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Maroc : où en est l’organisation des révolutionnaires ?
Partisan N°271 - Février 2014
Quelques questions à Abdelaziz Menebhi, co-fondateur de l’organisation marxiste-léniniste Ilal Amam.
Partisan. D’où vient le Mouvement du 20 février ?
A. M. Ce Mouvement s’est créé le 20 février 2011, dans le sillages des révoltes populaires en Tunisie et en Egypte. Mais il a également des racines internes, il est un jalon qui vient après de nombreuses révoltes depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir. Des comités de luttes contre la vie chère se sont formés dans les villes et les campagnes à la suite des émeutes qui éclatent un peu partout au Maroc.
Le programme du Mouvement du 20 février revendique en particulier : la réalisation la plus complète de la démocratie (dissolution de la monarchie, libertés), la justice contre les crimes commis contre le peuple et la libération de prisonniers, les droits pour la langue amazigh, la dignité et la justice sociale.
La révolte vient donc de loin ?
Oui, et elle est aussi la poursuite d’un mouvement initié par le courant marxiste-léniniste marocain. Il faut dire que le m.-l. au Maroc s’est développé à la fois à partir du PCF et contre lui. Le PCF reconnaissait de fait la domination coloniale : il ne soutenait pas la lutte pour l’indépendance du Maroc. En 1956, le Maroc devient indépendant. Un PC autonome a été formé, mais avec des cadres issus du PCF. Il s’alignait sur la politique de l’URSS et reconnaissait la monarchie que dirigerait Hassan II.
Le communisme marocain sombre ensuite dans le révisionnisme : renonciation à la lutte armée, à la dictature du prolétariat, au combat anti-impérialiste au Maroc comme sur la Palestine. En vérité, le PC marocain cautionne le nouveau colonialisme et soutient la bourgeoisie au prétexte que celle-ci pourrait « développer les forces productives » ! Face à cette politique, une base militante se sépare et crée Ilal Amam en août 1970.
Ilal Amam était le seul dans ce combat ?
Non, il y avait d’autres : le groupe « Servir le peuple » et l’organisation du 23 mars. Cette organisation est issue de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP) en 1965, quelques mois avant la mort de Mehdi Ben Barka. Ben Barka était un chef socialiste critique de l’UNFP, opposant au roi Hassan II. Ben Barka a été assassiné en association entre la monarchie et la France. La vérité est qu’il gênait la monarchie, plus qu’il ne la combattait. Sa base politique était formée de politiciens bourgeois.
Quels rapports entre Ilal Amam et le 23 mars ?
Pendant quelques temps, il y a eu alliance dans le syndicat étudiant, l’UNEM. Mais le mouvement du 23 mars a révélé sa nature bourgeoise : il reconnaît ainsi la « marocanité » du Sahara occidental et soutient la domination coloniale par la monarchie.
Le régime réprimait sévèrement ces deux organisations. Ilal Amam a dû faire face à une politique d’arrestation et de torture, ce qui a conduit de nombreux militants à l’exil. Au retour de l’exil, les militants du Mouvement du 23 mars ont créé un parti légal qui soutenait la monarchie, appelé aujourd’hui le PSU (Parti socialiste unifié).
Il faut noter que tous les groupes politiques sont systématiquement pénétrées par le pouvoir, cela ayant de graves conséquences pour l’organisation des révolutionnaires. Ilal Amam est né du PC, et donc a une culture communiste. Il a surmonté certaines difficultés par ses pratiques d’organisation, que d’autres groupes comme le Mouvement du 23 mars n’avaient pas. Les militants étaient organisés en cellule, dans les méthodes du centralisme démocratique, exerçaient la critique et l’autocritique.
Ilal Amam se revendiquait du mouvement ouvrier international et de la critique du révisionnisme en vogue en URSS. Mais il ne dépendait pas du PC chinois. En 1971, le plus grand parti communiste d’Afrique, celui du Soudan, a été détruit et ses militants massacrés. Les militants marxistes-léninistes du Maroc ont été marqués par le fait que la Chine n’ait pas dénoncé ce massacre. « Pas de parti père, pas de pays mère »...
Quelle était la tactique des communistes, comment travailliez-vous dans les masses ?
Ilal Amam est apparu dans des facs et des lycées, dans la petite bourgeoisie scolarisée. Cette origine peut se comprendre : les couches petites-bourgeoises ont été laminé par la politique de la monarchie qui favorisait systématiquement la moyenne et la grande bourgeoisie. Dans les années 1960, ces couches déclassées prennent conscience que l’indépendance est un mensonge, que l’éducation lui est fermée, que les terres abandonnées par les colons sont prises par de nouveaux exploiteurs, etc.
Bien sûr, la France est un élément dirigeant de cette politique néo-coloniale et violemment anti-ouvrière. Au milieu des années 1960, un cycle de lutte s’ouvre avec le besoin d’apporter des réponses radicales contre l’exploitation : lutte armée, parti illégal, révolution démocratique, populaire et anti-impérialiste, révolution économique pour sortir du sous-développement.
Mais l’organisation a eu beaucoup d’influence dans de nombreuses villes et campagnes parmi la jeunesse scolarisée, les ouvriers, les mineurs, les ouvriers du textile. Les étudiants sont à la base du soulèvement de mars 65. En 67-68, il y a des mouvements sociaux des ouvriers agricoles très forts. Les années 70 et 71 sont l’apogée de ce mouvement et Ilal Amam répond à cette montée de la lutte. En 1973, l’UNEM est dissoute et ses responsables arrêtés. Un an auparavant, à son 15e congrès, les marxistes-léninistes en étaient devenu le courant dirigeant.
Quelles sont les conséquences de la répression ?
Hassan II a essayé de détruire ce mouvement par une politique d’arrestations, de tortures et d’assassinats, ce qui continue encore aujourd’hui. Mais la répression n’arrive pas à déraciner les marxistes-léninistes. Face aux arrestations, les militants ont créé des liens entre détenus au sein même des prisons. Dans les années 84-85, les anciens étudiants de l’avant-garde créent l’association des diplômés chômeurs. Face à la répression, cette association entre également dans la clandestinité.
De manière générale, il y a de plus en plus de révolutionnaires marxistes-léninistes depuis les années 70. Mais la répression reste très dure et s’exerce contre toutes les formes de lutte, notamment le mouvement marxiste-léniniste. Il y a des groupes dans toutes les villes et la politique de Mohammed VI pousse de plus en plus de gens à se radicaliser. Les militants ne sont pas isolés, ils sont soutenus dans les masses.
Où en sont les révolutionnaires aujourd’hui ?
Ilal Amam n’est pas une organisation légale, c’était un noyau autour duquel d’autres groupes s’alliaient jusqu’en 1984. Face à la répression, les militants se sont investis dans des associations de femmes, des associations culturelles, de quartier, etc. Les marxistes-léninistes d’aujourd’hui, les « basistes » militants à l’UNEM représentent différentes générations et luttent dans les masses. Mais sans un parti communiste, la continuité entre les générations et les groupes ne peut être assurée.
Mais il faut souligner également que la répression réduit au minimum la possibilité d’une vie politique organisée. Les marxistes-léninistes agissent, mais sans organisation propre : ils sont éclatés en cercles, sans direction, sans vie démocratique commune. Cette situation implique anarchisme et libéralisme. Mais le mouvement en prend conscience et l’on voit une évolution positive. Des camarades s’expriment pour dire la nécessité d’un parti prolétarien constitué, d’une direction politique surmontant les divisions en cercles et les chefferies. On manque enfin de moyens pour se déplacer, se réunir et se former. Il manque une organisation centrale pour coordonner les différents groupes qui composent le marxisme-léninisme au Maroc.
Comment vois-tu évoluer les luttes populaires ?
L’histoire va dans le bon sens : vers la chute de la monarchie. Sa base est rentrée en crise structurelle, et ce ne sont pas les islamistes qui pourraient l’enrayer ! L’islamisme, c’est : le programme impérialiste de la monarchie + l’ordre moral. Résultat : jamais autant de mouvements sociaux, comme de violations des droits humains par l’Etat, n’ont eu lieu depuis leur arrivée au gouvernement. Avec cette expérience est venu le moment de casser cette idéologie et de se débarrasser de la monarchie. L’emprise de l’idéologie islamiste sur le peuple recule ; des tabous sont brisés et cela notamment grâce au Mouvement du 20 février. Les islamistes ne proposent aucune réforme, ils font ce que Mohammed VI exigent d’eux. Je rappelle que le pouvoir réel est de toutes façons représenté par le palais royal et l’impérialisme, français au premier chef.
Par exemple, en passant de nombreux contrats pour le TGV, l’eau, l’essence, l’automobile avec Renault, le gouvernement français soutient à fond la monarchie. Le gouvernement a essayé d’implanter des islamistes dans les mouvements étudiants. Il faut rappeler que dans les années 60, les impérialistes soutenaient les islamistes.
Ainsi le groupe « Justice et bienfaisance » a essayé d’agir au sein du mouvement du 20 février en participant au début du mouvement. Ils sont restés quatre ou cinq mois dans le but de le diriger. La difficulté restant que le peuple ne s’en démarque pas encore, car ils se présentent comme de simples croyants.
Quelles sont les tâches des révolutionnaires ?
Il arrive aux partis politiques bourgeois ou petit-bourgeois de pencher du côté des luttes populaires, mais en définitive, ils se rangent toujours du côté du pouvoir. Le PSU, héritier de Ben Barka, participe au 20 février contre la vie chère et pour la démocratie mais reste fidèle à sa pratique de conciliation avec la monarchie. La Voie Démocratique se revendique à sa façon du marxisme-léninisme, mais c’est un groupe entièrement opportuniste : pacifisme, accompagnement du capitalisme sous le prétexte que ce développement créerait demain les conditions pour la révolution !
L’idéologie qui domine encore le Maroc est bourgeoise, religieuse et néo-coloniale. Mais les idées révolutionnaires recommencent à se fondre dans les classes fondamentales que sont la classe ouvrière et les masses paysannes. L’expérience de travail des révolutionnaires dans les masses est très grande mais, sans organisation, aucune coordination n’est possible, pas plus qu’une ligne politique et une tactique d’intervention.