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La Révolution de 1789 et les colonies
Partisan N°44 - Octobre 1989
Ne serait-on pas un peu rétro ? La bourgeoisie a éteint les lampions du Bicentenaire carnavalesque à des fins de fric et de consensus. Pour nous, la domination impérialiste est toujours actuelle. Nous tentons de plonger jusqu’aux racines historiques d’un phénomène pour mieux le comprendre et mieux agir là-dessus. Surtout, si c’est un domaine de la Révolution qui, hormis Jaurès, est boycotté par tous les historiens officiels ou classiques de 1789 de Soboul à Furet.
Pour cet article, toutes les données (dates et chiffres) ont été puisées dans un livre qui est le fruit d’un colloque d’historiens des Petites Iles à Jussieu [1].
LA RUMEUR EXPLOSIVE
Lors de la prise de la Bastille en juillet 1789, des rumeurs se répandirent dans les colonies françaises des Antilles et des Caraïbes, comme quoi le Roi avait accordé la liberté aux esclaves, mais les colons blancs et les autorités coloniales cachent la nouvelle.
Ce n’est qu’en septembre 1789 qu’est reçue la nouvelle de la Révolution. Cette révolution sera le catalyseur de mouvements et d’attitudes contradictoires au sein des populations.
Pour les esclaves, ces nouvelles parisiennes viennent leur redonner des espoirs de liberté maintes fois réprimés dans les révoltes qui ont jalonné les deux siècles précédents.
Par contre pour les colons, il s’agissait tout en profitant de la fin du despotisme royal et de ses représentants dans les colonies de maintenir les "acquis" du passé : l’esclavage, la discrimination envers les hommes libres de couleur.
L’inquiétude et la nervosité des colons blancs sont telles qu’une censure du courrier est établie, la simple lecture de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen relève d’un délit grave. Les esclaves portaient la cocarde tricolore, symbole de la liberté, à Saint-Domingue. Ceux qui étaient tentés de les imiter en Guadeloupe et en Martinique étaient roués ou pendus.
Les raisons de cette peur de la contagion ont été bien décrites dans une note officielle adressée au Ministère à Paris :
« Les nouvelles de ce qui s’est passé à Paris et dans le royaume sont connues ici par une multitude d’imprimés... Tout ce qui se fait et s’écrit, particulièrement au sujet de l’affranchissement des nègres perce dans la colonie malgré les précautions que nous prenons... Là-dessus, ces nègres s’accordent tous dans une idée qui les a frappés comme spontanément, c’est que les blancs ont tué leurs maîtres et qu’aujourd’hui libres, ils se gouvernent eux-mêmes et rentrent en possession des biens de la terre » [2].
L’explication de cette animosité esclavagiste face à l’enthousiasme des esclaves et la rétention de l’information se trouve non seulement dans la défense des "acquis" mais traduit une volonté d’intensification de la traite négrière.
Sur 320 expéditions négrières recensées depuis 1713, on en compte 420 pour la période révolutionnaire entre 1789 et 1793 ; ainsi on est passé d’une moyenne annuelle de 4 expéditions par an à 105 expéditions par an, soit une multiplication par 25 du rythme habituel !!!
La même volonté de continuation de la logique coloniale et esclavagiste était présente dans tout le domaine colonial français.
LE DOMAINE COLONIAL FRANÇAIS
Il est une fausse certitude bien établie, et cela même dans le mouvement révolutionnaire actuel, c’est que le colonialisme est le résultat de l’impérialisme en tant que stade suprême du capitalisme. Quant à ceux qui sont tentés de puiser dans l’arsenal marxiste une justification à leurs inepties, la gifle viendra de Lénine lui- même : « La politique coloniale et l’impérialisme existaient déjà avant le capitalisme. Rome fondée sur l’esclavage faisait une politique coloniale et pratiquait l’impérialisme ... Les considérations d’ordre général qui négligent ou relèguent à l’arrière-plan la différence essentielle des formations économiques et sociales dégénèrent infailliblement en banalités... Même la politique coloniale du capitalisme dans les phases antérieures de celui- ci se distingue foncièrement de celles du capital financier » [3].
Le cas de l’empire colonial français qui sans connaître l’envergure qu’il aura par la suite, avait déjà une implantation quasi planétaire, illustre bien les propos évoqués ci-dessus. C’est en cette période que toutes les têtes de pont qui allaient servir de base d’appui au Grand Empire Colonial Français, ont déjà vu le jour dans différentes parties du monde.
• Aux Antilles, la Guadeloupe et la Martinique constituaient la paire de colonies françaises.
• Dans les Caraïbes, la France avait 4 colonies : Saint-Domingue (actuel Haïti), la Guyane, Sainte-Lucie, Tobago.
• Tandis que dans l’Océan Indien, on note l’Ile de France (Maurice) et l’Ile Bourbon (La Réunion).
• En Asie, la présence coloniale française se réalisait dans les comptoirs de l’Inde : Chandernagor, Mahé, Pondichéry, Kerikal, Yamon.
• En Afrique, la France détenait les comptoirs de Gorée et Saint-Louis au Sénégal. Tout cet espace a été le terrain d’une intense activité allant du travail forcé ou esclavagiste au négoce, si ce n’est la spéculation pure et simple ou la spoliation.
• Enfin, en Europe, la Corse.
L’IMPORTANCE ECONOMIQUE DES COLONIES
La "prospérité économique" des colonies est essentiellement alimentée par l’hémorragie de l’exil forcé de 25 millions d’Africains du 15è au 19è siècle avant l’abolition effective et définitive de l’esclavage.
Parmi ces 15 à 20 millions arrachés par le fer et le fouet à leur sol natal, 1,5 à 2 millions périrent durant leur transport vers les Antilles et les Caraïbes. Leurs conditions de vie qui disputaient l’horreur à l’invraisemblable écourtaient leur espérance de vie dans la mesure où il fallait 5 années seulement de travail pour « amortir leur coût ». La continuation de la traite permettait le renouvellement de ce capital particulier.
La population totale des colonies s’éleva à 860.000 habitants. Ce qui est plus significatif c’est sa composition qui est la suivante :
750.000 esclaves, 75.000 blancs colons et 35.000 hommes libres, métis ou noirs [4].
Le régime qui gérait ces colonies était spécial et visait la ponction toujours maximale des richesses et la surexploitation extrême des esclaves.
Les dispositions de ce régime comportaient :
1° Le transport direct à la métropole et par ses vaisseaux de toutes les productions des colonies.
2° L’usage exclusif des denrées de la métropole et portées par ses vaisseaux.
3° La prohibition des manufactures dont la métropole est en possession.
Pour avoir une idée de l’importance du trafic et de l’activité dans les colonies, la seule Saint-Domingue comptait plus de 1.000 sucreries, 3.560 indigoteries, 790 cotonneries, 182 distilleries, etc. Toujours pour la seule Saint-Domingue, l’activité de transports liée à ces changes nécessitait une rotation annuelle de 400 bateaux avec les ports de Nantes, Le Havre, Saint-Malo, Bordeaux et Honfleur.
Sans tenir compte des préjudices humains, la négation de l’humanité de ces esclaves qui est du domaine du non chiffrable, il serait intéressant d’évaluer le montant des richesses soutirées aux colonies.
Mais vu l’état des statistiques partielles et biaisées, les données existantes permettent d’évaluer les relations maritimes avec Saint-Domingue qui procurait 200 millions de livres de denrées coloniales à la métropole. Ce n’est qu’une partie du vol colonial car le commerce négrier et ses annexes, la réexportation des marchandises, l’approvisionnement des colonies constituaient une partie non négligeable de ce flux « commercial ».
Toute cette manne coloniale eut une importance décisive sur l’attitude de la révolution envers les colonies. Car les colonies profitaient à certaines couches, en général urbaines, de la population française. Elles profitaient à l’ensemble de la population française qui était ravitaillée par des marchandises produites par une main-d’œuvre qui était elle-même propriété des colons.
Quoi qu’il en soit, ce que l’on peut affirmer c’est qu’il n’y a jamais eu une initiative politique des partisans de la révolution, toutes tendances confondues pour accorder le droit à l’auto-détermination, y compris à la séparation, aux peuples colonisés. Les positions les plus hardies variaient entre l’octroi de la citoyenneté à toute ou à une fraction de la population d’une part, et la suppression graduelle de l’esclavage d’autre part.
Ce qui explique cette politique c’est que, à part les raisons économiques qui consistaient à atténuer la pénurie et à s’aliéner les « couches révolutionnaires » qui profitaient directement de l’esclavage au détriment des supposés principes de liberté de la révolution, il y a des raisons idéologiques qui expliquaient le maintien du colonialisme. La conception que la Convention ou la Constituante avaient de la nation et du rapport qui devait lier les différentes entités qui formaient l’empire, est à la base de ce « colonialisme révolutionnaire » que cette conception justifiera par la suite.
La proposition de l’Abbé Grégoire, membre de la Société des Amis des Noirs, au futur gouvernement de Haïti, devenu indépendant, d’adopter « un programme d’alphabétisation massive nationale, mais visant à l’extension de la langue française, seule garante des idéaux de la Révolution Française et à l’élimination du créole, alors appelé patois » [5] est significative à cet égard.
LA CONTINUATION CORSE
Le déclenchement de la révolution en France a été précédée d’une révolution prolongée et très profonde sur le plan politique en Corse de 1729 à 1769. La révolution était dirigée au début contre la domination de Gênes et ses harkis corses. La question centrale de cette révolution a été la question de la terre. Un certain collectivisme régissait la possession de la terre. C’était une tradition ancrée depuis le 14è siècle. En effet, le sol était divisé en 3 compartiments :
– le circolo : zone réservée à l’exploitation individuelle, mais la propriété n’est jamais privée.
– la presa : constitue les terres divisées en 3 parties exploitées à tour de rôle tous les 3 ans, les parties en jachère servent de pâturage.
– les foresto : sont les terres inexploitées ou inexploitables, propriétés collectives de tous les Corses, terrains de chasse, de cueillette, etc. ouvertes à tout le monde.
A côté du collectivisme agraire, existait un système d’assemblées villageoises très actif au niveau de la gestion de la vie quotidienne.
Les premières révoltes éclatèrent en 1729 en réaction contre la dépossession des terres communautaires, l’arbitraire fiscal. La révolution eut quelque succès militaire, mais c’est surtout sur le plan politique qu’elle allait connaître une grande envergure. On assista à la résurgence d’assemblées villageoises qu’on appellera par la suite jusqu’à aujourd’hui, les CONSULTES. Les consultes irriguaient tels des nerfs tout le pays et étaient les instruments d’une démocratie directe.
L’Indépendance était proclamée en 1735.
Elle fut suivie de l’institution d’un pouvoir populaire. Une constitution fut adoptée accordant le suffrage universel à toutes les personnes ayant plus de 25 ans. La Consulta qui était la coordination des consultes fut érigée en parlement qui élit un pouvoir exécutif collégial. La Corse se dota de tous les attributs de la souveraineté : un hymne, un drapeau, une monnaie, une justice populaire (contre une vendetta qui faisait plus de 900 morts par an sur une population de 130.000 personnes), une université où la langue corse était la langue d’enseignement (elle n’est rétablie qu’en 1982).
En 1768, 80% des terres sont récupérées par les consultes. C’est en 1769, après deux tentatives en 1739 et 1752 que la France vint mettre fin à cette expérience révolutionnaire presque sans précédent sur le continent.
Le peuple corse opposa une résistance héroïque et farouche. Il a fallu presque une année aux 30.000 Français du Corps expéditionnaire pour parcourir les 38 kms séparant Bastia de Ponte-Novu.
Le 8 mai 1769, le peuple retourne à une nuit coloniale mais cette fois française. La dépossession des terres, la marginalisation des Corses, le régime de l’arbitraire fiscal reconnurent des beaux jours. Après une période d’accalmie toute cette période est marquée par une résistance continue dont les révoltes de 1774 constituèrent un sommet.
1789 ET LA RELANCE DE LA REVOLUTION
1789 a été marquée par des mouvements contre la fiscalité, la dépossession des terres et pas mal de soulèvements. C’est dans cette lancée que le décret du 30 novembre 1789 a été accueilli dans une grande ferveur. Il stipule que « L’Ile de Corse est déclarée partie intégrante de l’Empire Français... Ses habitants sont régis par la même constitution que les autres Français ». En même temps, les exilés Corses que la constituante appela « Combattants de la liberté » furent amnistiés et invités à rentrer en Corse. Le peuple corse, ses dirigeants amnistiés, Paoli en tête, voyaient dans ce décret une reconnaissance par la métropole de la justesse du combat qu’ils avaient mené. Le droit à la séparation n’est pas affirmé, mais du fait qu’ils ont accès maintenant à la citoyenneté, ils vont participer à l’élaboration des lois concernant leur sort. On assista au retour des consultes qui allaient être les organes du pouvoir. Mais progressivement, une contradiction s’éclaircissait entre l’aspiration profonde du peuple corse à assumer son identité dans un cadre fédératif d’une part, le champ étriqué dans lequel la métropole conçut la liberté d’autre part. Des luttes se développèrent contre les atteintes à la démocratie directe, et pour récupérer les terres conquises en 1769.
Mais la goutte d’eau qui fit déborder le vase fut la redistribution des « biens nationaux ». Sur près de 150.000 Corses en 1790, seuls près de 507 en bénéficièrent.
Les biens furent partagés entre les notables pro-français qui devinrent les chefs de clan.
Jugez-en vous-mêmes.
Bartulumeu Arena : 7% des biens en vente soit 11% de ceux du versant oriental et 32% de ceux du district de Calvi.
Cristofanu Salicetti : 71% des biens du Corgenais.
La famille Bonaparte : plus de 50% des biens d’Eglise sur Ajaccio.
Devant la lutte des patriotes corses sous la direction de Paoli pour l’appropriation réelle du pouvoir et des richesses, la fraction pro-française sema des intrigues et magouilles pour exclure les Paolistes des cadres institutionnels républicains. Accusant les Paolistes d’être tièdes dans la lutte de la France contre Gênes et l’Angleterre. Les anti-paolistes accusaient Paoli au parlement. Décret suspendu, puis effectivement appliqué. La légitimité et la popularité des Paolistes sera confirmée par un référendum qui plébiscita Paoli et les Paolistes qui avaient déjà remporté les élections de 1792 dans l’Ile.
La disgrâce de Paoli eut lieu le 17 juillet 1793.
A partir de janvier 1794, les patriotes corses attaquent les dernières positions françaises (Saint-Florent, Calvi, Bastia).
Le 15 juin 1794, une consulta réunie à Corte proclame la séparation officielle avec la France et la naissance de l’Empire Anglo-corse.
En 1796, bien après la guerre de Vendée et les guerres contre les monarchies européennes, la réaction thermidorienne reconquit la Corse mettant ainsi fin à une démocratie constitutionnelle et directe dans le pays d’Europe qui était seul encore capable de législation selon Jean-Jacques Rousseau [6].
SAINT-DOMINGUE : LA REVOLUTION JUSQU’AU BOUT
C’est en Saint-Domingue (actuel Haïti) que la déclaration des Droits eut une consécration concrète. Mais cela ne se fit pas sans difficulté.
Saint-Domingue étant le fleuron des colonies françaises.
Elle abritait les 2/3 des esclaves, la moitié des blancs et les 2/3 des métis.
De plus, la France occupait le nord, l’ouest et le sud.
L’est était occupé par les Espagnols.
Les symboles de la Révolution : chants, cocarde tricolore ont été utilisés par les esclaves. Dans leur logique, les Déclarations des Droits de l’homme de 1793 et 1789 devaient déboucher sur l’abolition de l’esclavage puisqu’elles déclaraient respectivement : « Nul homme ne peut être vendu, ni se vendre, sa personne n’est pas une propriété aliénable » et « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Les esclaves allaient être vite déçus par les lenteurs et les ambiguïtés de la Constituante à tel point qu’ils eurent à utiliser les symboles de l’ancien régime croyant à un roi libérateur et un parlement essayant de bloquer le processus.
Les premiers décrets dont celui de 1790 ne marquèrent aucune volonté d’abolir l’esclavage. Ces décrets prévoyaient une plus grande autonomie par la création d’assemblées coloniales élues par les colons blancs.
Exit l’abolition de l’esclavage.
Tout au plus, il était question d’accorder la citoyenneté aux hommes de couleur libres, composés en majorité de mulâtres. C’est cette couche tampon de mulâtres détenant le quart des esclaves et le tiers des terres que la Constituante, puis la Convention, voulurent utiliser pour isoler le mouvement des esclaves de plus en plus violent et impatient [7].
LES CONTRADICTIONS AU SEIN DES COLONS BLANCS
(… NdlR : il manque un morceau de phrase) pas changer « l’état des personnes » c’est-à-dire l’esclavage sauf avis contraire des Assemblées de colons, ne satisfaisait nullement les colons blancs dans leur ensemble.
Les colons blancs étaient divisés mais royalistes et révolutionnaires étaient tous contre l’abolition de l’esclavage. Certains colons blancs royalistes s’étant débarrassés du despotisme de l’Ancien Régime et de sa meute de parasites, voulurent proclamer leur indépendance ou s’associer à d’autres puissances coloniales. Il y eut des luttes entre colons aristocrates et colons bourgeois. Les petits colons blancs sans propriété et les colons grands propriétaires et endettés voyaient dans l’accès à la citoyenneté des hommes de couleur une concurrence inacceptable, une atteinte à leur fierté et une porte ouverte à la liberté générale.
Certains colons n’hésitèrent pas dans leur révolte contre la métropole à armer certains de leurs esclaves. Ce fut un fait dont beaucoup d’esclaves retirèrent des enseignements.
A Paris, l’Assemblée Nationale continuait dans ses errements. Un projet d’abolition graduelle de la traite et de l’esclavage sur 16 ans fut enterré. Il fut présenté par Viefille des Essarts.
De même un projet de Blanc-Gilli de réglementation et d’affranchissement graduel des esclaves ne fut même pas discuté.
L’INSURRECTION ESCLAVE
Face à cela, le projet de Toussaint Louverture était clair : abolition immédiate, inconditionnelle et intégrale de l’esclavage. Son mouvement connut un tournant le 23 août 1791. Près de 50.000 esclaves se rebellèrent. Toussaint dirigea déjà une armée régulière de 4.000 hommes. Il profita des contradictions entre les impérialistes espagnols et français. LES commissaires Sonthonax et Polverel venus pour appliquer la loi du 4 avril 1792 pour la citoyenneté des hommes de couleur, durent se rendre compte qu’ils étaient en retard d’une étape.
Devant la conjonction de 3 facteurs : l’insurrection noire, le soulèvement colon contre la métropole et la guerre contre l’Espagne et l’Angleterre en 1793, les deux commissaires proclamaient l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue pour qu’il restât dans la République.
Cette abolition effective sur tout le terrain sera ratifiée par la Convention à Paris le 4 février 1794.
Dès lors, Toussaint-Louverture, avec la réalisation de la liberté générale, se rallia à la République pour devenir le dictateur (au sens propre du terne) d’un pays où les noirs restaient une main-d’œuvre exploitable à merci, ligotés à leurs patrons même si l’esclavage était aboli.
Toussaint se débarrassa de la tutelle française, négocia le départ des Anglais avec qui, (et les Américains) il conclut un traité secret.
S’appuyant sur le traité franco-espagnol de Bâle en juillet 1795, il s’empara de la partie espagnole de l’Ile en janvier 1801, avant d’être déporté au Fort de Joux en 1802, où il mourut de faim et de froid.
Dessalines, successeur de Toussaint- Louverture, proclama l’indépendance de l’état non racial de Haïti comme « Patrie des Africains du Nouveau Monde et leurs descendants », après avoir écrasé la tentative napoléonienne de rétablir l’esclavage (60.000 soldat français furent tués).
Cela n’empêchait pas Haïti de devenir le premier état semi-colonial du Tiers-Monde.
Dans les autres colonies, après une période de semi-liberté, l’esclavage est rétabli en 1799 et les révoltes esclaves furent définitivement réprimées en 1802.
UN PASSE QUI N’EST PAS SI LOINTAIN
Le rétablissement de l’esclavage qui ne fut aboli qu’en 1848, ouvrit une période où la France effectua les grandes conquêtes coloniales en Asie, en Afrique, en Caraïbes et dans l’Océan Indien.
Après la seconde guerre mondiale, avec la poussée de la lutte des peuples et l’affaiblissement relatif de l’impérialisme, l’Empire colonial français a connu de sérieuses modifications. L’Indochine n’est plus sous influence française, l’Afrique Noire Occidentale reste toujours sous le joug du semi-colonialisme français. Par contre, la Guyane, la Réunion, Guadeloupe et Martinique restent dans l’Empire Français et sont devenues des DOM (Départements Opprimés par la Métropole). C’est-à-dire qu’on n’est pas si loin d’un passé qu’on pensait lointain.
Le problème sera aussi aigu et complexe pour les tâches de la classe ouvrière française. Les phrases sur l’internationalisme et sur la dette à payer aux pays dominés sont plus faciles à tenir dans une situation d’accalmie pré-révolutionnaire où il n’y a pas de pénurie et où les enjeux concrets sont encore lointains.
Mais d’ores et déjà, face à la domination politique et militaire et l’exploitation économique subie par les anciennes colonies françaises et les colonies qui sont rebaptisées Département ou Territoires d’Outre-Mer, il est un devoir révolutionnaire toujours actuel de lutter pour les revendications suivantes :
• Le droit à l’autodétermination y compris celui à l’indépendance des DOM et des TOM.
• L’indépendance pour la Kanaky.
• La remise totale et sans condition des dettes (sans rapport avec l’annulation décidée par Mitterrand, qui est plutôt une reconnaissance de l’état d’insolvabilité de certains pays). Et plus largement, l’abandon de tous les intérêts français à l’étranger.
• Le retrait de toutes les bases militaires françaises d’Afrique, de l’Océan Indien et du Pacifique. Le retrait de toutes les troupes françaises à l’étranger.
Par ailleurs, le processus aboutissant à la création du Grand Empire colonial français a drainé une population de culture et d’origine différentes de celle de la métropole.
Cette population est l’objet de discrimination, de marginalisation et de racisme. A leur égard, on a assisté à une permutation de cheval de bataille entre la gauche et la droite même si le but est commun. Le droit à la différence pour la droite est une attitude réaliste face à l’affaiblissement relatif de l’impérialisme français pour préserver « l’identité française » et permettra aux peuples dominés de vivre par exemple une de leur différence chez eux : la misère matérielle en général.
Pour la gauche, le but reste toujours le culte de l’identité française à laquelle l’assimilation contribuera à faire accéder les populations immigrées
On remarque la même vision hiérarchique hostile à l’expression des différences. Différences culturelles (langues, religions) dont la difficulté à les résorber expliquerait la marginalisation que vivent les immigrés : ghettos, sales boulots, illettrisme, contrôle policier, etc.
C’est une situation qu’ils partagent avec une frange de la population française de souche. La question qui vient à l’esprit est de savoir comment faire pour réunir ces deux entités en force de frappe commune pour remettre en cause la société capitaliste dans son ensemble.
A ce niveau, l’accès à la pleine citoyenneté (droits politiques, économiques et sociaux) de tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, sera un moyen important pour focaliser toutes les énergies pour construire une autre société de réelle fraternité et de coopération volontaire.
MADEMBA
