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Interview d’un animateur du blog "Où va la CGT ?"

Partisan Magazine N°19 - Mai 2022

On va essayer de faire un petit point rapide sur la situation du prolétariat, entre crise du COVID et crise ukrainienne… Interview d’un camarade animateur du blog « Où va la CGT ? » réalisée mi-avril, donc susceptible d’être un peu dépassée par l’actualité à la publication de ce magazine.

Pour commencer, quelles réactions autour de l’Ukraine ?

On ne va pas parler des militants politisés, mais de la grande masse des travailleurs. Je pense qu’on peut dire que le sentiment, c’est l’inquiétude et la peur. Certains parlent de la « folie » de Poutine, d’autres craignent une nouvelle guerre mondiale, tous sont choqués par l’invasion de l’Ukraine.
Mais ça ne va pas plus loin, sinon une large solidarité de principe avec les réfugiés, avec le peuple ukrainien…
Mais pas de vraie mobilisation anti-guerre, pas de compréhension de l’affrontement entre puissances impérialistes, on a beaucoup régressé depuis vingt ans.
Il y a un vrai travail d’explications et de compréhension, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons décidé de faire une petite plaquette « Questions et Réponses sur la guerre en Ukraine », en reprenant ce que nous entendons ici ou là. D’ailleurs nos lecteurs peuvent la trouver en ligne et nous la demander sous forme imprimée s’ils ou elles le souhaitent, pour la distribuer autour d’eux. Et ce numéro de magazine apporte plusieurs informations complémentaires pour s’y retrouver dans les débats et polémiques.
Oui, il y a du travail à faire.

Les élections ?

Le mieux, c’est de lire l’éditorial de ce magazine, rédigé à l’issue du premier tour, ça sera surement plus d’actualité !

Sinon, les sujets importants de ce début d’année ?

Les salaires bien sûr, et évidemment ça va s’accentuer avec la guerre en Ukraine et l’explosion des prix de l’énergie. Le litre d’essence à 2€ et plus, ça ne passe plus. Et l’inflation réapparait, qui motive des conflits un peu partout. Ce qui explique en partie la campagne démagogique de Le Pen sur le sujet.
On voit des grèves, à la fois dans des boites surexploitées comme dans l’agro-alimentaire (Tipiak, Nestlé, Lustucru, Bel, Bonduelle…) pour des augmentations un peu plus importantes qu’annoncées, mais aussi dans des usines plus qualifiées (Kem one, Hutchinson, Dassault, Safran, Alstom, Veralia…).
On retrouve dans ces conflits la contradiction de classe qui traverse le mouvement ouvrier depuis sa constitution : d’un côté les prolétaires qui défendent leurs conditions de survie basiques, de l’autre l’aristocratie ouvrière qui veulent profiter de l’occasion pour maintenir leur situation favorable. Même si la défense des salaires est toujours juste (c’est une « limitation » de l’exploitation), il y a la forme. Quand on voit le mot d’ordre à Dassault : « Nos 200 balles ou pas de Rafale », d’ailleurs repris sans critique par Lutte Ouvrière, on est carrément effrayés – d’autant plus quand la guerre en Ukraine est en cours. C’est carrément pro-impérialiste, militariste, ce n’est pas possible de défendre ça !!!

En même temps, oui, on a vu plus de conflits que les années précédentes, mais on n’oublie pas qu’ils ont lieu en début d’année, en pleine période de NAO (Négations Annuelles Obligatoires), donc une forme de rituel officiel pour un meilleur partage des richesses négocié avec des syndicats réformistes sans vraiment rage et colère anticapitaliste.
Ne crachons néanmoins pas sur ces conflits, c’est aussi une manière de reprendre la lutte, de la combattivité, et un moment ou les communistes peuvent aborder des tas de questions essentielles, comme la hiérarchie, la notion de minimum ou de plafonnement des salaires, la nature des besoins pour les prolétaires, la distinction avec les cadres ou la petite-bourgeoisie intellectuelle, ce qu’on appelle les « charges sociales » etc.
Mais ne soyons quand même pas trop dupes. On n’est pas à la veille d’une révolution !

Bon et en dehors des salaires ?

C’est un peu calme plat en ce moment. Des sujets comme la précarité, la sous-traitance, la pénibilité, les retraites, les droits des privés d’emploi, il n’y a pas de conflit phare (par exemple comme a pu l’être la grande grève victorieuse des femmes de chambre à Ibis Batignoles) qui puisse tirer la mobilisation. Certains syndicats restent actifs sur ces sujets, par exemple le mot d’ordre de « Réinternalisation de la sous-traitance » progresse doucement, qu’il s’agisse de Orange, de Total Donges ou de la SNCF – parfois pour des raisons pas très claires (l’intérêt de l’entreprise !!) il faut quand même le dire.Les personnels des EHPAD sont toujours sur la brèche, aide-soignant.e.s et autres, qui n’en peuvent plus de surexploitation. Des conflits, des occupations, pour des emplois, pour les salaires, aidés par la publication de livres comme « Les fossoyeurs » sur Orpéa, ou l’émission « Cash Investigation » sur Korian. Conflit récurrent, partout, quand ça se calme à un endroit, ça part à un autre…

Et puis, un autre conflit larvé depuis l’an dernier parmi les territoriaux dans toute la France, qui n’a pas réussi à s’élargir et prendre un caractère national. Pourtant, Toulouse, Clermont-Ferrand, Lille, Grenoble, Paris, Aubervilliers, partout c’est le conflit contre la remise en cause des horaires de travail, contre l’annualisation à 1607h imposée par la nouvelle loi de transformation de la fonction publique (article 47). Annualisation qui aboutit à la suppression de jours de congés, l’allongement de la durée de la journée de travail etc. C’est en fait l’application à la fonction publique des règles de flexibilité déjà largement appliquée dans le privé depuis des dizaines d’années (loi Aubry de 1998 etc.).
C’est dommage, chacun part dans son coin, en essayant de négocier localement avec les mairies la récupération d’une part de pénibilité, des jours spéciaux… Alors qu’il s’agit évidemment – pour tout le monde – d’une mesure de réorganisation pour supprimer des postes et augmenter le temps de travail. Le fait que ça n’ait pas réussi à s’élargir est à la fois la manifestation d’une combattivité limitée, et d’autre part du réformisme crasse des syndicats territoriaux, souvent attachés aux mairies de mille liens invisibles mais bien réels…
Pareil, il y a eu une tentative réelle de mobilisation autour de la nouvelle Convention Collective Nationale de la Métallurgie (il n’y en avait pas avant, que des conventions locales ou particulières), imposée par le MEDEF et les syndicats collabos. Mais ça n’a pas pris malgré quelques rassemblements et mobilisations, là, c’est plus le repli et le fatalisme des ouvrier.e.s qui l’ont emporté.

Et puis il faut parler des sans-papiers…

Ah, oui, bien sûr. La combattivité ne faiblit pas, pour les papiers, pour le logement, pour le travail.
Il y a par exemple, à l’heure où je parle (mi-mars donc), trois conflits qui durent depuis plusieurs mois (octobre 2021) à RSI-Intérim Gennevilliers (92), à DPD filiale de La Poste au Coudray (91) et Chronopost à Alfortville (94). Trois grèves de sans-papiers avec le soutien de SUD et du CTSPV de Vitry.
Trois conflits durs, où les préfectures comme les entreprises ne lâchent rien.
Franchement, même pendant les confinements, la mobilisation n’a pas cessé, même s’il y a eu des pauses et parfois des reculs. Mais ça reprend toujours, parce que la situation des sans-papiers, c’est la précarité ultime, non ? Le travail au téléphone portable, une heure, une journée, une semaine. Et parfois (comme à Montreuil), même pas payés !
A souligner que ces grèves ne « respectent pas les règles », celles de la circulaire Valls de novembre 2012 toujours en vigueur. Et c’est à leur honneur ! Car cette circulaire est un véritable scandale, du tri au cas par cas, selon des critères fixés par l’Etat en fonction des besoins de l’économie capitaliste.

A cette occasion, il faut dénoncer vertement l’attitude de la CGT confédérale qui joue à fond le jeu de la circulaire Valls, sélectionne les « bons » sans-papiers, constitue leur dossier, bref, se comporte en véritable auxiliaire des préfectures, en assistante sociale qui abandonne toute dignité de classe. Pour nous chanter ensuite la victoire après seulement une semaine de grève (qui peut y croire ?), évidemment c’est bidon, tout était ficelé d’avance. D’ailleurs, on sait que la responsable de la CGT se gargarise d’avoir le numéro direct du ministère pour régler les dossiers. Et tant pis pour les abandonnés, comme à Frichti, ceux qui ne rentrent pas dans les « critères Valls ». Et tant pis quand le syndicat et les sans-papiers sont roulés dans la farine par le patron comme à Sépur Bobigny – mais ça on ne s’en vante pas. C’est pathétique de voir ce syndicat réduit à jouer les auxiliaires, dans le cadre d’une circulaire d’un des pires ministres de l’intérieur qu’on ait connu ces dernières années…

Non, les vrais conflits de classe, pas la négociation réformiste cachée et pourrie, ils vont continuer, juste parce que cette vie de sans-papiers est insupportable et que la seule issue est la lutte collective. Il faut soutenir ces conflits, soutenir les collectifs de sans-papiers, soutenir cette lutte de classe radicale contre l’exploitation et l’impérialisme !

Sinon ?

C’est un panorama vite fait. Il faudrait aussi parler de la décomposition et de la pourriture des syndicats réformistes, de l’affaire Benjamin Amar dans la CGT, de la guerre des clans aussi dans ce syndicat, de la verticalisation et des sanctions contre les syndicats combatifs… Une autre fois.
La tendance, c’est quand même la crainte et la résignation, mais avec quelque part le sentiment que c’est vraiment « un système » global, et qu’il faut en finir avec lui, même si on ne sait pas trop comment. Donc à la fois un potentiel de révolte politique, et à la fois des limites qui empêchent qu’il s’exprime. Après, c’est notre boulot de militant, l’existence d’une organisation efficace et réelle, qui fonctionne comme un vrai collectif, pas la somme des révoltes individuelles des un.e.s et des autres, qui restera sans issue…

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