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Non, nous n’avons pas à impulser des SCOP

Article de Partisan n°5 - novembre 1985

JE SUIS CONTRE... MAIS !

Il est temps, grand temps, de savoir ce qu’on fait. Ce qu’on met en avant. La lutte de ligne d’accord, si elle aboutit à une ligne directrice, commune à toute l’organisation. Sinon c’est le noir pour les ouvriers qui nous sont attentifs. Certains sont pour les SCOP, d’autres contre. F.G., lui, réussit le tour de force d’être " d’accord avec le raisonnement de fond " de J.B., tout en soutenant la création de SCOP !! " Dans la situation concrète, il n’y a pas de position de principe sur cette question " dit-il ! On ne sait d’ailleurs pas de quelle situation concrète le camarade veut parler, mise à part la lutte des ouvrières de la CIP en 76, qui de mon point de vue renforce l’analyse de J.B. Le dossier SCOP de Partisan a le mérite de faire un bilan concret de la situation concrète jusqu’à aujourd’hui. En s’appuyant sur un bilan historique général et ce ne sont pas simplement " des idées ", mais l’analyse de l’expérience passée au tamis du marxisme-léninisme. Bilan politique et non... "d’information" ...

 

Ce courant du " je suis contre, mais... je suis pour " existe fortement dans Voie Prolétarienne. Il est significatif du reflux qui caractérise le mouvement ouvrier. Quel ouvrier connaît par exemple notre position politique sur les TIG ! ( Travaux d’Intérêts Généraux ). Dans le journal PARTISAN nous les dénonçons alors que par ailleurs une camarade à Radio PARTISAN déclare : " Je ne suis pas contre car sous le socialisme il y aura des Travaux d’Intérêts Généraux ". On peut retrouver ce raisonnement politique sur la formation, sur la flexibilité, voire sur " Produire français ".

 

Bref, sur chaque mesure que prend la bourgeoisie pour se sortir de la crise, on se retrouve avec " je suis contre, mais... ". Pourtant on voit bien comment la bourgeoisie nous mijote aujourd’hui à la sauce " on est tous sur le même bateau " : stages pour les nouveaux embauchés, cours économiques... Elle nous compresse idéologiquement. Allons-nous crier bravo à cette initiative des cours économiques sous prétexte que, comme le constatent, certains camarades d’usine, les ouvriers politisés " s’intéressent davantage aux questions économiques" ! Je dis NON et nous devons dénoncer toute tentative de la bourgeoisie de nous associer à notre exploitation. On connaît déjà les cercles de qualité, les groupes d’expression, que les ouvriers délaissent. Les ouvriers avancés refusent de jouer le jeu, quant à la masse elle s’y désintéresse complètement.

 

Cette attitude différente des ouvriers avancés et des masses fonde la tactique que Voie Prolétarienne s’est donnée. DISTINCTION entre éléments avancés et masses. Organisation de ces éléments avancés pour diriger leur classe vers la prise du pouvoir politique. Ce qui est la condition indispensable pour que les masses ouvrières aient les moyens idéologiques, politiques et organisationnels de surmonter l’état d’appauvrissement intellectuel dans lequel le capitalisme les cantonne.

 

Je citerais d’ailleurs, pour illustrer et renforcer mon point de vue l’expérience qu’a réalisée la cellule de F.G. dans sa boîte, et que l’on peut trouver dans la brochure " un dernier mot avant de quitter l’usine... " ( disponible à notre Boîte Postale ). Les camarades ont essayé à travers le comité d’entreprise, de remplacer les chocolats de fin d’année par des livres de lecture en menant une activité dans ce sens, bien entendu. Noble initiative. Toutefois, leur bilan montre que cela a été un échec. Les ouvriers préférant les chocolats. Je dirai cela est logique. Le capitalisme a fait des ouvriers des bosseurs du profit. Pas des passionnés de lecture. Penser que l’on peut inverser cette situation sans mettre à bas le pouvoir de la bourgeoisie est tout simplement illusoire. Toutefois, et je l’ai dit, ceci fonde notre tactique et notre activité, une fraction d’ouvriers recherche les moyens théoriques et pratiques de lutte contre le capital. Ils sont la cible prioritaire. Et pour rester dans l’exemple " lecture ", je m’appuierai pour illustrer mon point de vue sur l’interview de Partisan n° 4, réalisé par un camarade d’usine, auprès d’un ouvrier, avec la lecture du Manifeste.

 

Deux exemples d’activité. Renforcement du travail politique auprès des ouvriers avancés en vue des les organiser pour la prise du pouvoir d’Etat. Ce que F.G. appelle " se croire au matin du grand soir et distribuer des bons points ". Ou développer une activité de masses pour qu’elles prennent elles-mêmes et dès aujourd’hui, leurs affaires en mains. Ce que moi j’appelle prendre ses désirs pour la réalité. Tel est à mon sens le débat dans Voie Prolétarienne. Mais revenons au sujet qui nous intéresse ici.

FAUT-IL IMPULSER DES SCOP ?

Il est clair que oui pour F.G., tout en étant d’accord avec " le raisonnement de fond " de J.B. qui est : les SCOP sont une impasse. Mais dit-il : " il n’existe pas d’issue DURABLE " " et ENCORE, il faut se battre, il y a des reculs partiels "... " Il apparaît peu profitable que... MAIS où nous avons un lien aux masses conséquent ". Et puis il y a tellement " de richesses " dans une SCOP qu’on aurait tort de s’en priver. Il n’a donc " pas de position de principe sur cette question ". Je dis SI il a une position. Elle est : impulsons des SCOP ! Sachons, même si c’est une impasse, tirer la richesse de l’expérience. Il concrétise cette richesse ainsi : " parler au patron ", " faire des vêtements entiers ", " prendre des responsabilités ", " les ouvriers démontrent qu’ils sont capables de faire autre chose ".

 

Je pense que nous DEVONS avoir, en tant qu’organisation, une position de principe sur cette question. Elle ne peut être que : NON A L’IMPULSION DE SCOP. L’heure n’est pas à renforcer l’impasse, mais à construire la destruction du capitalisme.

 

Rappelons quelques points
1. La rédaction du dossier SCOP a été la conséquence d’une demande de camarades de VP pour aider leur activité, la propagande bourgeoise mettant tellement en avant l’idée d’être " son propre patron " et grand dieu on la comprend, que la création de SCOP parcourait nos secteurs d’intervention. Rappelons que cette activité se situe dans des grandes concentrations ouvrières, des zones prolétaires importantes. Ce besoin d’approfondissement du phénomène SCOP apparaissait comme un élément nécessaire pour les ouvriers avancés dans leur débat auprès des autres ouvriers. On ne nous a jamais dit que les ouvriers quittaient en masse les usines pour aller faire des SCOP. Aussi ce dossier n’a pas été rédigé pour faire avancer politiquement les ouvriers d’une SCOP de 10 personnes dans l’Hérault, cela dit sans mépris. Mais bien en rapport avec les besoins concrets d’une organisation bien concrète.

 

2. Il est clair ( voir Partisan n° 2) que le phénomène SCOP n’est pas une grande " expérience ouvrière ". Il concerne vraiment peu les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière, mais pour l’essentiel des secteurs non ouvriers et le bâtiment. Quant aux coopératives industrielles, plutôt que de rappeler ce que J.B. a présenté dans son dossier, je vais citer l’extrait d’une correspondance d’un camarade proche de Voie Prolétarienne et qui a lui vécu l’expérience d’une SCOP : " II est indubitable que pour les coopératives de production qui travaillent en concurrence avec la grosse production industrielle capitaliste, l’échec est assuré et peu de résultats positifs sont à attendre surtout si la taille est grande ou moyenne. Dans ce cadre, l’entreprise est très liée au marché, à la rentabilité et à l’investissement. Elle est obligée d’adapter une division du travail poussée et ne laisse aucun moyen ni temps pour modifier quoique ce soit, sous peine de disparition. Dans ce domaine donc, rien à attendre. Pire même, les travailleurs se trouvent dominés par les idéologues syndicaux qui les font tomber dans le piège de la surexploitation : auto-licenciements, salaires détériorés, augmentation des horaires, pas de temps pour réfléchir. Avec l’inconvénient supplémentaire par rapport à une entreprise " classique " de ne pas pouvoir ou plus difficilement mener la lutte de classe. Lorsqu’une telle coopérative est menacée de faillite, elle rencontre peu de soutien de l’extérieur . Les gens disent " c’était leur entreprise, ils n’ont pas réussi, donc elle n’est pas viable " " ( Gaston Aginor ).

 

3. Concernant " la stupidité " d’envoyer les ouvriers à l’ANPE plutôt que de faire une SCOP. Qui pourrait prétendre imposer ce choix. Lors de la rédaction du dossier SCOP, la position majoritaire du Comité de Rédaction était celle-ci. Si des ouvriers veulent créer une SCOP et que nous y soyons mêlés, nous leurs disons : vous choisissez une impasse, vous ne réussirez pas à conserver votre emploi définitivement et avec quels sacrifices. Quant à " travailler autrement " n’y pensez pas, d’autres ont essayé et s’y sont cassé les dents. Le seul point positif que nous y voyons et sur lequel nous sommes prêts à vous suivre, c’est : avoir un emploi et un salaire temporairement. Ceci n’a pas été dit dans le dossier de J.B. C’est d’ailleurs pour moi secondaire. Pour ma part, compte tenu des tâches de l’organisation, de ses priorités, je refuserais toute participation à une SCOP. Ceci en l’expliquant aux ouvriers à l’aide du bilan politique des SCOP. Je pense avoir mieux à faire dans les grandes concentrations ouvrières, que de faire à une poignée l’expérience de l’impasse. Cette attitude concrète fait pour moi avancer plus les ouvriers que nous voulons toucher que toute création de SCOP nouvelle.

 

Arrêtons-nous sur la " richesse " que F.G. épingle pour justifier l’impulsion de SCOP. Elle me paraît bien simpliste. Les ouvriers n’ont pas besoin de faire une SCOP pour savoir " qu’ils sont capables de faire autre chose ". Rappelons la perruque, la boîte à idées, les multiples combines pour alléger leur poste de travail, le boulot au noir . " Epauler le patron ", bof ! " Prendre des responsabilités ". Le dossier de J.B. m’avait paru clair sur cette inexactitude. G. Aginor le rappelle. Mais ce qui est merveilleux, c’est " faire des vêtements entiers " : Quelle étonnante conception du socialisme. Je pensais qu’à Voie Prolétarienne nous étions plus avancés. Nous nous attachons à rechercher dans les conflits de la classe ouvrière ce qui est aspiration à travailler autrement, mais jamais on ne cite l’aspiration à ne plus travailler du tout. Le Lundi et le Vendredi, c’est quelque chose pour un ouvrier. Et beaucoup sont là pour là paye uniquement. Ils préfèreraient y faire autre chose. Aussi quand F.G. prétend que " faire un vêtement entier " c’est l’exemple de lutte contre la division du travail, je dis halte-là !. Ce socialisme, je n’en veux pas. Vive les robots qui nous débarrasseront de la basse besogne. Contentant. les ouvriers qui aspirent à vivre autre chose. Le socialisme, ce n’est pas faire chacun sa voiture. Quand on parle lutte contre la division sociale du travail, ce n’est pas recomposer le travail de A à Z, mais c’est recomposer la vie au niveau de l’ensemble de la société : éducation, direction des affaires, communication, culture, sport, etc...

 

Pour moi, " faire un vêtement entier " n’est absolument pas " une richesse " qui tire au socialisme. Alors que le développement des moyens de produire permettent un formidable développement de la production matérielle, alors que ces moyens de produire actuellement aux mains des bourgeois mettent quatre à cinq millions de personnes au chômage, il faudrait revenir cent ans en arrière à fabriquer " des pyjamas entiers ", à dire faisons notre petite entreprise ! Les ouvriers avancés attendent D’AUTRES VOIES. Sachons les impulser.

 

80 et 20 %
Cette formule résume le débat qui nous intéresse ici. En l’écrivant autrement on pourrait dire : à quoi servent les communistes ?

 

A TIRER LES LECONS DE L’EXPERIENCE DIT FG. Sa correspondance précise à 80 %. L’expérience SCOP est riche, nous avons tout à y gagner, créons des SCOP. 20% étant consacré à dire aux ouvriers que les SCOP c’est pas le pouvoir, que pour en finir du chômage il faut détruire le capitalisme, etc... Mais... dit-il, pour cela " il faut les masses avec nous ". Sinon... matin du grand soir ! Alors il faut attendre les masses, les laisser faire leur expérience, les envoyer à l’impasse, on sait que c’est pas bon mais...

 

A mon avis les communistes servent A FAIRE PASSER L’EXPERIENCE ACQUISE., la théorie. Et je précise à 80 %. C’est-à- dire les SCOP sont une voie de garage, destruction du capitalisme. 20 % étant consacrés à tamiser " la richesse " des masses. Moi je dis que pour détruire le capitalisme, il faut une AVANT GARDE que DIRIGENT les masses. Et cette avant-garde a besoin de réponses claires. Pas de oui,... mais. Elle voit bien que 4 millions de chômeurs se tuent d’ennui alors que 8 millions d’ouvriers se tuent à la tâche. Elle voit bien que la droite et gauche c’est pareil. Elle voit bien qu’à l’heure de la micro-informatique, le problème n’est pas le " pyjama entier ". Ce qu’elle ne comprend pas, n’admet pas, c’est l’organisation, la révolution, le pouvoir. C’est-à-dire les conditions politiques pour en finir des tares du capitalisme. La est l’essentiel de l’activité des communistes. Là sont nos principes tactiques. Prévenir de l’impasse et non faire marcher les ouvriers sur un fil pour qu’ils se cassent la gueule.

 

Ne trouvez-vous pas instructif la comparaison suivante : " la plus grande expérience de SCOP en France, nous l’avons impulsé , c’est celle de faire avec les ouvriers l’expérience de la gauche au pouvoir. Est-ce négatif ? ". Toute notre activité pour 81 a consisté à dire gauche = droite. C’est une impasse. Toutefois puisque nous sommes minoritaires, faisons ensemble l’expérience de la gauche. Donc :

 


- loin d’avoir "impulsé" la gauche au pouvoir, nous avons dénoncé l’impasse de la gauche. L’appel au vote étant dit clairement : pour mieux combattre la gauche en faisant l’expérience, puisque nous sommes minoritaires.

 


- loin d’avoir parlé des " richesses " de la gauche, on a clairement dit que ce serait la merde.
Comme pour les SCOP on a donc dit qu’on ETAIT CONTRE. On a pas attendu le moment où les masses s’en apercevaient pour le dire. F.G. montre qu’il a une autre position : appeler à voter à gauche parce que, comme pour les SCOP, c’est mieux pour les ouvriers. Pour reprendre son exemple de " richesse ", on pourrait dire : grâce à la gauche et aux lois Auroux, les ouvriers " parlent aux patrons " !!

 

Je pense que F.G. ne maîtrise pas l’articulation ligne de masse, ligne politique ou plutôt il remplace l’une par l’autre. La ligne de masse ( approche et connaissance du mouvement spontané) devient la ligne politique ( guide issu de l’expérience acquise ). La ligne politique directrice a disparu et nous avons tout à apprendre de l’expérience des masses. La théorie est toute à construire, au nom de la lutte contre le dogmatisme.

 

On ne peut que rejeter cette conception spontanéiste qui nous fait sauter d’un arbre à l’autre pour découvrir que les forêts existent. Ce que les ouvriers avancés savent depuis longtemps. Cette conception nous amène à devoir aller à la messe avec les masses pour leur expliquer que dieu n’existe pas. Il est temps de remettre à l’étude " notre tactique et nos tâches dans le mouvement ouvrier ".

 

Jules Michault

 

Notre dossier sur les SCOP :
- 1ère partie : Tu MANU... avec ta SCOP !
- 2ème partie : SCOP - Le rafiot et l’impasse
- 3ème partie : Créer des SCOP ou détruire le capitalisme
- 4ème partie : A propos des SCOP

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