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Che Guevara : Entre le mythe et la réalité

Partisan n°124 - Novembre 1997

Que n’a-t-on lu ou entendu pour les 30 ans de la mort du Che ! Suppléments des divers journaux, films, émissions à la radio, gadgets commerciaux, dieu que la Révolution est belle lorsqu’elle est massacrée ! On n’en dira pas autant des 80 ans de la Révolution d’Octobre où les politiciens et journalistes bourgeois "ont répandu des flots d’ignominie" à l’image de leurs commentaires sur la Commune de Paris. Che Guevara était un vrai révolutionnaire, mais il a fait fausse route et il en est mort. Pour rétablir la réalité, nous publions ci-dessous un article publié par nos camarades d’Action Socialiste ("ancêtre" de l’actuel PCR) du Canada.

Au Canada, de nombreuses activités marqueront le 30ème anniversaire de la mort d’Emesto Che Guevara le 9 octobre prochain. A Montréal, un comité s’affaire à organiser trois "journées d’échanges" pour honorer la mémoire de celui qu’on présente tout simplement comme étant un "être extraordinaire". Même le journal Voir, qu’on ne soupçonne pourtant pas d’une grande sympathie pour les idées révolutionnaires, y a consacré la une de son édition québécoise du 21 août, y allant même d’un article plutôt bienveillant à l’endroit du Che.
Il est vrai que le destin d’Emesto Che Guevara fut hors du commun. Né en Argentine en 1928, il développe dès son jeune âge une profonde haine de l’exploitation qui l’amène à se lier aux mouvements révolutionnaires alors en développement sur le continent latino-américain. Son engagement se concrétise en fait en 1955, alors qu’il rencontre Fidel Castro, le dirigeant révolutionnaire cubain. Dès l’année suivante, le Che s’engage auprès de la guérilla cubaine pour laquelle il exerce ses talents de médecin.
Suivant la prise de pouvoir par les troupes de Fidel en 1959, Guevara occupe différents postes à la tête de l’État, dont la présidence de la banque nationale. Reconnaissant l’importance de briser l’isolement du régime cubain, mais aussi suite à certaines divergences qui l’opposent à ses camarades, le Che choisit de s’exiler pour tenter d’étendre la révolutions à d’autres pays. La suite, on le sait, appartient à la légende : après avoir passé un certain temps en Afrique, Guevara retourne à Cuba puis de là gagne la Bolivie, où il sera finalement capturé puis assassiné par les militaires après avoir tenté en vain d’y faire triompher la guérilla.

 

Un révolutionnaire prisonnier du révisionnisme

 

Plusieurs éléments concourent à faire du Che un mythe. Outre le fait, non négligeable, qu’il est mort au combat, Emesto Guevara a su projeter l’image d’un véritable internationaliste, dévoué à la cause de la révolution et qui, comme le souligne Pierre Kalton dans un récent livre, a "toujours gardé les mains propres" et ne s’est jamais laissé corrompre par le pouvoir. Ces qualités en ont certes fait un cas d’espèce à Cuba alors qu’autour de lui, la quasi totalité de ses compagnons d’armes s’étaient transformé en nouveaux bourgeois, utilisant les postes que la révolution leur avait conférés pour mieux consolider leurs propres privilèges.

 

Alors qu’il était encore à Cuba, le Che avait également commencé à émettre certaines critiques face aux dirigeants soviétiques, ce qui devait d’ailleurs entraîner quelque brouille avec Castro. Ernesto Guevara rejetait la corruption qui s’était développée sur une vaste échelle en URSS et qui commençait à poindre à Cuba. II n’appréciait pas les louvoiements, voire la trahison des dirigeants soviétiques qui, au nom de la "coexistence pacifique" avec l’impérialisme, hésitaient à défendre Cuba alors sous le feu des yankees.

 

Che Guevara avait certes quelques doutes sur la validité du modèle de développement économique mis de l’avant par les experts soviétiques et qui était d’ailleurs conditionné à l’aide apportée par l’URSS. Ainsi, il avait critiqué la mise en place des stimulants matériels visant à encourager la productivité, auxquels il préférait les incitations morales. "Le socialisme sans la morale communiste, ça ne m’intéresse pas", devait-il affirmer dans une entrevue accordée au magazine L’Express.

 

Toutefois, malgré toutes ces critiques, Ernesto Guevara n’a jamais voulu rompre avec le révisionnisme. II considérait l’URSS comme étant toujours un pays socialiste, et ses dirigeants bourgeois tels Krouchtchev comme étant d’authentiques communistes. Si le Che voyait bien que les politiques mises en avant par l’URSS et appliquées à Cuba ne faisaient pas réellement avancer la société vers le communisme, il n’a toutefois jamais compris quels sont les véritables enjeux qui se posent dans la période de construction du socialisme.
Guevara ne voyait pas que la lutte des classes se poursuit, voire même qu’elle s’accentue sous le socialisme ; il est resté prisonnier des conceptions de Krouchtchev qui prônait plutôt l’extinction de la lutte des classes. Bien que le Che ait vu la bureaucratisation et ta corruption se développer au sein de l’appareil d’État et de l’administration et qu’il ait tenté au moins en partie de les combattre, il n’a pas réussi à relier ce phénomène au développement d’une véritable classe d’exploiteurs, d’une nouvelle bourgeoisie, faisant son nid au sein même du parti dirigeant. Bref, Guevara a vu ce qui n’allait pas, mais il n’a pas compris pourquoi il en était ainsi.

 

Pourtant, au moment même où se posaient toutes ces questions, le Mouvement Communiste International était traversé par une importante lutte de ligne à ce sujet. Mao et les communistes chinois avaient en effet pris l’initiative de diriger un vaste mouvement de lutte contre le révisionnisme soviétique, englobant notamment la critique de leurs conceptions erronées en matière de développement économique. Ce mouvement a permis de développer la science marxiste en ce qui a trait à la compréhension de ce qu’est le socialisme, et notamment la façon d’approfondir la révolution dans le contexte de la dictature du prolétariat. La révolution culturelle amorcée en 1966 en Chine apportait ainsi une réponse concrète et définitive aux questions soulevées par Che Guevara.

 

Mais ce dernier a consciemment refusé de participer à cette bataille ; en fait, il a agi de sorte à l’atténuer. Le Che prétendait qu’il valait mieux "modérer cette dispute" de façon à préserver l’unité avec les révisionnistes. Il faut dire que pour lui, les questions théoriques étaient de toutes manières assez secondaires. Ainsi, devait-il écrire : "On peut faire la révolution si on sait interpréter la réalité historique et si on utilise correctement les forces qui y sont impliquées et ce, même si on ne connaît pas la théorie". Guevara, on le voit bien, rejetait la conception léniniste voulant qu’il n’y ait "pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire".

 

Sur le plan militaire, les conceptions développées par Che Guevara et qui en ont inspiré plusieurs furent également marquées par une sous-estimation du facteur politique. Sa stratégie des "foyers d’insurrection" (les "focos") s’est avérée tout à fait néfaste - en fait, elle lui a vraisemblablement coûté la vie. Selon Guevara, la constitution de petits groupes de guérilla était la tâche première des révolutionnaires avant même la création d’un parti. Dans cette conception, les actions de la guérilla ne devaient servir qu’à faire pression sur les gouvernements de type dictatoriaux afin qu’ils acceptent de se démocratiser et de partager le pouvoir avec l’opposition (Cette conception anime d’ailleurs encore aujourd’hui les groupes qui s’inspirent du guévarisme, tels le MRTA au Pérou) [1].

 

La lutte armée était vue par Che Guevara et ses camarades comme étant un phénomène distinct, détaché de la lutte pour la prise du pouvoir par les classes exploitées elle-mêmes. La guérilla dirigée par le Che en Bolivie devait ainsi négliger le travail politique au sein de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre ; elle se refusait dans les faits à tout travail d’organisation parmi les masses opprimées.

 

Encore là, les points de vue de Che Guevara s’opposaient à la stratégie de la guerre populaire prolongée développée par Mao, qui s’appuyait sur les masses et misait à préparer la transformation socialiste.
Une récupération lamentable et honteuse même si, comme maoïstes, nous rejetons l’héritage de Che Guevara, nous ne pouvons en même temps qu’être indignés de l’utilisation qui en est faite par les courants politiques réformistes et révisionnistes. Il l’est jusqu’à la bourgeoisie elle-même qui récupère le Che et ce, pour des fins bassement mercantiles, puisque pour elle, on le sait bien, tout ce qui est vendable peut aussi être profitable !

 

Les dirigeants révisionnistes cubains, en particulier, font actuellement la promotion du Che d’une manière tout à fait hypocrite, sachant que ce sont eux qui l’ont conduit à l’exil et qui l’ont vraisemblablement abandonné alors qu’il était en difficulté en Bolivie. En ressortant son image du fond de leurs tiroirs, les révisionnistes cubains tentent de montrer qu’ils sont toujours "révolutionnaires". Ce faisant, ils espèrent que les masses ne verront pas ce qu’ils préparent dans les faits à un rythme de plus en plus accéléré, à savoir le passage du capitalisme d’État au capitalisme privé à Cuba.

 

Les vieux révisionnistes soviétiques, qui font une icône du Che ; les ex-guérilleros devenus "responsables" comme Daniel Ortega, qui invoque ta mémoire du Che pour mieux proposer la "réconciliation nationale" avec les ennemis du peuple : tous, chacun à leur façon, tentent en fait de masquer leur propre faillite, leur propre abandon de la lutte révolutionnaire. Certes, cela montre bien les ambiguïtés fondamentales du personnage du Che. Mais d’une certaine façon, c’est aussi là une démarche tout à fait honteuse.

 

Les véritables révolutionnaires, les masses opprimées qui veulent lutter jusqu’au bout et en finir avec l’exploitation, n’ont pas besoin quand à elles d’une telle icône. Ce dont elles ont besoin, c’est bien plus de la science de la révolution, de l’idéologie prolétarienne qui guidera leur combat et leur permettra d’obtenir de réelles victoires.

 

Le drapeau rouge

 

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