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Wikileaks, conscience de classe et organisation.

Wikileaks, site internet qui se consacre à la divulgation de documents confidentiels, s’est fait connaître à l’automne 2010 en publiant des documents internes de l’armée américaine en Irak. Un peu plus tard, il divulgue près de 250 000 télégrammes diplomatiques américains secrets. Ces révélations ont fait grand bruit, et certains présentent Wikileaks comme l’adversaire numéro 1 des USA.

L’importance des révélations doit être relativisée. Premièrement, ces télégrammes ne sont pas les documents internes les plus sensibles de l’Etat américain. Il s’agit bien de documents diplomatiques, et non de rapports des agents de la CIA ou des attachés militaires en poste dans les ambassades, qui ont un contenu beaucoup plus sensible. Ensuite, ces télégrammes ne sont pas les plus confidentiels de la diplomatie américaine ; les « câbles » des ambassades US sont classés selon quatre degrés de confidentialité : non-classé, confidentiel, secret et top-secret. Et bien, parmi les télégrammes, plus de la moitié sont « non-classés » et il n’y a aucun « top-secret ».

Lutte de classe ou héros seul contre tous ?

Julian Assange, un des fondateurs du site, est aujourd’hui celui qui le personnifie. A l’heure où cet article est écrit, il est réfugié en Grande-Bretagne, car accusé de viol par deux jeunes femmes suédoises. L’une des plaignantes a d’ailleurs confirmé être en lien avec la CIA [1]. En tout cas, cela s’accorde bien avec les « théories du complot » qui ont éclos autour de l’affaire Wikileaks.
Cette « personnalisation » du site internet n’est pas sans poser de problèmes. D’après d’anciens associés, Assange aurait pris la « grosse tête » et se serait imposé comme dirigeant absolu et incontestable de Wikileaks. Conséquence inévitable de la focalisation sur un seul individu ! Or ce sont les collectifs et les masses qui font l’histoire, pas un individu quels que soient ses mérites. Il faut faire attention, car avec Wikileaks ont peut considérer que la politique est une affaire de franc-tireur.
Révéler les agissements de la bourgeoisie et ce qu’elle préfèrerait cacher est nécessaire, mais non suffisant ; ça ne suffit pas pour déclencher une révolution. Comme on dit, la démocratie bourgeoise c’est « cause toujours » : on peut dire ce qu’on veut, mais tant que la bourgeoisie garde la supériorité idéologique, tant qu’il y a l’aliénation, l’individualisme, qu’il n’y a pas de construction politique autonome, ça n’est pas vraiment une menace.

La révolte ne construit rien sans organisation.

D’ailleurs, les révélations de Wikileaks sont du même ordre que celle que Le Canard enchaîné fait toutes les semaines, et aucune n’a encore déclenché une révolution bien qu’à chaque page la corruption et le mépris du gouvernement soit étalé. Comme l’a dit Z. Brzeziński, ancien conseiller du président américain Carter, les révélations de Wikileaks sont « catastrophiques, mais pas graves »  : les révélations sont d’ampleur, mais les conséquences politiques seront mineures.
Ne nous faisons donc pas trop d’illusion sur les capacités des révélations de Wikileaks à changer le monde par elles-mêmes. Un média comme celui-ci doit être défendu, d’abord au nom du droit démocratique à la liberté d’expression, et ensuite parce qu’il nous donne des arguments politiques contre la bourgeoisie.
Mais il faut en montrer les limites. La révolution ne viendra pas spontanément lorsque d’un coup la classe ouvrière et les masses prendront conscience de leur condition et du rôle politique qu’ils ont à jouer. La révolte contre les conditions de vie, l’exploitation, les injustices sont à la base de la révolte. Mais pour faire la révolution jusqu’au bout, il faut s’organiser et développer sa conscience par la confrontation et l’élaboration collective.

Être dans les masses comme « un poisson dans l’eau ».

Il faut faire de la politique en profondeur et dans le long terme parmi les travailleurs. N’oublions pas qu’une chose peut se transformer en son contraire, comme dit une loi dialectique : une initiative progressiste à la base comme Wikileaks peut servir d’arme à des réactionnaires qui voient la main de comploteurs partout mais n’ont pas une analyse politique de classe, ou encore à ceux qui se plaisent à taper sur l’impérialisme américain mais évitent de parler de l’impérialisme français ou d’un autre.
Internet est un outil de propagande de masse indispensable aux révolutionnaires de notre époque. Mais il ne remplace pas le travail politique réel. En économie, seul le travail « vivant » de l’homme est créateur de richesses. En politique, c’est la même chose : seul le travail politique « vivant » est créateur de conscience et d’organisation.

Axel

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