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Peut-on soigner "l’horreur capitaliste" ?

Partisan N°120 - Mai 1997

Comme le disait un militant anarchiste : « ce que je reproche à Marx, c’est de mettre l’économie au premier plan ». Et oui, malheureusement pour lui, c’est bien la base économique qui est le socle de la société, et donc l’enjeu des transformations véritables que l’on souhaite au plan politique. Revenons donc sur la propagande économique de cette campagne...

« Les critères de Maastricht, c’est du pipeau »

Dans ses bulletins d’entreprise du 21 avril, Lutte Ouvrière n’y va pas avec le dos de la cuiller. Tout le débat autour de l’Europe, de Maastricht ne serait qu’écran de fumée, propagande démagogique destinée à détourner l’attention des vrais problèmes ?
Trop facile ! Il y a un véritable enjeu, mais il est vrai pas forcément là où on le dit.
La marche forcée à la monnaie unique en 1999 n’est pas le choix d’une politique perverse ou purement financière. C’est un choix fait en conscience par les diverses puissances impérialistes européennes pour constituer une puissance économique et financière capable de rivaliser avec les USA et le Japon dans la guerre économique. Il ne s’agit pas de malveillance, mais de survie pour les capitalistes dans la compétition économique mondiale de plus en plus tendue.
Les restructurations, les bouleversements technologiques (informatique, biotechnologies, communication, chimie...) s’accélèrent en une nouvelle vague sans pitié. Après la sidérurgie, le textile ou la mécanique, ce sont de nouveaux domaines qui sont en pleine restructuration, et les capitalistes doivent s’adapter, se restructurer pour être dans le peloton de tête et éviter l’élimination.
La construction européenne correspond à cette nécessité : il faut accroître ses capacités financières et techniques, grossir au risque d’être mangés. Il faut offrir des garanties en termes de monnaie (l’Euro) face au dollar et au yen, il faut regrouper les forces pour résister au concurrent. L’Europe, ce n’est pas du « pipeau », c’est une nécessité du capital européen, et cela depuis bien longtemps, bien avant Maastricht !

Dans cette restructuration à l’échelle mondiale (Europe contre USA et Japon), il y a encore des contradictions. C’est la marche forcée, au sein de l’Europe, pour asseoir une position dominante. La France a subi pas mal de déboires au plan international, par exemple en Afrique face aux USA (Rwanda, Zaïre...). Par contre, les restructurations économiques ont été féroces, les gains de productivité importants, et elle a maintenant la capacité d’être plus agressive au plan commercial (espace, agro-alimentaire, télécommunications, énergie...). Il y a un enjeu véritable dans la construction européenne sur la direction de cette Europe future : l’Allemagne seule, ou la France à égalité ? Derrière les assauts d’amabilité entre Chirac et Kohl, il y a la rivalité pour la suprématie européenne. « Contre l’Europe allemande », clament en choeur Pasqua, Séguin, Hue et Chevènement : mais voulons-nous vraiment une « Europe française », peut-être à l’instar du Front National ?

L’enjeu de 1999 et de l’Euro n’est donc pas du tout bidon. C’est d’ailleurs pour cela que se prépare un nouveau train de mesures d’austérité et de restructurations, et que Chirac a préféré anticiper les élections pour éviter le mécontentement.
Mais il faut être clair : Jospin a beau faire toutes les promesses qu’il veut, elles ne valent pas mieux que le discours « social » de Chirac il y a deux ans. Ce n’est que pure démagogie politicienne, qui ne tiendra que le temps des promesses électorales et s’effacera devant les nécessités du capital.
L’enjeu des élections n’est pas de savoir si ce « plan d’ajustement structurel » aura lieu, mais bien de savoir qui va le signer, la droite ou la gauche.

La gestion de la misère

Le programme présenté par la droite a le mérite de la clarté : pas un mot sur le chômage et la situation sociale.
Les seules priorités mentionnées le sont aux « exclus, chômeurs de longue durée, RMIstes », au SAMU social et autres remèdes à la catastrophe évidente. Ah, oui, Chirac peut « avoir les boules » face au succès de l’essai « L’horreur économique » (voir l’encadré). Sa majorité ne propose rien d’autre que de la maintenir en tentant d’en éviter l’explosion.
Seuls succès mis en avant : Debré et son entonnoir pour leurs succès contre les immigrés « qui viennent piller le Frigidaire » (le FN ne dirait pas mieux...) et la loi Robien et la flexibilité aggravée qu’elle provoque !

Finalement, la droite a le mérite de la sincérité : elle propose la continuation de ce qu’elle a déjà fait, et elle l’annonce. Les choses sont claires, ce n’est pas vraiment notre tasse de thé !

« Ensemble nous refusons que notre peuple soit appelé à de nouveaux sacrifices »

La déclaration PS/PC du 29 avril propose « une autre perspective ». Diable, serait-ce le changement dont nous avons tant besoin ?
« 700 000 emplois pour les jeunes »... rien d’autre que la proposition du PS faite il y a peu : 350 000 par l’Etat, probablement sous forme de sous-emplois dans les collectivités locales. Pour le reste « L’Etat recherchera un accord avec les entreprises, dont l’objectif sera la création de 350 000 contrats supplémentaires de premier emploi à durée indéterminée. » On se demande comment le PS obtiendrait ce résultat sans par ailleurs donner concessions et avantages aux patrons !
« Les 35 heures sans perte de salaire », et « à plus long terme vers une semaine de 32 heures » rajoute le PS. Pour commencer, rappelons que cette promesse figurait dans le programme du PS en ... 1974, dans les ordonnances sur le temps de travail en 1982 et qu’au gouvernement en 1981 PC et PS ont eu le temps de faire la preuve de ce que valent leurs promesses. De plus, il n’est pas sans intérêt de rappeler aux amnésiques que toutes les propositions du PS de réduction du temps de travail l’ont été en échange de lourdes contreparties en termes de flexibilité et de précarité. Ainsi, ce sont toujours, les fameuses ordonnances de 1982 qui ont ouvert la porte à la modulation annuelle ou hebdomadaire des horaires, au travail de nuit etc...
« Arrêt de la privatisation de France Télécom, Air France, Thomson » : mais pas un mot sur la poursuite des restructurations de ces secteurs particulièrement soumis à la concurrence mondiale. Car l’essentiel n’est pas le caractère public ou privé de ces entreprises parfaitement capitalistes, mais les restructurations que ces privatisations masquent. Et la gauche au gouvernement a largement fait ses preuves, par exemple lors de la restructuration de la sidérurgie au début des années 80, pour qu’on n’ait plus rien à attendre de ses promesses. La promesse de « l’arrêt de la privatisation », c’est avant tout un signe électoral vers la petite-bourgeoisie angoissée par la remise en cause du statut de fonctionnaire, sans pour autant remettre en cause les règles du jeu de la guerre économique.
« Une réforme du crédit devra contribuer à réduire les charges financières qui pèsent contre l’emploi, notamment les PME-PMI ». Revoilà la tarte à la crème de la droite et de la gauche (PS et PC ! !) réunies : la création d’emplois par les PME/PMI. Mais qui va donc une bonne fois dénoncer les conditions d’exploitation de bagnards qui sévissent dans ces boîtes, même les plus modernes d’entre elles ? Patrons autocrates de droit divin, faible résistance ouvrière du fait de travailleurs peu nombreux, voilà où mène la politique réformiste : subventionner, une fois de plus, les plus réactionnaires et les plus rétrogrades des exploiteurs !
« Relance par la consommation » par la hausse des salaires. Pour les plus jeunes, il faut rappeler que c’était le credo de la gauche avant 1981, et qu’elle a purement et simplement disparue face aux contraintes capitalistes par le plan de rigueur de 1982 mis en place par Mauroy et les ministres communistes. Evidemment : si on augmente les salaires, que devient la compétitivité face aux concurrents étrangers ? Il n’y a pas de mystère en termes d’économie capitaliste... Les nécessités du capital s’imposent à la volonté des hommes !
Sortons une seconde de l’économie pour parler de l’immigration et des sans papiers : « Nous estimons nécessaire de substituer aux lois Pasqua et Debré une véritable politique de l’immigration, de rétablir le droit du sol et de garantir le droit d’asile ». C’est oublier un peu vite toute la politique de la gauche au gouvernement, les lois Cresson Joxe Marchand, le refus de la régularisation des sans-papiers et les innombrables déclarations de Rocard, Fabius, Mauroy et autres sur la fermeté nécessaire face aux immigrés clandestins. Même pas un mot sur l’égalité des droits, même pas le droit de vote aux municipales, pourtant timidement avancé par certains candidats socialistes...

Changement, vous avez dit changement ? Promesses électorales, du vent emporté par les premières nécessités de l’économie...
Nous n’avons pas la mémoire courte. La version 1997 de l’Union de la Gauche ne vaut pas mieux que celle de 1981, le souffle de l’espoir en moins. Il est vrai qu’il est vraiment difficile de faire prendre des vessies pour des lanternes une nouvelle fois !

Peut-on réformer « l’horreur économique » ?

Le livre de Viviane Forrester (lire les extraits ci-dessous) est d’une limpidité absolue. Le capitalisme n’est pas l’accumulation d’une succession d’erreurs de gestion, mais un système cohérent, fonctionnant sur une logique propre (qui est celle du profit, bien entendu...). D’où l’impossibilité de le réformer, c’est à dire de l’améliorer petit morceau par petit morceau, une touche par ci, une réforme par là, sans remettre en cause les fondements même de cette société.

D’ailleurs le succès de ce livre correspond bien au sentiment moyen dubitatif que l’on peut observer chez nombre de militants. On a déjà donné, les réformes ne donneront rien, on ne croit plus dans la politique réformiste, tout au plus s’agit-il de voter « contre » la droite ou la FN...
Exact, trois fois exact. L’économie n’a rien de neutre, d’abstrait. C’est un système fondé sur l’exploitation, et notre seule perspective réaliste, c’est de le mettre à bas.

Aujourd’hui, l’enjeu c’est de démarquer notre camp, celui des travailleurs de toute nationalité, sans nous lier les mains à une quelconque gestion ou réforme de ce système d’esclavage salarié.
Nous disons :

Les intérêts ouvriers, et rien d’autre !
Zéro licenciement ! Les 32 heures, sans perte de salaire, sans précarité ni flexibilité !
Abolition du RMI ! Le SMIC à 8500F pour tous, sans aucune restriction, y compris pour les chômeurs !
La misère et l’exploitation ne se gèrent pas, ils se combattent !

A.D.


L’horreur économique

Quelques citations d’un livre qui fait un véritable succès de librairie. L’auteur, une grande bourgeoise fille d’un banquier ruiné, n’a rien compris aux causes de l’horreur ici décrite, mais cela est de peu d’importance. Car voilà un ouvrage qui montre la cohérence du capitalisme à l’œuvre et il n’est plus possible ensuite de parler de « gestion différente », « d’autre politique » à la sauce réformiste.

« Quelle corrélation raisonnable peut-il y avoir, par exemple, entre perdre un travail et se faire expulser, se retrouver à la rue ? La punition n’a aucune commune mesure avec le motif avancé, donné pour évident. Que soit traité comme un crime le fait de ne pas pouvoir payer, de ne plus pouvoir payer, de ne pas réussir à payer, est déjà en soi surprenant, si l’on y réfléchit. Mais être ainsi châtié, jeté à la rue, pour n’avoir plus été en mesure de régler un loyer parce qu’on n’a plus de travail, alors que le travail fait partout manifestement et officiellement défaut, ou parce que l’emploi qui vous est attribué est tarifé trop bas en regard du prix aberrant de logements trop rares, tout cela relève du démentiel ou d’une perversité délibérée. (p68)

Il est en revanche tout à fait convenable et même recommandé de vitupérer les privilèges de ces habitués des palaces que sont, par exemple, les cheminots, lotis d’une retraite plus acceptable que d’autres, avantage si dérisoire en regard des faveurs sans bornes, jamais remises en question, que s’adjugent comme allant de soi les vrais privilégiés ! Très en faveur aussi, l’opprobre jeté sur ces dangereux prédateurs, ces ploutocrates célèbres, ouvriers ou employés qui osent demander qu’on augmente leurs salaires, ces signes déjà suspects de fastes éhontés. Un exercice éclairant consiste à comparer dans le même journal le montant de l’augmentation réclamée - qui sera farouchement discutée, revue à la baisse, parfois refusée - avec, à la rubrique gastronomique, le prix donné pour raisonnable d’un seul repas au restaurant, qui ne représentera jamais que trois ou quatre fois l’augmentation mensuelle désirée ! (p69)

[A propos des jeunes] Cernés dans une ségrégation informulée mais de fait, qu’ils soient Français de souche ou d’origine étrangère, ou encore étrangers, « ils » ont l’indécence de ne pas s’intégrer !
Mais s’intégrer à quoi ? Au chômage, à la misère ? Au rejet ? Aux vacuités de l’ennui, au sentiment d’être inutile ou même, parasitaires ? A l’avenir sans projet ? S’intégrer ! Mais à quel groupe éconduit, à quel degré de pauvreté, à quels types d’épreuves, quels signes de mépris ? S’intégrer à des hiérarchies qui, d’emblée, vous relèguent, fixés au niveau le plus humiliant sans que l’on ne vous ait donné ni que l’on vous donne jamais la possibilité de faire vos preuves ? S’intégrer à cet ordre qui, d’office, vous dénie tout droit au respect ? A cette loi implicite qui veut qu’aux pauvres soient alloués des vies de pauvres, des intérêts de pauvres (c’est à dire pas d’intérêts) et des travaux de pauvres (si travaux il y a) ?
Faire ici une différence entre Français de souche et enfants d’immigrés ayant ou non droit à la citoyenneté française reviendrait à tomber dans l’un des pièges destinés à distraire de l’essentiel en divisant pour régner. Il s’agit avant tout de pauvres. Et de pauvreté. (...) Même si l’on dresse des pauvres contre des pauvres, des opprimés contre des opprimés et non contre les oppresseurs, contre ce qui opprime, c’est cette condition-là qui est visée, brimée et que l’on répudie. On a rarement vu, à notre connaissance, un émir expulsé, « scotché » dans un charter ! (p84)

Sus aux immigrés qui entrent, bon vent aux capitaux qui sortent ! Il est plus facile de s’en prendre aux faibles qui arrivent, ou qui sont là, et même arrivés depuis longtemps qu’aux puissants qui désertent !
Ces immigrés, n’oublions pas que, s’ils migrent dans des pays plus prospères, ces mêmes pays, dont le nôtre, sont allés chez eux et qu’ils y vont encore, et pas seulement pour ces questions de salaires à bas prix. Ils y exploitent leurs matières premières, leurs ressources naturelles, quand ils ne les ont pas déjà épuisée

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