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Revenu minimum garanti : Résolution de Voie Prolétarienne
Partisan N°33 - Septembre 1988
L’un des premiers problèmes abordés par le gouvernement Rocard aura été la question du Revenu Minimum dit "d’Insertion”. Ce n’est d’ailleurs pas simplement l’œuvre du PS. Les bourgeois de tout bord s’inquiètent depuis quelque temps, du danger que représente la multiplication de chômeurs de longue durée sans allocation rejetés inexorablement vers la misère.
C’est d’ailleurs cette situation qui avait conduit des forces autour de l’ACP-CASH à axer leur lutte pour un Revenu Minimum Garanti (RMG) égal au SMIC.
Pour notre part, si nous soutenons la revendication du RMG, nous n’en faisons pas un axe central de notre lutte contre le chômage. Au contraire, nous subordonnons cette lutte pour le RMG à notre axe de revendication et de propagande pour les 20H pour Travailler Tous, Moins et Autrement.
Le document ci-dessous n’est donc pas le signal d’une campagne de l’organisation centrée sur ce thème mais une prise de position sur cette question. Prise de position rendue nécessaire par l’offensive idéologique de la bourgeoisie sur le Revenu Minimum.
Le texte écrit avant les projets du gouvernement n’en aborde pas le détail. Ce sera fait ultérieurement dans un prochain numéro.
I POURQUOI LA VOGUE DU RMG
La plupart des pays d’Europe du Nord ont un système de revenu minimum garanti. Des expériences ont été menées en France, comme à Rennes ou à Belfort. Certaines organisations de chômeurs ont retenu cette revendication comme une réponse possible à la persistance du chômage et au développement de la précarité du travail.
Tous les partis bourgeois l’ont inscrit à leur programme à l’occasion des dernières élections. Partis de droite et partis de gauche ne se distinguent ni sur le niveau fixé au RMG (2000 à 3000 F), ni par les contreparties qui lui sont assorties. Seules les départagent les justifications idéologiques et politiques qui accompagnent ces propositions.
Cette vogue qui pourrait paraître contradictoire avec le "libéralisme" dominant ne l’est pas du tout si on considère les enjeux que représente une telle mesure pour le capital.
En fixant un seuil au-dessous duquel le revenu de toute personne sans travail ne pourrait descendre, il permettrait une remise en cause plus générale des formes actuelles de protection sociale des actifs (le smic…) comme des chômeurs (allocation universelle, mais d’un montant très inférieur aux allocations actuelles).
Cette allocation, dans la mesure même où elle éviterait une paupérisation extrême des chômeurs en fin de droit et des précaires, permettrait d’acheter la bonne conscience de certaines couches, en particulier dans l’aristocratie ouvrière et la petite bourgeoisie, contribuant ainsi à désamorcer des risques de tension sociale, sans nuire (et même en favorisant) la flexibilité de la force de travail.
Enfin, instaurée au nom de la charité et accompagnée de contreparties diverses, elle pourrait favoriser de nouvelles formes d’encadrement social et idéologique de la classe ouvrière.
II EXPLOITEURS ET EXPLOITÉS
Pourtant, le maintien d’un fort taux de chômage, la marginalisation social d’une partie des travailleurs (jeune sans qualification, travailleurs âgé dont la force de travail n’a plus de valeur d’usage pour le capitalisme) ou leur cantonnement dans des emploi précaires (TUC, SIVP, stages) posent avec force des questions essentielles auxquelles la plupart des partisans du RMG ne répondent pas :
Quelle est l’origine sociale du chômage ? Est-ce une fatalité ?
Comment faire face aux besoins des ouvriers et de tous ceux qui sont privés de travail ?
Comment unir tous les ouvriers con¬tre ce mal du capitalisme ? Et cela à une époque où l’individualisme, le corporatisme dominent ?
Ces problèmes ne sont évidemment pas ceux des partis bourgeois, de droite et de gauche, qui s’appliquent seulement à colmater les brèches les plus visibles du capitalisme. Ce sont ceux, pourtant, des exploités qui subissent chômage et précarité et auxquels il n’est plus répondu que par la charité.
A en croire le point de vue dominant (même de ceux qui se « penchent sur le sort des chômeurs ») il n’y a plus dans cette société ni d’exploiteurs (les bourgeois) ni d’exploités (les ouvriers). Il n’y a plus de société do¬minée par le profit ; mais des « mutations sociales et économiques conséquences de la modernisation ». Il n’y a plus que des « riches » et des « pauvres ». Et encore les « riches » sont de plus en plus définis comme ceux qui disposent d’un emploi stable. Le chômage « phénomène fatal du développement » n’est plus une affaire de programme politique ; mais de charité.
Dans la classe ouvrière, la pression du chômage pousse à l’acceptation de conditions de travail dégradées. Avec la montée de la précarité, il devient de plus en illusoire de conserver durablement un travail stable. Chacun connaît ou connaîtra un jour le chômage ou le travail précaire pour lui ou pour un membre sa famille.
Tous ces facteurs devraient pousser chaque travailleur à reconsidérer sa propre situation et à percevoir la dimension de classe du chômage. Pourtant trop d’ouvriers se figent dans des réflexes corporatistes quand ils ont encore un travail ou regardent les actifs comme des privilégiés lorsqu’ils le perdent.
III CONTRE LE CHOMAGE RÉDUCTION MASSIVE TEMPS DU TRAVAIL
A ces défis nous devons répondre tant du point de vue de la lutte immédiate que d’un point de vue stratégique.
L’origine du chômage est sociale. Il est le produit des rapports de production capitaliste. Sa liquidation passe par la destruction révolutionnaire de ceux-ci. En effet, l’accumulation pour le profit ne peut se poursuivre qu’en élevant la productivité du travail (qu’en réduisant le travail nécessaire pour produire une marchandise). Mais le temps en moins pour produire c’est un profit accru pour le capital et le chômage pour une partie des travailleurs lorsque par suite de l’état de crise l’accumulation capitaliste diminue.
Pourtant cette productivité et ce chômage et les formes dévoyées de travail à temps réduit (temps partiel, TUC, SIVP) révèlent les potentialités de temps libre qui existeraient pour tous si cette société n’était pas dominée par le profit. Aussi, lorsque nous affirmons :
« TRAVAILLER TOUS, MOINS, AUTREMENT »
nous répondons bien aux besoins actuels des ouvriers face au capital, et nous affirmons notre volonté de transformer toute cette société.
Le temps ainsi libéré est une condition nécessaire à la transformation du travail lui-même, au bouleversement des rapports sociaux, en donnant les moyens à la classe ouvrière de prendre elle-même en main non seulement l’organisation du travail dans l’usine, mais celle de toute la société.
La réduction massive du temps de travail n’est pas synonyme d’oisiveté ou de généralisation de l’individualisme dans les loisirs. C’est la condition du bouleversement collectif de toute la société, du travail comme des loisirs, pour aller vers la fusion de toutes les activités humaines dans une activité libre multiforme ou la contrainte a disparu.
Le temps libre pour tous ne sera libéré ni par une loi, ni par une décision administrative d’un autre pouvoir ; mais par l’initiative révolutionnaire des ouvriers et des travailleurs ; par leur prise en main du pouvoir politique et du pouvoir dans tous les domaines de la vie. Ce sont les travailleurs conscients et organisés (unis) qui peuvent s’approprier ce temps-là. Aussi, la charité qui les maintient dans une situation d’assistés, les désarme-t-elle et doit être combattue.
IV REVENU MINIMUM ET RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
Seule la disparition des rapports capitalistes et la réduction massive du temps de travail en se fondant sur les potentialités de la société actuelle (20h) feront disparaître le chômage. Mais les ouvriers subissent celui-ci aujourd’hui. Ils ne sont rien dans cette société qui ne fonctionne ni sous leur direction ni selon leurs intérêts.
Ils doivent donc lutter pour préserver leurs conditions d’existence en se préparant à la transformation révolutionnaire de la société. Comme nous exigeons face à la bourgeoisie des réductions du temps de travail (36 h, 30 h ...) nous avançons l’exigence d’un revenu garanti pour les exploités. Nous exigeons les mêmes moyens pour vivre que la bourgeoisie nous procure du travail ou non. Ainsi posé le RG n’est ni un compromis avec les exigences de l’économie capitaliste, ni une charité octroyée. Elle ne souffre d’aucune contrepartie. C’est une exigence de dignité ouvrière. Nous la revendiquons pour tous les exploités français et immigrés, réguliers ou clandestins, dont nous exigeons par ailleurs la régularisation automatique.
Nous fixons comme montant à ce revenu des ouvriers et des exploités (pour les actifs SMIC, pour les chômeurs RG) un montant à calculer en fonction des besoins que les ouvriers ont pour vivre dans cette société. Ce revenu devra être chiffré en fonction d’un budget ouvrier. Il ne s’agit donc pas d’une surenchère par rapport aux propositions réformistes ; mais du rejet de la vie au rabais, de la charité. Le débat autour du montant de l’allocation de RG est politiquement important ; puisqu’elle permet aussi la critique du mode de consommation capitaliste. Pour l’essentiel ce mode s’impose à l’ouvrier ; toutefois il n’est pas indifférent pour l’avenir et dans l’immédiat pour la lutte anti¬impérialiste que se développe une critique de celui-ci et des comportements sociaux qu’il encourage (individualisme…).
V RG ET RÉVOLUTION
Cette revendication n’est pas réaliste en ce sens qu’elle va à l’encontre des intérêts de la bourgeoisie en cette période de crise. Elle ne l’est pas non plus parce que le rapport de force capable de l’imposer n’existe pas encore. Mais c’est un point essentiel de toute plateforme qui, prétendant organiser tous les ouvriers (actifs, précaires, chômeurs...) dans la défense de leurs intérêts communs, doit articuler les intérêts d’ensemble de la classe (réduction du temps de travail) avec la prise en compte, contre les corporatismes, des revendications des fractions de la classe menacées de marginalisation (revenu garanti et abolition des formes de travail précaire).
En prenant position dans les débats que provoque le RMG, en développant la lutte pour l’imposer, nous devons organiser les travailleurs pour la transformation révolutionnaire de la société.
Revendiquer un même revenu pour des ouvriers qu’ils aient un travail ou pas, heurte le sens commun. Celui de l’échange marchand : un salaire contre une dépense de force de travail.
Le RG c’est une pierre lancée dans la mare. Une manière de critiquer l’idéologie du salariat qui est la justification de tous les corporatismes et de tous les chauvinismes. C’est combattre celle-ci, non pas dans l’abstrait, mais en s’appuyant sur les intérêts actuels des ouvriers ; puisque le capitalisme ne laisse pas le choix du travail ou de l’oisiveté.
Pourtant, en lui-même, le Revenu Garanti n’est pas un pas en avant vers l’abolition du salariat, contrairement à ce que peuvent affirmer certaines thèses libertaires.
C’est en l’état actuel des choses une réponse immédiate au chômage, à un problème urgent posé par le capitalisme lui-même, dans des conditions qu’il nous impose et non un bouleversement des rapports sociaux.
La lutte pour le Revenu Garanti aujourd’hui nous permet de poser le débat sur les conditions d’un autre partage du travail nécessaire à la vie de la société (par la transformation des rapports sociaux et la réduction du temps de travail), d’un autre partage des richesses créées par ce travail, d’une rupture de la domination impérialiste. Bref, elle nous permet de montrer qu’il ne s’agit pas, comme le proposent les réformistes, de répartir la pénurie entre les travail¬leurs exploités, mais d’abolir la division actuelle des classes.
Elle doit déboucher sur la conception d’une société où l’on ne parlera plus de Revenu Garanti, où le travail sera autre, où les ouvriers dirigeront et où nous pourront dire « Qui ne travaille pas et peut le faire, ne mange pas ».
VI RG ET LUTTE CONTRE LES LICENCIEMENTS
La revendication d’un revenu garanti n’est pas un contournement de la difficulté que nous avons à lutter contre les licenciements ou par la réduction du temps de travail. Bien que le travail soit aujourd’hui un « esclavage salarié » nous revendiquons, dans cette société, un travail et nous luttons contre les licenciements.
Nous ne le faisons pas au nom d’un droit abstrait au travail ; mais parce que c’est dans la pratique collective de la production que se développent les conditions objectives par lesquelles les ouvriers peuvent prendre conscience de leur existence de classe. C’est dans la lutte collective contre le travail aliéné, pour une autre vie qu’ils acquièrent l’expérience, l’organisation et la conscience qui leur permettra de transformer la société. L’isolement créé par le chômage freine l’organisation de la classe ouvrière.
Le RG ne constitue pas la forme la plus avancée de la lutte contre le salariat. Le refus le plus élevé du salariat n’est pas de se soustraire au travail : mais de lutter dès maintenant pour travailler autrement, pour la transformation des rapports entre les hommes.
VII RG ET IMPÉRIALISME
Nous revendiquons pour tous les ouvriers un revenu garanti. Nous sommes dans un pays impérialiste. Notre impérialisme vit encore de l’exploitation des peuples dominés qui connaissent de façon plus intense les affres de la misère et du chômage. Nous devons lutter pour affaiblir notre impérialisme et soutenir les luttes de ces peuples pour leur libération (annulation des dettes, droit à la fixation du prix des matières premières en fonction de leurs besoins, retrait des intérêts économiques français). Nous rejetons donc tous les arguments qui, au nom du réalisme économique, associent ou associeraient la possibilité d’un RG a l’équilibre économique de la France ou à la fermeture des frontières et au protectionnisme. La revendication d’un revenu garanti est fondée sur les potentialités de la société (et sur la lutte contre le profit) ; non sur la prospérité de la bourgeoisie française.
Enfin, si nous exigeons un revenu pour satisfaire les besoins que nous impose cette société capitaliste ; nous ne devons pas nous aplatir devant ses normes de consommation. Transformer toute la société c’est aussi transformer les besoins des hommes et les moyens de les satisfaire socialement. C’est aussi transformer par la solidarité les rapports entre les peuples, lutter contre l’impérialisme pour une autre répartition internationale de la richesse sociale.
Nous devons fixer un revenu correspondant à nos besoins actuels sans être aveugles sur le caractère « capitaliste" » de certains de ceux-ci.
VIII EN CONCLUSION
En intégrant ainsi à notre combat l’exigence d’un revenu garanti pour les exploités privés d’emplois, précaires ou actifs nous nous délimitons de ceux qui cherchent seulement par le revenu minimum garanti à colmater les brèches les plus béantes de cette société. Ce n’est pas un revenu minimum d’intégration comme le propose le PS ; ce n’est pas non plus la façon la plus avancée d’exprimer le refus du salariat.
La lutte pour un RG est une exigence de dignité pour tous les exploités, un levier pour construire une lutte unie et pour promouvoir une conscience claire de l’intérêt des exploités.
Comme toute revendication elle est dans son interprétation et dans son usage l’objet d’une lutte politique ; servira-t-elle ou non la lutte pour l’émancipation du prolétariat ? C’est en la portant selon l’orientation ci-dessus que, pensons-nous, elle contribuera à transformer l’avenir de tous les exploités.
