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Une grève : « L’expérience qui a porté notre unité »

- Partisan. Peux-tu nous présenter l’usine où tu bosses ?
- L’entreprise appartient à un grand groupe. Sur le site travaillent plusieurs centaines d’ouvriers et ouvrières, dont 50 intérimaires. Dans le secteur alimentaire et cosmétique, 80 % sont des femmes. Il y a également un bon nombre de travailleurs étrangers comme moi. Deux équipes alternent en 2x8, une équipe travaille la nuit.
Je suis d’abord rentré comme intérimaire avant de passer en fixe. A ce moment-là, les conditions de travail était tenables. Des intérimaires étaient présents pour s’occuper de la préparation du travail, comme amener des palettes de chargement et faire le conditionnement. Une pause de 10 minutes était prévue au changement d’équipe.

 


- Ces conditions se sont donc dégradées ?
- Oui, en 2 temps. Une première réorganisation est lancée en interne, par la direction du site. La pause de 10 minutes à la relève est supprimée. L’atelier est redisposé, avec un fléchage au sol. L’objectif est de contrôler les déplacements et de fixer à chacun un minimum de déplacements. Ensuite, un cabinet canadien de management intervient. Il prépare idéologiquement le terrain sous le prétexte « d’enrichir la communication » entre nous, ouvriers, et les services techniques représentés par le bureau des méthodes et les ingénieurs.

 


- Comment passent-ils à l’action ?
- Ces experts organisent des tournées, accompagnés des chefs, dans les ateliers de production. Ils enregistrent des vidéos puis les étudient pour détailler notre travail. Ils regardent combien de temps un conducteur de machine prend pour son réglage, etc.
L’objectif ne se fait pas attendre : ils doivent chasser les temps morts, intensifier le travail. Des nouveaux objectifs de production sont fixés. Pour chaque produit, une nouvelle cadence est donnée sur chaque machine. En même temps, les effectifs sont réduits. Le nombre d’ouvriers par machine passe de 4 à 3. De 4 caristes, on passe à 2.

 


- De là vient un ras-le-bol général !
- Bien sûr, le ras-le-bol devient trop gros pour ne pas éclater. A la fin 2013, la section CGT lance la grève contre les conditions de travail. Les ouvriers sont à bout contre une réorganisation qui nous épuise. Le syndicat demande le retour à avant, le délégué critique de son côté le coût du cabinet de conseil extérieur au groupe.
Le 1er jour, il y a 100 % de participation ouvrière... moins 1. Après le débrayage et la diffusion du tract syndical, une AG est organisée. La direction est forcée ensuite de se présenter devant les grévistes : c’est l’occasion pour tous de s’exprimer, avec rage. Beaucoup prennent la parole. 100 000€ sont réclamés pour les conditions de travail (réfection du vestiaire des femmes). D’autres ne veulent pas du nouveau bleu, le pantalon a une poche au lieu de 3 ! Sous cette critique qui n’a l’air de rien, s’exprime en réalité la volonté de desserrer l’étau refermé par la direction pour nous contrôler toujours plus.
Le travail est repris au 4ème jour avec la décision unanime de baisser la vitesse des machines. Au début, la CGT soutient. Rapidement, 2 de ses militants font des tournées contre la grève du zèle et manient le chantage : « Si tu continues, la boîte va perdre ses clients, ça va être pire ... » La direction aussi menace de sucrer l’intéressement. Trois semaines plus tard, le travail reprend effectivement. Selon moi, la détermination était très forte, d’où la frustration contre les magouilles du responsable syndical.

 


- Quel bilan tires-tu de cette expérience ?
- La grève a remis à plat beaucoup de comportements entre ouvriers. Lors de la réunion avec les dirigeants, 2 ou 3 collègues sont intervenus sur leur situation personnelle. Ils ont été recadré par les autres : parce qu’ils ne partaient pas des revendications communes à tous. Alors c’est l’unité qui a pris le dessus. Les bobards ont été dénoncés. La suppression de la pause au changement d’équipe, l’affichage des graphiques de productivité pour chaque équipe ne sont pas des moyens « d’enrichir la communication » ! Ce sont au contraire des moyens pour exciter la concurrence.
Une collègue a fait un virage à 180°. Elle m’avait pris en grippe, parce que je ne suis pas français, en moquant mon prénom et ainsi de suite. Elle m’a pourtant félicité de mon intervention en me disant que j’avais bien parlé. La parole a circulé, à mon avis femmes et ouvriers immigrés sont intervenus activement. Oui, l’expérience est courte, mais elle laissera sa marque.

 

Depuis, Samy s’investit dans l’activité syndicale et il mène une lutte dans sa section pour combattre l’opportunisme qui s’oppose à la combativité de la base. Il retient enfin que, dans leur expérience de lutte, s’est développée l’unité. Des contradictions persistent, mais c’est le soutien et le combat côte-à-côte qui l’a emporté. Si Samy relève les divisions entre femmes et hommes, français et étrangers, il a vu ses collègues commencer à les surmonter dans leur refus de l’exploitation. Les attaques de son patron ne sont pas prêtes de s’arrêter, et de lever contre lui de nouvelles colères. Aussi s’affirme-t-il optimiste, dans son travail d’organisation sur une ligne de classe, pour faire vivre ces nouveaux rapports de solidarité et leur résistance.

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