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Histoire des logements ouvriers
Partisan N°02 - Juin 1985
Logements ouvriers, logements sociaux, ce n’est pas la même chose. L’histoire en est intéressante...
On associe souvent aux logements sociaux les cités HLM, les ZUP, etc. Ça veut dire pour beaucoup d’entre nous des immeubles qu’on a construits trop vite, de qualité médiocre, dans lesquels on nous entasse. Le tout à la périphérie de la ville pour ne pas troubler la tranquillité des quartiers pavillon¬naires ou résidentiels des petits bourgeois ou hauts fonctionnaires des villes.
Il y a eu des logements sociaux de qualité et où il faisait bon vivre. Si aujourd’hui, les gens qui ont les moyens s’enfuient des HLM, c’est parce que ce type de construction a évolué (c’est-à-dire constructions vite faites avec des matériaux au rabais, sans tenir compte de l’environnement et sur des terrains à bas prix). De par la conception aujourd’hui de l’habitat sous le capitalisme (critère de rentabilité) mais aussi de par l’évolution de la crise, celle-ci entraînant une évolution des menta¬lités. Dans une cité, tous les problèmes se retrouvent concentrés : problème de chômage, problème de différences de nationalité, de culture, mésentente entre les membres d’un couple, problèmes financiers, problèmes de santé, etc. Le tout affecte durement la vie collective, et il faut se battre pour conserver une relative unité entre les locataires, soit par le biais d’une association de locataires, soit de quartier. Conserver une unité pour faire face aux problèmes collectifs : augmentation des loyers, des charges, détérioration des immeubles, etc.
Notre interlocuteur est un appareil administratif gigantesque réparti en services multiples et qui se dit social ! Des HLM sont devenus des organismes gestionnaires.
Aujourd’hui on dénombre 2 750 000 logements locatifs plus d’un million en accession à la propriété, plus de 12 M de personnes logées, soit près du quart de la population résidant en France, 65 000 salariés et bénévoles répartis dans 125 organismes : Les HLM sont devenues une véritable institution.
Mais cela n’a pas toujours été ainsi
Si les pauvres ont toujours été mal logés, leur situation était devenue encore plus difficile au XIXème siècle. Lorsque la croissance industrielle agglomérait dans les villes des milliers de personnes venues y chercher du travail. De 1800 à 1850, la population passe de 5 à 9 millions. Celle de Paris double et atteint le million d’habitants. A cette époque, deux Parisiens sur trois logent dans des taudis.
Les logements manquent d’eau, d’air et de soleil, ils sont surpeuplés et l’exiguïté est d’autant plus importante que Monsieur Vautour, le propriétaire sans scrupules, n’hésite pas à diviser les pièces pour augmenter le nombre des locataires (pratique toujours actuelle dans certains foyers ouvriers immigrés : le 19ème siècle n’est pas loin !).
Les mauvaises conditions deviennent la raison principale d’une importante mortalité infantile, d’épidémies de choléra.
A partir de ce constat, de nombreuses initiatives commencent à se développer celles-ci très différentes dans leurs modalités et dans leurs objectifs.
Les patronats du Nord et de l’Est édifient des logements pour leurs ouvriers dans le but de s’attacher à la force de travail qu’ils utilisent... et à la faire reproduire dans de bonnes conditions. On ne peut pas être plus clair si on veut de bonnes cadences dans les usines, il faut des bras sains et développés dans de bonnes conditions.
Le Prince Président Napoléon III « préoccupé » par la question du paupérisme et par l’insalubrité de l’habitat, soucieux de montrer par là-même les progrès du socialisme est le promoteur de la première cité ouvrière en 1849 : « Cité Napoléon » qui abritait 200 ménages pour un loyer modeste et de meilleures conditions d’hygiène (lavoir collectif, établissement de bains, salle d’asile pour les enfants, un par étage). En cette période, l’Etat subventionne la construction d’autres immeubles permettant d’abriter plus de mille locataires.
Autre initiative de l’époque : Jean-Baptiste Godin, fabricant de poêle mais aussi et surtout considéré comme socialiste utopique, disciple de Fourier, conçoit et réalise un projet grandiose : « le Familistère » palais social de l’avenir, qui sans s’opposer aux valeurs familiales prévoit à l’origine de nombreux équipements collectifs : pouponnat, école, lavoir, atelier culinaire, coopérative de consommation, activités culturelles. A partir de 1865, plus de mille personnes habitent le Familistère. L’expérience de Godin, en matière de vie collective, est de loin la plus intéressante car elle permet de mettre en avant qu’une autre forme de vie collective est possible, et que celle qui nous est imposée par le capitalisme est à transformer profondément.
Cependant la question de l’habitat insalubre en cette époque est toujours aussi préoccupante.
La « Cité Napoléon » et le « Familistère » sont considérés comme des exemples négatifs à cette époque parce qu’immoraux et foyers de développement du socialisme.
h3>On passe d’un mouvement militant et humanitaire aux débuts du système institutionnalisé et étatisé
Jules Simon détourne bien vite ces expériences pour fonder une Société Coopérative Immobilière, ainsi que Georges Picot, fondateur en 1889 de la « Société des Habitations à Bon Marché ». Donc le mouvement ne se réduit pas seulement à construire des logements hygiéniques salubres et à bon marché : c’est bien une question politique. En faire un foyer d’expérience socialiste (« Le Familistère ») ou alors renforcer la notion « de propriété et de la cellule familiale » parmi Les ouvriers.
Les réformistes là-dessous sont divisés : à l’aile libérale qui ne songe qu’à combattre le socialisme au nom de la propriété et de l’initiative privée, la gauche oppose la nécessité de l’intervention communale et étatique. Ce seront les libéraux qui l’emporteront par la Loi Siegfried. Celle-ci permet la création de comités locaux d’Habitations Bon Marché qui sont réalisées par des particuliers, avec constitution d’un conseil supérieur des HBM.
En 1928, 200 000 HBM sont programmées mais avec la crise la mise en chantier de logements sociaux diminue jusqu’à la guerre. Par l’intermédiaire des Sociétés de Crédit Immobilier, l’accession à la propriété représente une part importante de ce logement social. 320 000 logements sociaux sont construits dans l’entre-deux guerres.
A la Libération : le bilan est catastrophique, 450 000 logements détruits, 1 million de logements insalubres, et comme c’est la relance industrielle qui est privilégiée par rapport au logement elle rend la crise de ce dernier de plus en plus manifeste.
C’est par une loi de 1950 que les organismes d’HBM deviennent HLM (Habitation à Loyer Modéré). Ceux-ci n’ont pas les moyens de bâtir à la mesure des besoins. Le 1% patronal est aussi mis en vigueur. Les mises en chantier vont alors se multiplier. Il faut construire, beaucoup vite et pas cher. C’est le résultat des grands ensembles (ZUP, ZAC, etc.).
Le mouvement HLM, à mesure qu’il prend de l’importance, tend à s’institutionnaliser. Plus étroitement imbriqué dans l’appareil d’Etat, il perd à son caractère « militant » (famille, propriété privée). D’autre part les catégories de logements se diversifient suivant les revenus : ILN, HLMO (HLM dites « ordinaires »), PLR (Programmes à loyers réduits). Il y a hiérarchisation de l’habitat au sein des HLM. Les HLM invoquent la responsabilité à l’Etat qui favorise toujours le développement du secteur libre.
Le mouvement des logements ouvriers s’est donc formé sur la base d’une lutte contre les conditions de vie dans les appartements au début du siècle. Aujourd’hui celui-ci a perdu son caractère social : venir en aide aux mal logés, mais il n’en reste pas moins un mouvement politique qui lutte contre la crise en s’attaquant aux victimes, c’est-à-dire les populations qui ne peuvent plus payer leurs loyers ou alors les immigrés par la politique de ségrégation. C’est pourquoi il est aussi important aujourd’hui de lutter pour de meilleures conditions de logement, des loyers moins chers, des équipements collectifs dans l’immédiat qu’il l’a été au 19ème siècle pour avoir des logements salubres.
Le but politique est plus que jamais d’actualité : la lutte contre le capitalisme pour améliorer nos conditions de vie, de là retrouver le sens de la vie collective. Lutte pour des logements ouvriers et décents et non des logements sociaux, tel que nous les impose le capitalisme.
