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Salaires : pour une plateforme de combat

Partisan N°45 - Novembre 1989

CONTRE LE REALISME ECONOMIQUE

Calvet n’a cessé tout au long de la grève à Peugeot de justifier son refus de céder par la concurrence internationale, la guerre économique menée par le Japon, et les risques pour l’avenir s’il accédait aux revendications des grévistes. Rocard et Bérégovoy ont la même attitude aux Impôts, en justifiant leur refus par les grands équilibres de l’Etat, la construction de l’Europe et l’avenir de la France.
Dans toute lutte sur les salaires aujourd’hui (comme d’ailleurs dans toute lutte économique) le fil directeur du combat politique est le refus du réalisme économique, le rejet de l’esprit d’entreprise, l’affirmation de l’indépendance des intérêts ouvriers face à ceux des bourgeois. Ce qui conduit à avancer ce que nous appelons le défaitisme révolutionnaire dans la guerre économique, comme moyen d’avancer un petit pas vers la formation d’une conscience révolutionnaire. C’est selon nous l’axe politique à saisir dans l’état actuel de la conscience ouvrière.

PARTAGER MIEUX, MAIS PARTAGER TOUT

Au départ, la lutte pour le salaire est une lutte pour un meilleur partage, pour la vente le plus cher possible de la force de travail face aux acheteurs capitalistes. Mais en rester là, comme le font tous les pseudos révolutionnaires de la LCR ou de Lutte Ouvrière, c’est rester dans le cadre de la société actuelle ! Et ce n’est pas notre but.
Notre but est de participer aux combats quotidiens, pour préparer la transformation de la société, la destruction du capitalisme et la prise du pouvoir. Nous ne voulons pas un "meilleur salaire", nous voulons abolir le salariat. Nous voulons nous libérer de l’exploitation, de l’esclavage de la production. Nous voulons le pouvoir, les nationalisations et le contrôle ouvrier, la suppression de la bourse et de tous les privilèges liés au capital, nous voulons bouleverser les échanges avec les pays dominés pour en finir avec le pillage et la soumission qu’ils subissent. Nous voulons construire le règne de la liberté... nous voilà bien loin de 1500 F pour tous !

Pas tant que ça. La révolution ne se fera pas en un jour, il y a encore bien du chemin à parcourir pour forger la conscience nécessaire à sa réalisation. C’est dans ces petits combats qu’on peut y travailler. C’est le sens que nous donnons au travail autour de la plateforme. A la fois un guide pour l’action immédiate, à la fois support d’une activité politique solide et en profondeur.

UN COMBAT POLITIQUE AUTOUR D’UNE PLATEFORME

La plateforme ci-contre résume les principales revendications à avancer dans une lutte salariale, pouvant donner lieu à débat politique. Reprenons-les l’une après l’autre pour les justifier.

1. Salaire minimum à 8.000 F, sur la base de l’évaluation d’un budget type ouvrier. C’est le chiffre auquel aboutissent non seulement des instituts bourgeois, mais des organisations syndicales qui se sont penchées sur le nécessaire pour vivre aujourd’hui, non pas dans le luxe, mais dégagés de l’angoisse de la fin de mois. Cela pour une famille ouvrière avec deux enfants.
Le salaire minimum est défini, non par rapport aux capacités de l’économie (cf Calvet, Bérégovoy), mais par rapport à l’évaluation ouvrière. Le débat à mener porte sur le réalisme ou pas de la revendication, et au nom de quoi on l’avance. En ce sens, la discussion sur le montant n’est pas indifférente. Bien sûr, on ne va pas s’empailler pour 8.000 au lieu de 7500 F. Mais par contre, on va discuter sérieusement du SMIC à 6500 F" de la CGT et de la logique qu’il y a derrière (voir l’article suivant).

2. Généralisation de ce salaire minimum à tous. Chômeurs, jeunes, retraités, appelés, etc. Parce qu’évidemment si l’on parle en termes de budget ouvrier, on ne voit pas très bien en quoi les dépenses d’un chômeur devraient être différentes de celles d’un actif. L’occasion de polémiquer d’une part avec tous les réformistes qui ont voté pour les 2000 F du RMI (y compris le PC), d’autre part de s’affronter à tous les ouvriers qui, le plus souvent, veulent délibérément rester aveugles sur le sort des chômeurs. L’occasion d’affirmer la solidarité d’une classe au-delà des portes des usines.

3. Non aux heures supplémentaires. Evident, mais enjeu actuel d’importance puisque la tendance est au contraire à leur multiplication, même sur la base du volontariat, en s’appuyant sur le faible niveau des salaires. L’occasion d’affirmer que l’intérêt ouvrier est à la fois de pouvoir vivre matériellement de façon décente, et de ne pas perdre sa vie à la gagner en se tuant au travail. Contradictoire avec les hausses de productivité recherchées par les bourgeois, avec la logique du capital.

4. Et donc ouverture sur la revendication de réduction du temps de travail, avec embauche des chômeurs. Ce n’est pas une revendication "hors sujet" comme on pourrait le penser. C’est au contraire le moyen d’élargir l’horizon, de montrer que la vie de l’ouvrier ne s’arrête pas à son salaire, que nous voulons du temps "pour vivre et pour lutter". Et que Les hausses de salaires que nous exigeons sont les moyens matériels nécessaires en parallèle à notre libération.

5. Augmentations en somme fixe, pas en pourcentage. L’enjeu d’une lutte féroce avec les réformistes, autour de la question de la hiérarchie, des salaires, et plus généralement dans la société. C’est l’occasion de remettre en cause la hiérarchie capitaliste, de combattre l’individualisme en y opposant l’égalitarisme, et donc d’avancer la question du pouvoir ouvrier, du pouvoir des masses oppose au pouvoir des experts (bien payés !). En critiquant la place de chacun, du cadre, du directeur, la soumission de l’ouvrier traduite dans sa paie, en refusant les pourcentages qui profitent plus aux hauts salaires, on peut mener un débat riche et vivant.
Enfin, le montant des augmentations demandées est aussi l’enjeu d’une lutte politique. Nous refusons la référence à l’échelle mobile, au "rattrapage des pertes", qui ne font qu’enregistrer la soumission à l’ordre capitaliste. Le niveau est fixé par les travailleurs eux-mêmes selon leur appréciation du rapport de forces, leurs exigences. Et non pas par rapport à un quelconque "pouvoir d’achat" défini par les règles du jeu de l’exploitation.

6. Limitation des hausses de salaire à un salaire maxi de 20.000 F. Là encore l’occasion de remettre en cause la hiérarchie des salaires, mais pas seulement, de toute la société. Là encore l’occasion de développer l’égalitarisme (mesuré) et donc le type de société vers laquelle nous voulons aller.

7. Non à l’individualisation des salaires, aux primes catégorielles, au salaire aux pièces etc... Toujours dans le même sens, mais permet en plus de combattre le corporatisme présent chez des fractions importantes de travailleurs, pour avancer dans l’affirmation d’une seule classe ayant un projet d’avenir pour elle, et non pas de groupes particuliers.

8. Contre tous les accords de participation etc. C’est une tarte à la crème des nouvelles politiques patronales, et ce mot d’ordre a explicitement pour cible les syndicats empressés à signer tel ou tel de ces documents, au nom de l’intérêt des travailleurs. En relançant le débat sur la séparation nette des intérêts ouvriers et des intérêts bourgeois, sur l’acceptation ou non des règles du jeu capitaliste, un tel mot d’ordre permet de démasquer clairement les faux amis des travailleurs.

9. Pour la gratuité de services de base. Un tel mot d’ordre a plusieurs objectifs. D’abord alléger le budget ouvrier sur des postes sensibles et importants. Ensuite permettre de définir une logique non marchande (pas celle actuelle, celle que nous voulons voir à l’œuvre). Affirmer aussi un point de vue social et collectif sur nombre d’aspects de la vie. Enfin, la volonté de voir les richesses de la société profiter à la majorité. L’occasion de mener de riches débats sur la logique capitaliste et son alternative.
Dans le choix des services gratuits, il faut se garder de l’utopie, avancer des axes qui ne pourraient pas être ni compris ni mobilisateurs car ne correspondant pas à l’état actuel de développement des richesses. Les exemples choisis essayent d’éviter l’écueil : la médecine prétend être gratuite, c’est l’occasion de mener le débat sur les cotisations sociales, et toutes les mesures du gouvernement concernant la Sécu (cf Partisan n°23 et 24). On connaît le fameux coût de la "rentrée scolaire", et le poids que l’éducation pèse sur les budgets. Alors que les discours la supposent gratuite. La carte orange est déjà remboursée à 50% par les patrons, de nombreuses villes donnent la gratuité des transports pour les chômeurs. Il est possible de se battre pour la gratuité totale. Enfin, concernant l’électricité, fluide énergétique de base de la société actuelle, il faut rappeler qu’elle est déjà gratuite pour les employés EdF d’une part, d’autre part qu’elle est vendu 8cm/kWh à Pechiney (60cm/kWh à chacun d’entre nous). Ce qui rend la gratuité absolument pas utopique pour les consommateurs individuels, en inversant l’ordre des priorités.

NE PAS ETRE SPECTATEURS

Depuis plus de dix ans, malgré de multiples interventions sur les salaires, nous n’avions pas éprouvé le besoin de formaliser une plateforme, support de notre travail politique. Il y a de multiples raisons liées à nos erreurs, à la peur de sombrer dans la lutte syndicaliste et économiste. Il est certes plus facile de commenter les grèves, de parler d’abolition du salariat que d’agir politiquement dans les conflits pour avancer sur son chemin. Nous en sommes loin, il faut faire les premiers pas. Aujourd’hui, ce dont il s’agit c’est recréer l’indépendance de classe des ouvriers, lutter contre le réalisme économique et la collaboration de classe. Cette plateforme est un instrument. A nous tous de la faire vivre, non pas pour "la lutte, la lutte", mais pour faire progresser la conscience révolutionnaire.
A. Desaimes


PLATEFORME DE LUTTE SALARIALE

1/ Salaire minimum à 8.000 F sur la base de l’évaluation d’un budget type ouvrier.

2/ Généralisation de ce salaire minimum à tous, en particulier aux chômeurs. Non au RMI, Revenu de la Misère Institutionnalisée.

3/ Non aux heures supplémentaires.

4/ Réduction du temps de travail à 30heures/semaine, moins si nécessaire, avec embauche des chômeurs. Sans perte de salaire.

5/ Augmentations en sommes fixes, pas en pourcentage.

6/ Limitation des augmentations à un salaire maximum, 20.000 F, soit une hiérarchie de 1 à 2,5.

7/ Non au salaire aux pièces, aux boni, aux primes catégorielles.

8/ Contre tous les accords de participation, l’intéressement, la distribu¬tion d’actions, les pactes de croissance...

9/ Gratuité totale de la médecine, de l’enseignement, des transports urbains, de l’électricité.

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