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Maroc : la guerre du Rif en 1925

Partisan N°58 - Février 1991

Nous publions ci-dessous un nouvel extrait du livre de Gilles Perrault, "Notre Ami le Roi" (cf Partisan n°57). Il aborde cette fois la colonisation du Maroc par la France et la résistance héroïque de Abd El Krim. Une nouvelle fois, il montre la différence entre la guerre réactionnaire et la guerre du peuple.
A la suite, nous publions un extrait de « l’Histoire du Parti Communiste Français » de A. Ferrat, libre publié en 1931, sur une orientation réellement révolutionnaire (et évidemment renié par le PCF aujourd’hui !). Lors de la guerre du Rif, le PCF était jeune, venait de se constituer. Sous l’impulsion de l’Internationale Communiste, il devait alors développer une activité internationaliste tout à fait mémorable, bien loin du patriotico-pacifisme qu’il développe aujourd’hui. Qu’on en juge !

NOTRE AMI LE ROI

« On vit alors ce qu’est le courage marocain.
Ce fut une vraie guerre, une guerre de vingt-cinq ans, non une classique expédition coloniale, même si la France l’a occultée par orgueil (comment accepter que la nation victorieuse de la Grande Guerre fût tenue en échec par des « indigènes » mal armés ?) et pour limiter les réactions de l’opinion publique internationale - si bien occultée qu’elle n’a aucune existence dans la mémoire collective française. Mais Hô Chi Minh et Mao Zedong y voyaient la matrice des guerres révolutionnaires modernes et un exemple pour tous les peuples colonisés. Le général Guillaume écrira : « Aucune tribu n’est venue à nous dans un mouvement spontané. Aucune ne s’est soumise sans combattre et certaines sans avoir épuisé jusqu’au dernier de leurs moyens de résistance ». Aviation, artillerie, tanks et automitrailleuses : tous les moyens furent utilisés pour réduire l’une après l’autre les poches de résistance. Appliquant à merveille les tactiques de la guérilla, les bandes rebelles étaient insaisissables. Lorsqu’on parvenait enfin à les cerner, les hommes, souvent, se faisaient tuer jusqu’au dernier dans leur trou individuel. Souvent, les femmes ramassaient les fusils tombés des mains des combattants et ouvraient le feu à leur tour. Un médecin-capitaine français écrira de la résistance dans le Moyen-Atlas qu’« elle atteint les limites de l’invraisemblance ». Bien sûr, la terreur : représailles massives, femmes et enfants pris en otages, villages rasés, et des ruses de guerre abominables, tels ces pains de sucre bourrés d’explosif distribués dans les zones rebelles. Le général Mangin, célèbre boucher de 14-18, se distingua par sa cruauté. Il avait pour spécialité de contraindre les populations raflées à des marches d’extermination dont nul ne revenait vivant. La belle figure de Lyautey, officier de tradition tombé amoureux du Maroc, faisait écran à ces horreurs.

L’épopée - le mot n’est pas trop fort - eut le Rif pour théâtre.
Un petit homme rondouillard au regard doux mais bigle, fonctionnaire puis rédacteur en chef de la section en arabe d’un journal espagnol - le contraire en somme d’un guerrier rifain d’image d’Épinal -, soulève la montagne en 1921, écrase à Anoual une armée espagnole de vingt mille hommes, ramasse un butin de guerre considérable, bat derechef les troupes d’élite espagnoles envoyées en renfort, Franco à leur tête, et, dans la zone ainsi libérée - pratiquement le nord du Maroc -, fonde en 1923 la République du Rif. Il s’appelle Abd el-Krim.

Lyautey écrit l’année suivante : « Rien ne pourrait être pire pour notre régime que l’établissement si près de Fès d’un État musulman indépendant et modernisé ».
Tandis que les Espagnols s’efforcent de sauver Tetouan et Melilla, l’armée française attaque par le sud. Elle plie sous la contre-offensive rifaine. Lyautey, débordé, passe la main. La France appelle à la rescousse son plus prestigieux soldat, le maréchal Pétain, tout auréolé de sa victoire à Verdun, et le met à la tête d’une armée de sept cent vingt-cinq mille hommes, appuyée par quarante-quatre escadrilles. Soixante généraux français sont sous ses ordres. Les Espagnols, de leur côté, débarquent cent mille hommes. En face, une armée rifaine forte d’un noyau permanent de trente mille combattants renforcés par des irréguliers. Ils tiennent plus d’un an sous les tirs d’artillerie lourde et les assauts des blindés, contre lesquels leurs fusils ne peuvent rien.
Pétain, qualifiant ses adversaires de « hordes barbares », avait interdit l’acheminement jusqu’au Rif d’une aide internationale humanitaire et médicale.

Le 27 mai 1926, Abd el-Krim fait sa reddition. Ses soldats ne s’éprouvent pas vaincus, et les volontaires continuent d’affluer, mais leurs villages croulent l’un après l’autre sous les bombardements massifs de l’aviation française. Un Guernica par semaine, que nul Picasso n’immortalisera. Il faut arrêter le massacre.

Abd el-Krim, précurseur et modèle des leaders qui, un demi-siècle plus tard, conduiront leur peuple à l’indépendance par des méthodes apprises de lui, est déporté à la Réunion. Il s’en évadera après vingt ans de détention et finira ses jours en Égypte.

Pendant cinq ans, avec lui et grâce à la valeur de son peuple, le Rif a vécu indépendant. Il s’est constitué en république, effaçant des siècles de sultanat et de makhzen. Un État a réellement fonctionné, avec ses finances, sa justice, son système d’éducation - cet État modernisé dont Lyautey redoutait tant l’exemple pour le reste du Maroc. Rien de chauvin ni d’étriqué dans cette tentative anéantie par le fer et le feu. Abd el-Krim, habité par une vision mondialiste, profondément solidaire de toutes les luttes de libération nationale, souhaitait que le Rif montrât la voie à l’ensemble du peuple marocain.
La conquête du Maroc s’acheva en 1934 par la soumission des tribus du Sud, leurs palmeraies écrasées sous les bombes. La France avait eu trente-sept mille morts. Vingt ans plus tard, la guerre d’Algérie (1954-1962) lui en coûtera trente-trois mille. »

HISTOIRE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS

Dès le début de la guerre du Maroc, au printemps de 1925, le Parti affirma de façon très juste sa position de principe par les trois mots d’ordre suivants : paix immédiate avec les Rifains, reconnaissance de la République indépendante du Rif, évacuation militaire du Maroc. Autour de ces mots d’ordre il mobilise des masses importantes, en particulier dans la Région parisienne : manifestation à Luna Park avec 15 à 18.000 ouvriers, au mur des Fédérés avec 60.000 ouvriers, nombreux meetings et manifestations d’usines.

Mais c’est surtout par son action à la Chambre des députés que le Parti explique largement aux masses sa position de principe sur la question de la guerre du Maroc. Le travail parlementaire du Parti, en particulier les interventions de Doriot à la Chambre, en février, mai et juin 1925, sont et resteront un exemple d’utilisation révolutionnaire du parlementarisme bourgeois. Elles s’attachent à démontrer aux larges masses les raisons financières, la cause impérialiste de la guerre du Maroc, le rôle des banques, en particulier de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Elles démasquent de façon énergique et brutale non seulement Painlevé qui était alors au pouvoir, mais aussi Herriot qui était le véritable protagoniste de la guerre du Maroc ; dénoncent, par conséquent, le Bloc des gauches et socialistes liés au Bloc des gauches. De la tribune parlementaire, le Parti appelle les soldats à la lutte contre la guerre et l’impérialisme.

Les soldats, dit Doriot, chercheront les moyens de terminer la guerre que vous voulez continuer. Ils se rappelleront que dans d’autres circonstances les marins de la mer Noire ont refusé de tirer sur les ouvriers révolutionnaires de Russie, que les soldats de la Ruhr ont fraternisé avec les Allemands, que les Espagnols n’ont pas craint de parler avec les Rifains. Et ils tendront une main fraternelle à ceux que vous appelés des ennemis. Ils vous imposeront la paix.

Les socialistes votent la censure contre le député communiste ou s’abstiennent.
Les socialistes qui votent les crédits pour la guerre du Maroc se démasquent comme social-impérialistes, tandis que notre parti popularise dans la classe ouvrière et les masses laborieuses le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’indépendance des colonies. Ces interventions ont un retentissement énorme.
Ainsi pénètre dans les masses la théorie du soutien du mouvement révolutionnaire des peuples coloniaux qui, à son tour, soutient objectivement la lutte prolétarienne, et la théorie du défaitisme, du devoir révolutionnaire des communistes dans l’armée.
Déjà, en septembre 1924, lorsque les tribus rifaines culbutaient les troupes du dictateur espagnol, Primo de Rivera, le Parti avait vigoureusement manqué sa position de principe par un télégramme resté fameux, signé de Doriot et de Semard et envoyé à Abd-el-Krim :
Groupe parlementaire, Comité directeur du P.C. et Comité national des J.C. saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abd-El-Krim. Espèrent qu’après la victoire définitive sur l’impérialisme espagnol il continuera, en liaison avec le prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialistes, français compris, jusqu’à la libération complète du sol marocain. Vive l’indépendance du Maroc ! Vive la lutte internationale des peuples coloniaux et du prolétariat mondial.

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