Vous êtes dans la rubrique > Archives > Qu’est-ce qu’une idéologie ?

Qu’est-ce qu’une idéologie ?

Partisan N°244 - Janvier 2011

Qu’est-ce que nous appelons une idéologie ? Qui dit idéologie dit, avant tout, idée. L’idéologie, c’est un ensemble d’idées qui forme un tout, une théorie, un système ou même parfois simplement un état d’esprit.(...)

Mais une idéologie n’est pas seulement un ensemble d’idées pures, qu’on supposerait séparées de tout sentiment (c’est là une conception métaphysique) ; une idéologie comporte nécessairement des sentiments, sympathies, antipathies, espoirs, craintes, etc. Dans l’idéologie prolétarienne, nous trouvons les éléments idéaux de la lutte de classes, mais nous trouvons aussi des sentiments de solidarité envers les exploités du régime capitaliste, les « emprisonnés », des sentiments de révolte, d’enthousiasme, etc.. C’est tout cela qui fait une idéologie.

Voyons maintenant ce que l’on appelle le facteur idéologique : c’est l’idéologie considérée comme une cause ou une force qui agit, qui est capable d’influence, et c’est pourquoi l’on parle de l’action du facteur idéologique. Les religions, par exemple, sont un facteur idéologique dont nous devons tenir compte ; elles ont une force morale qui agit encore de façon importante.

Qu’entend-on pas forme idéologique ? On désigne ainsi un ensemble d’idées particulières, qui forment une idéologie dans un domaine spécialisé. La religion, la morale sont des formes de l’idéologie, de même que la science, la philosophie, la littérature, l’art, la poésie. (...)

Structure économique et structure idéologique.

(...)Les hommes font l’histoire par leur action, expression de leur volonté. Celle-ci est déterminée par les idées. Nous avons vu que ce qui explique les idées des hommes, c’est-à-dire leur idéologie, c’est le milieu social où se manifestent les classes, qui sont à leur tour elles-mêmes déterminées par le facteur économique, c’est-à-dire, en fin de compte, par le mode de production. Nous avons vu aussi qu’entre le facteur idéologique et le facteur social se trouve le facteur politique, qui se manifeste dans la lutte idéologique comme expression de la lutte sociale.

Si donc nous examinons la structure de la société à la lumière du matérialisme historique, nous voyons qu’à la base se trouve la structure économique, puis, au-dessus d’elle, la structure sociale, qui soutient la structure politique, et enfin la structure idéologique.

Nous voyons que, pour les matérialistes, la structure idéologique est l’aboutissement, le sommet de l’édifice social, tandis que, pour les idéalistes, la structure idéologique est à la base. (...) Nous voyons, par conséquent, que c’est la structure économique qui est à la base de la société. On dit aussi qu’elle en est l’infrastructure (ce qui signifie la structure inférieure).

L’idéologie, qui comprend toutes les formes : la morale, la religion, la science, la poésie, l’art, la littérature, constitue la supra — ou superstructure (qui signifie : structure qui est au sommet). Sachant, comme le démontre la théorie matérialiste, que les idées sont le reflet des choses, que c’est notre être social qui détermine la conscience, nous dirons donc que la superstructure est le reflet de l’infrastructure.(...)

Prenons un exemple : prenons la mentalité de deux ouvriers non syndiqués, c’est-à-dire non développés politiquement ; l’un travaille dans une très grande usine, où le travail est rationalisé, l’autre travaille chez un petit artisan. Il est certain qu’ils auront tous les deux une conception différente du patron. Pour l’un, le patron sera l’exploiteur féroce, caractéristique du capitalisme ; l’autre verra le patron comme un travailleur, aisé certes, mais travailleur et non tyran. C’est bien le reflet de leur condition de travail qui déterminera leur façon de comprendre le patronat.

Conscience vraie et conscience fausse.

Nous venons de dire que les idéologies sont le reflet des conditions matérielles de la société, que c’est l’être social qui détermine la conscience sociale. On pourrait en déduire qu’un prolétariat doit avoir automatiquement une idéologie prolétarienne. Mais une telle supposition ne correspond pas à la réalité, car il y a des ouvriers qui n’ont pas une conscience d’ouvrier.
Il y a donc une distinction à établir : les gens peuvent vivre dans des conditions déterminées, mais la conscience qu’ils en ont peut ne pas correspondre à la réalité. C’est ce qu’Engels appelle : « avoir une conscience fausse ».

Exemple : certains ouvriers sont influencés par la doctrine du corporatisme qui est un retour vers le moyen-âge, vers l’artisanat. Dans ce cas, il y a conscience de la misère des ouvriers, mais ce n’est pas une conscience juste et vraie. L’idéologie est bien là un reflet des conditions de vie sociale, mais ce n’est pas un reflet fidèle, un reflet exact.

Dans la conscience des gens, le reflet est très souvent un reflet « à l’envers ». Constater le fait de la misère, c’est là un reflet de conditions sociales, mais ce reflet devient faux lorsque l’on pense qu’un retour vers l’artisanat sera la solution du problème. Nous voyons donc ici une conscience en partie vraie et en partie fausse (...). Nous dirons donc que l’idéologie est le reflet des conditions d’existence, mais que ce n’est pas un reflet FATAL.

Il nous faut d’ailleurs constater que tout est mis en œuvre pour nous donner une conscience fausse et développer l’influence de l’idéologie des classes dirigeantes sur les classes exploitées. Les premiers éléments d’une conception de la vie que nous recevons, notre éducation, notre instruction, nous donnent une conscience fausse. Nos attaches dans la vie, un fond de paysannerie chez certains, la propagande, la presse, la radio faussent aussi parfois notre conscience.

Par conséquent, le travail idéologique a donc pour nous, marxistes, une extrême importance. Il faut détruire la conscience fausse pour acquérir une conscience vraie et, sans le travail idéologique, cette transformation ne peut se réaliser.

Ceux qui considèrent et disent que le marxisme est une doctrine fataliste ont donc tort, puisque nous pensons, en vérité, que les idéologies jouent un grand rôle dans la société et qu’il faut enseigner et apprendre cette philosophie qu’est le marxisme pour lui faire jouer le rôle d’un outil et d’une arme efficaces.

Principes élémentaires de philosophie – Georges Politzer – Editions sociales.

Qui est Georges Politzer ?

Politzer est né en Hongrie en 1903. Ses parents s’installent en France, fuyant la persécution. Dans les années 1930, membre du PCF, avec son ami Jacques Solomon il crée l’Université ouvrière de Paris. Les cours rassemblent des ouvriers, des étudiants. « Les problémes les plus difficiles devenaient grâce à lui clairs et simples, sans jamais perdre leur dignité théorique. » Il s’intéresse aussi à la psychologie dans sa « Critique des fondements de la psychologie ». Résistant, arrêté et torturé, refusant de se renier afin d’obtenir sa libération, il fut fusillé comme Jacques Solomon en 1942. Les « Principes élémentaires » sont repris de notes prises par un de ses élèves durant l’Université populaire de l’année scolaire 1935-1936.

Soutenir par un don