Vous êtes dans la rubrique > Archives > Dévaluation du franc CFA : une parodie de décision commune

Dévaluation du franc CFA : une parodie de décision commune

Partisan N°87 - Février 1994

En mi-Janvier à Dakar, la dévaluation du Franc CFA a été entérinée par les dirigeants des pays africains de la zone Franc (Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale francophones). En fait, cette dévaluation a été déjà décidée depuis longtemps par la France, le FMI et la Banque Mondiale. La dévaluation consiste à changer la parité fixe du Franc CFA par rapport au Franc français. Depuis 1948, un Franc CFA valait 2 centimes français, maintenant avec la dévaluation, il ne vaut plus qu’un centime. La parité fixe est toujours maintenue, le franc CFA est toujours une devise convertible qui n’est pas cotée en bourse, mais son cours dépend étroitement du cours du Franc français. Comme depuis 1948, les pays africains membres de la zone franc continueront à déposer une partie de leurs devises (Mark, Dollars, Yen ...) au trésor français, le sigle CFA reste le même, il signifiait en 1948 Communauté Française d’Afrique, il signifie depuis les indépendances Communauté Financière Africaine.

Les raisons officielles

Les raisons officielles de cette dévaluation données par les impérialistes français et le FMI, c’est que le franc CFA était surévalué, c’est à dire sa valeur est très forte par rapport à l’état de délabrement des économies des pays de la zone franc. En conséquence, selon les impérialistes, du fait que les monnaies des autres pays africains frontaliers de la zone franc sont faibles et non convertibles, cela encourageait les pays africains membres de la zone franc à leur acheter plus qu’ils leur ne vendent, cela encourageait aussi la contrebande. Il en résulte un déficit chronique de la balance commerciale, autrement dit les importations sont plus importantes que les exportations.

Rien n’est plus faux que ces allégations des impérialistes. Elles ne résistent pas à une analyse tant soi peu sérieuse. En effet, les échanges interafricains sont très faibles. Le déficit de la balance commerciale des pays africains de la zone franc provient essentiellement de leurs échanges avec les pays impérialistes occidentaux (France, Allemagne, USA...). Ces pays de la zone franc ont toujours gardé la structure de l’économie coloniale, ils vendent des produits primaires (coton, arachide, café...) et des matières premières, dont les prix baissent, contre des produits manufacturés. Jusqu’en 1982, le solde du compte des pays de la zone franc au niveau du trésor français était créditeur. Il était créditeur car le cours des produits primaires était plus favorable et ces pays recevaient plus de « dettes » qu’ils ne remboursaient. Maintenant, le cours des produits primaires est au plus bas niveau et les « dettes » sont arrivées à échéance, il faut rembourser ou emprunter pour rembourser. Et ces « dettes » servaient à financer des exportations des pays impérialistes en particulier la France, ou alimentaient les comptes des bourgeoisies africaines dans les banques des pays occidentaux. Du coup, le solde du compte des pays de la zone franc au trésor français est débiteur, et le franc CFA n’a plus le même intérêt pour la France. Un des effets désastreux de la dévaluation est qu’elle double la valeur de la « dette ». Certes, une partie de la « dette » publique (Trésor français) est supprimée ou divisée par 2. Si elle est divisée par 2, cela revient au même car avec une dévaluation de 50%, la valeur du franc CFA est divisée par 2. Par contre, rien n’est dit sur la « dette » privée (banques privées) qui est très importante.

Les raisons véritables

Même d’un point de vue capitaliste, la dévaluation est absurde. Car avec une dévaluation, les prix des produits nationaux deviennent moins chers. Donc, le pays peut espérer vendre beaucoup plus de produits pour compenser la baisse des prix et gagner d’autres marchés. Ce n’est pas le cas pour les pays africains pour plusieurs facteurs :

  Les prix des matières premières et des produits prix primaires sont fixés par les pays impérialistes acheteurs dans les Bourses de Londres, de Chicago et de New- York et ces prix sont libellés en devises étrangères.
  La demande des produits primaires n’est pas élastique par rapport aux prix, c’est à dire une baisse de leurs prix n’engendre pas une augmentation de la demande, en clair les Français ne boiront pas plus de café car son prix est moins cher.

Avec ces facteurs, le montant des exportations libellées en devises ne diminuera pas. Par contre, les prix des produits importés deviennent plus chers. Or la structure de ces économies des pays africains dominés par l’impérialisme fait que les besoins essentiels des peuples sont importés. Par la dévaluation, on essaye de faire passer d’une autre manière les mesures de diminution des salaires de 10 à 50% dans certains pays africains, mesures qui ont créé des explosions sociales. Il est plus facile de lutter contre une baisse des salaires que contre une dévaluation.

Dès l’annonce de la dévaluation les commerçants ont immédiatement augmenté les prix de produits (y compris certains produits locaux) de 50 à 100%. La bourgeoisie compradore s’en tire bien. La bourgeoisie bureaucratique, qui gère les caisses de l’Etat, saura aussi se débrouiller contre, les ouvriers, les paysans et la petite-bourgeoisie salariée, il s’agit d’un véritable racket.

La solution est la construction d’une économie autocentrée et d’une indépendance monétaire, ce ne sera possible qu’avec une rupture avec l’impérialisme dans le cadre d’une révolution anti-impérialiste africaine. Que cette dévaluation puisse servir par la négative à jeter les bases d’une lutte commune des peuples africains sur la base de leur communauté d’intérêts.

Mademba