. Tu disais, Cheick, oui chez nous les anciens... D’accord mais les Polonais, les Italiens, les Portugais, les Espagnols et après les Maghrébins, ils ont déjà vécu ça ! Et pourquoi aujourd’hui ces luttes semblent repartir de plus belle alors que le mouvement social lui tourne au ralenti ?

Cheick : Oui, il y a ce que je disais tout à l’heure, et en plus quand les camarades ont appris qu’il y avait des régularisations au Portugal et en Espagne, voilà ça a motivé aussi.

Arthur : Tu as des exemples de discussions que tu as eues ici avec des camarades de Schaeffer qui se sont dits : mais mince, il y a des régularisations au Portugal, en Italie, en Espagne aussi je crois, et pourquoi il n’y en aurait pas en France ?

Cheick : Oui, il y a plusieurs camarades qui m’ont approché à ce sujet. Voilà, moi je disais que peut-être il y aura aussi en France parce que les parlementaires en discutaient mais ils n’ont pas eu plus de voie. Après quand c’est pas passé au parlement, le découragement s’est tout de suite fait sentir, voilà.

Lara : Mais je crois que les parlementaires en France, ce qu’ils voulaient c’était une régularisation temporaire, le temps de passer le confinement et après basta ! C’est quand même des positions vachement hypocrites et pourries qu’ils défendaient. Ce n’est pas la régularisation sans condition !

Arthur : Là il y a eu trois forts mouvements à la suite, ça fait longtemps qu’il n’y avait pas eu une telle émulation. Avec le Covid et le confinement, vous avez été très sollicités et vous vous êtes trouvés en première ligne, dans les livraisons et le nettoyage par exemple. Ça, ça peut être un facteur qui explique que vous vos êtes sentis plus indispensables, les Sans Papiers ont eu plus conscience de leur poids dans la société.

Cheick : Moi ce que je pourrai dire, c’est qu’à un moment il y avait du découragement, parce que voilà, après 5 ans, 10 ans de lutte dans les différents collectifs, tous n’ont pas eu la chance d’être régularisés. Mais dernièrement, il y a eu des régularisations dans certains collectifs de Sans Papiers, je prends l’exemple des camarades de Chronopost ou Frichti, ceux qui font la livraison. Quand dans les autres collectifs les gens ont su qu’ils avaient été régularisés, ils ont compris la nécessité de se mettre ensemble, voilà de lutter ensemble. De ne pas rester isolé. Moi je pense que ça explique un peu ça aussi.

Lara : Ce qui est sûr, c’est que vous, Sans Papiers, êtes les principales victimes de l’exploitation capitaliste et que le confinement a accentué et rendu encore plus visible cette surexploitation. A Schaeffer, vous êtes quasi la moitié à faire les livraisons mais personne n’a eu les papiers. Pourquoi certains sont régularisés et d’autres non selon toi ?

Cheick : Bien, c’est toujours cette différence que les préfectures font. Ils vont régulariser les gens au cas par cas, ils vont demander des fiches de paye, tout ça. Ils trouvent toujours des lois pour ne pas régulariser les gens. En fait c’est ce côté qu’on comprend pas jusqu’à présent. Il y a un camarade qui posait la question : mais pourquoi ils ne nous régularisent pas tous, pour qu’on puisse payer des impôts, pour qu’on puisse travailler et être déclarés ? Il y a un autre qui répondait comme ça : bien, si on est tous régularisés et que les gens ils travaillent un temps et après ils se mettent au chômage pour toucher les allocs… C’est ce qui fait qu’ils ne veulent pas régulariser, tout ça. En fait c’est des questions qu’on se pose entre camarades, on réfléchit, on cherche à comprendre pourquoi le gouvernement ne veut pas régulariser les gens. Hormis le fait qu’on nous laisse à la merci des patrons. Pourquoi ils ne prennent pas eux même l’initiative de régulariser les Sans Papiers au lieu qu’on nous fasse passer par des patrons, qu’on soit à leur merci ? Pourquoi les patrons ils ne veulent pas donner des promesses pour faire un contrat, pour qu’on passe demander la carte de séjour à la préfecture ?

Lara : Tu sais, les capitalistes, ça leur fait une réserve de main manœuvre qui les arrangent bien finalement. Tu imagines s’ils régularisaient tout le monde comme tu le dis, quel est l’intérêt pour eux ? Là, ils peuvent choisir les gens qui les intéressent, c’est-à-dire par rapport à leur métier, et les mettre en concurrence aussi avec les autres travailleurs du pays. Tout est bénef pour eux là-dedans ! Ils n’ont pas intérêt à régulariser tout le monde. Ils prennent, ils jettent. C’est pour ça qu’on utilise souvent la formule « on est de la chair à patrons ». C’est exactement ce que nous sommes pour eux, nous les prolos.

Cheick : Ceux d’entre nous qui travaillent au noir ont bien compris ça ! Pour en revenir au 17, moi ce que j’ai trouvé de positif la dernière fois c’est qu’il y avait un bon mélange. Il y avait des Arabes, des Afghans, des Asiatiques. Il y avait tout le monde. Mais par contre entre tous ces collectifs il y a quand même un petit racisme qu’il ne faut pas nier. Par exemple un Ivoirien qui va détester un Malien ou un Burkinabé, mais ça, ça remonte depuis le pays d’origine. Parce que voilà, dans les champs de café et de cacao, la plupart de ceux qui travaillent dans ces champs-là, pour les Ivoiriens, c’est des Burkinabés. De la même manière pour les Maliens, il y en a beaucoup qui vont immigrer en Côte d’Ivoire pour pouvoir se construire une maison au Mali, un peu comme nous qui venons en Europe. Donc ça fait que l’Ivoirien a tendance à se croire supérieur aux Burkinabés ou aux Maliens. Et même dans les discussions tu vas entendre des Africains subsahariens qui vont dire : on n’aime pas les Arabes parce qu’ils sont mauvais. Ça c’est pour la dernière vague qui est passée par la Tunisie, le Maroc ou la Libye, par rapport à ce qu’ils ont vécu sur place dans ces pays-là.

Arthur : C’est intéressant ce que tu dis là, et c’est un frein à l’unité ça ? C’est-à-dire, est-ce que les relations entre communautés dans les pays d’origine ont des conséquences négatives ici ? Par exemple le fait que les Ivoiriens se sentent supérieurs aux Burkinabés ou aux Maliens…

Cheick : Pas trop, mais ça joue un peu. Ce qui ressort c’est le côté un peu raciste de la chose. Parce que voilà, ce qu’on voit le plus c’est le communautarisme, le repli des communautés sur elles. Après ce qui est bien à Schaeffer, c’est que nous très tôt on a dit aux camarades : ici c’est pas que des Ivoiriens, il y a tout le monde. Et même parmi les Ivoiriens, c’est pas que des ressortissants du nord, tu vas retrouver des Ivoiriens de toutes les ethnies ici. Même entre nous, il peut y avoir des propos racistes. Donc ça on a beaucoup travaillé dessus pour dire attention.

Arthur : Dis-moi, dans le nord c’est plutôt les pro-Ouattara c’est ça ?

Cheick : Oui et au sud pro Gbagbo et pro Bédié, au sud c’est mélangé. En fait tous les nordistes n’étaient pas pro-Ouattara, il y en a beaucoup qui étaient pour le PDCI de Bédié et même pour Laurent Gbagbo, le FPI. Mais après, tellement ils ont stigmatisé, ils ont rejeté les nordistes vers Ouattara, il y a certains qui se sont sentis obligés de suivre Ouattara rien que par leur patronyme. Dès que tu présentes ta carte d’identité tu es obligé de choisir un camp même si tu n’as rien à faire là-dedans, mais dès que tu dis ton nom, on dit : Ah oui c’est des gens de Ouattara !

Lara : Pour sortir de la situation à Schaeffer, dans le mouvement des Sans Papiers, est-ce que la situation politique dans le pays d’origine a des conséquences ici ? Le fait que des courants politiques soient très liés à des régions particulières, est-ce que c’est aussi un frein à l’unité ici ?

Cheick : Ça dépend. Ici comme on se connait déjà, ça fait que ça passe. Par contre, d’un collectif à un autre, ça va pas forcément passer. Par exemple, si on rencontre un collectif où la majorité sont Maliens et qui sont opposés à Ouattara, ça va pas toujours passer. Donc ça ne renforce pas l’unité dans ce cas.

Lara : Oui, c’est pas gagné, le combat va encore être long et difficile. Il faut arriver à l’unité pour faire plier le gouvernement, et il faut aussi se méfier de tous ces faux amis qui se veulent toujours très raisonnables et ne régulariser que celles et ceux qui ont un « bon » dossier. Au final, ce qu’ils font, c’est juste servir d’auxiliaire aux préfectures, et ils développent la division.
Il y a pas mal de contradictions, et notre rôle, à nous les militants communistes, français ou immigrés, est de trouver comment les surmonter pour renforcer notre combat commun contre les exploiteurs impérialistes, ici ou au pays.

[1Nous venons de mettre en ligne sur notre site plusieurs tracts et articles de cette époque sous le titre « le combat pour l’unité de la classe ouvrière, français et immigrés, à la fin des années 70 ». Pour plus de réflexion, voir aussi le N°3 de notre magazine Partisan, qui comporte tout un dossier sur la question et désormais intégralement en ligne sur notre site ocml-vp.org.

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