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Au Mali, les populations ne sont pas naïves ! Avec elles, menons le combat contre notre impérialisme !

Il y a tout juste un an l’opération impérialiste française Serval démarrait au Mali. Avec le déploiement actuel de milliers d’autres militaires français et étrangers en Centrafrique, il est devenu évident que Serval était la rampe de lancement pour un nouveau repartage des intérêts impérialistes à l’échelle de toute l’Afrique, la France cherchant à mener la danse.
Façon d’affirmer que notre combat internationaliste pour le retrait de toutes les troupes et de tous les intérêts français à l’étranger est plus que jamais à l’ordre du jour, nous avons interviewé début décembre un camarade malien sur la façon dont la situation a évolué au Mali et en Afrique.

 

Tu étais au Mali cet été juste avant les élections présidentielles. As-tu trouvé là bas une population soulagée par l’intervention française ?

 

C’est vrai que les populations ne sont pas suffisamment informées et que l’intervention militaire a pu d’abord masquer la réalité des intérêts en jeu. Mais celles qui sont un peu informées avec qui j’ai eu à discuter ne sont pas naïves. Elles ont vite compris que ce n’est pas seulement leurs intérêts que la France est venue défendre. Elles ont compris que la France a ses propres intérêts, qu’elle cache. Depuis les années 80, on sait que la France est intéressée par la base de Tessalit. Les djihadistes ont été le prétexte tout trouvé pour venir s’installer sur cette base tant convoitée. Quand j’étais au Nord, j’ai rencontré des groupes de jeunes qui sont conscients que l’intervention de la France n’est pas dans l’intérêt des populations maliennes. A Bamako aussi, j’ai eu la chance d’animer deux conférences avec des gens qui ont compris que la France venait au Mali pour défendre ses propres intérêts.

 

S’ils sont conscients de ça, comment voient-ils les intérêts de la France ? Avoir une base à Tessalit, OK, mais pourquoi une base à Tessalit ?

 

Cette base permet de contrôler les richesses naturelles, plus particulièrement d’avoir la mainmise sur l’uranium du Niger exploité depuis déjà 40 ans. C’est une façon d’avoir les pieds sur le terrain pour explorer et exploiter les richesses de la zone pour les entreprises françaises.

 

Les élections dites « démocratiques » se préparaient. Comment as-tu vu cette préparation ?

 

Démocratie, c’est un grand mot. Les conditions de préparation ont été catastrophiques. C’est la CEDAO, avec la France et la communauté internationale derrière, qui ont fait des pressions sur les autorités de la transition maliennes pour que les élections aient lieu coûte que coûte et quelles que soient les conditions. On sait très bien que le temps d’une bonne préparation n’a pas été pris. On a pu constater que des gens n’arrivaient pas à trouver leur noms sur les listes, d’autres n’arrivaient pas à obtenir leurs cartes, d’autres ne trouvaient pas leur bureau de vote… La pression de la communauté internationale pour faire croire que les élections étaient démocratiques visait seulement à faire élire un nouveau président. C’est au peuple malien et pas à la communauté internationale de juger si ces élections ont été démocratiques ou pas.

 

Et les gens ont voté ? -

 

C’est la communauté internationale qui fait savoir qu’il y a eu une participation très élevée. Mais dans la réalité des choses, certaines populations ont dénoncé ces élections en disant qu’il fallait laisser le temps aux partis politiques pour s’organiser, et à l’administration pour constituer des listes électorales. ( NDR : La même communauté internationale a quand même bien été obligée de reconnaître que les élections législatives de fin 2013 qui ont suivi la présidentielle ont été un bide du point de vue de la participation des électeurs).

 

Pendant ces élections, comment se sont positionnées les forces politiques qui étaient contre le gouvernement d’ATT et l’intervention étrangère au moment de putsch de Sanogo ?

 

Elles se sont divisées. Celles qui étaient contre ATT depuis 2002 ont dénoncé le caractère non démocratique de ces élections. Elles ont demandé le report pour une meilleure préparation. Mais on sait comment fonctionne la communauté internationale. Elle fait des pressions pour mettre en place le président qui défendra les intérêts des capitalistes, ceci n’ayant rien à voir avec l’intérêt des populations. Le président qui a été élu, on le connaît. Il a été premier ministre pendant 5 ans, président de l’Assemblée nationale pendant 5 ans. Il a vraiment la main dans la pâte. Son bilan est catastrophique. Il dit qu’il n’avait pas les mains libres avec le président Konaré. Mais quand on n’a pas les mains libres, on peut démissionner, ce qu’il n’a pas fait… IBK, c’est l’homme qui a été préparé par la France et ses alliés pour qu’il soit président de la République. Quelles que soient les conditions de l’élection, il devait être élu.

 

Il y avait IBK, mais les autres, toute cette coalition qui avait soutenu Sanogo, qu’est-ce qu’ils ont fait ?

 

C’est vrai, il y avait le COPAM qui avait soutenu Sanogo et dit non à l’intervention de la France, qu’elle considérait comme une invasion. Pendant les élections, on a été un peu surpris. On aurait pu penser que les pro-putschistes allaient se comporter en forces progressistes et rester en marge de cette cacophonie. Malheureusement, ils ont soutenu IBK pour contrer le MDR.

 

Est-ce que cette idée de soutenir IBK pour éviter le MDR, ce n’est pas comme soutenir Hollande pour éviter Sarkozy ?

 

Pas forcément, car Hollande n’avait pas l’expérience du pouvoir qu’avait IBK, mais les deux font partie de l’Internationale Socialiste, et c’est vrai qu’avec le mot de socialisme, on trompe encore du monde… En Afrique, même si certains savent qu’il ne suffit pas de se réclamer du socialisme pour être progressiste, ça peut toujours tromper quand on se réclame de la gauche socialiste…

 

Quelle propagande a fait le COPAM pendant les élections ?

 

Surtout, que les richesses du Mali doivent servir aux populations maliennes et être exploitées par les Maliens pour les Maliens. Du moins, c’était leur propagande au 1er tour quand ils présentaient leurs propres candidats, comme Oumar Maricko, avant de se rallier à IBK au 2ème tour. Mais leurs moyens de propagande étaient très réduits par rapport à ceux d’IBK et des autres. Maricko a dénoncé à ce moment-là l’intervention de la France.

 

Et aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe au Mali ?

 

Certaines forces politiques, composantes du COPAM, ont commencé à organiser des manifestations pour dénoncer la politique d’IBK qui passe son temps à aller de sommet en sommet sans se préoccuper des besoins des populations. Au vu de la réalité de ce que fait IBK, ceux qui ont été aveuglés par ses promesses de changement commencent à se rendre compte que c’était du vent et qu’il continue la Françafrique. Dès son arrivée au pouvoir, IBK —s’est lancé dans l’organisation des Etats Généraux de la Décentralisation. Or la décentralisation, c’est une idée déjà proposée par la France pour le Mali. Et ça veut dire quoi, de faire un pays décentralisé du Mali ? C’est comme la démocratie que la France prétend nous imposer depuis 1990, des discours politiques qui n’ont apporté aucun changement social allant dans le sens des intérêts des populations. Même des élus qui ont participé aux états généraux de la décentralisation les ont dénoncés. On a compris maintenant qu’IBK n’est pas l’homme du changement mais celui de la continuité de la Françafrique.

 

Ce n’était pas pour répondre aux revendications du MNLA, cette idée de décentralisation ?

 

En réalité, on nous dit que c’est pour donner de l’autonomie à chaque commune, mais c’est pour endormir les gens et faire passer le temps, et ça ne change rien. Il y a eu des manifestations locales, à Gao, dans le nord, pour dénoncer le fait que les Assises du Nord se sont tenues sans même que les populations locales du nord soient invitées…

 

Quelle est la situation à Kidal, avec ces actions armées de groupes soi-disant éradiquées ?

 

L’armée française laisse pourrir exprès la situation à Kidal. Cela lui permet de maintenir sa présence et la possibilité pour elle de profiter du pétrole et des richesses de la zone. Il ne peut pas y avoir de règlement de la situation si les besoins en eau des populations locales ne sont pas traités, par exemple. Mais le fait nouveau, c’est qu’aujourd’hui à Gao, Tombouctou, Bamako, des Maliens sortent pour dire que la France ça suffit, la situation à Kidal ne peut pas continuer comme ça, avec le MNLA, des troupes africaines et françaises, et l’armée malienne qui y est marginalisée. Il y a deux semaines environ, il y a eu une manif à Bamako pour dénoncer les positions françaises, en soutien au MNLA à Kidal.
C’est dans toute l’Afrique que la France cherche à redéployer ses forces : le sommet à Paris « pour la paix et la sécurité » avec 40 chefs d’Etat africains, l’intervention en Centrafrique…
Ce sommet est un sommet de prédateurs. Une façon pour la France de récupérer ce qu’elle était en train de perdre, sa place de 1er pays colonial en Afrique, à un moment où la Chine arrive avec la même politique d’exploitation capitaliste. L’intervention en Centrafrique a été montée de toutes pièces. Il n’y a pas de guerre de religion pour des populations qui vivaient ensemble depuis toujours, mais une manipulation. C’est la France qui avait mis Bozizé en place, mais Bozizé a passé des contrats miniers avec la Chine. C’est la concurrence pour le pétrole et les diamants.

 

Pour conclure, quand tu es revenu, étais-tu optimiste par rapport au potentiel de lutte de populations maliennes ?

 

Je sais que ce n’est pas facile car les gens qui veulent changer la donne sont réduits au silence. Mais il ya des gens et des jeunes qui comprennent que le développement n’est pas pour demain s’ils ne s’y mettent pas eux-mêmes, et ils s’organisent.

 

Que faire de l’extérieur pour aider ces forces d’avenir ?

 

Informer sur les luttes des populations locales qui se mènent sans répit : luttes autour des mines de Sadiola contre la destruction de l’environnement, il n’y a même pas un mois, lutte contre les licenciements et le gouvernement dans des huileries à Koulikoro, et les manifestations contre l’occupation étrangère qui vont arriver… Ne pas laisser croire que la situation est « normalisée » !

 

CEDEAO : Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
ATT : Amadou Toumani Touré
IBK : Ibrahim Boubacar Keïta
MNLA : Mouvement National de Libération de L’Azawad.

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