Archives > Nouvelle Calédonie, vieille politique : les vieux appétits impérialistes
Nouvelle Calédonie, vieille politique : les vieux appétits impérialistes
Pour le Parti N°73 - Décembre 1984
On voulait nous persuader que nous vivions une époque « moderne », où les vieilleries comme l’impérialisme, le colonialisme, la lutte des classes n’avaient plus cours. Nous avions la berlue : les réformistes n’étaient pas les jouets d’une logique de système impérialiste, ils étaient les acteurs conscients d’un vaste projet à l’échelle de l’Histoire, « faire de la France un pays moderne ». Plus de restructurations imposées par le capital à ses larbins, mais « mutations technologiques », plus d’exploitation renforcée des prolétaires, mais « fin des rigidités et des corporatismes » ; Mitterrand n’était plus le politicien simplement habile qu’il avait toujours été, mais était promu « homme d’Etat ».
Et patatrac ! Il suffit d’un évènement, d’une lutte résolue du peuple Kanak pour que les curés en civil remettent leur soutane : pour tous ceux qui, faute de changer un tant soit peu la réalité, avaient entrepris de changer le langage et leur image, la Nouvelle Calédonie ressemble à un vestiaire. Il faut troquer le jogging des entrepreneurs dynamiques et créateurs pour le costume colonial.
La droite classique appelle à la répression coloniale au nom de la loi, de l’ordre, de la démocratie et des intérêts supérieurs de la France. Debré ressort mot pour mot ses discours sur l’Algérie de 1958. Les représentants des colons français (les Caldoches) parlent d’une « poignée de hors-la-loi et de terroristes » qu’un seul escadron de gendarmerie mettrait en déroute. Et pour bien montrer que ce groupe social de colons pieds-noirs n’est qu’un jouet inconscient sur des rails déjà usés pour avoir trop servi, le RECOURS, association des pieds-noirs d’Algérie vient de créer un « Comité de Soutien à la Nouvelle Calédonie Française ».
AU DIABLE LE MODERNISME
On comprend qu’un tel déferlement ait mis dans l’embarras les idéologues du vieux monde impérialiste chargés de nous persuader que seules nos luttes et nos espérances sont ringardes. On s’est chargé immédiatement de répandre la bonne nouvelle : la Nouvelle Calédonie n’a rien à voir avec l’Algérie. C’est juré. Au moins cent fois juré-craché en une semaine. Hélas pour les perroquets de la communication audiovisuelle, le chien de Pavlov vient bouffer dans la gamelle quand s’allume la lumière rouge et les réformistes ne peuvent pas plus abandonner la logique de l’impérialisme en Nouvelle-Calédonie qu’ils ne l’ont fait dans tous les autres domaines de la société capitaliste. Aussi Mitterrand se déguise en Guy Mollet et Pisani ressemble à Soustelle. Qu’ont-ils pondu de si nouveau pour sauver les meubles ? Rien que du vieux : « D’abord assurer l’ordre » et ensuite concilier les intérêts des Kanaks et des colons. Bref, assurer la domination française par la répression et la duperie à la réforme. L’un après l’autre ou les deux en même temps, l’avenir le dira. Une solution coloniale, coloniale à demi, ou indépendance néo-coloniale leur conviendrait tout à fait.
IL EST TROP TARD
Oui, il est trop tard pour un ravalement de façade, car si la situation en Nouvelle-Calédonie ressemble à des situations antérieures c’est bien à l’Algérie qu’il faut penser et non aux pays où la solution néo-coloniale a pu prévaloir. Justement parce qu’il y a une forte colonisation, précisément parce que la lutte des Kanaks est massivement déclenchée sur des revendications déterminées qui ne peuvent en aucun cas se satisfaire d’une indépendance néo-coloniale sans changement social. Assurer l’ordre et faire les « indispensables réformes », vieux slogan réformiste, vieil argument de toutes les guerres coloniales. Si l’ordre était la condition des réformes, pourquoi un siècle et plus d’ordre colonial n’a-t-il produit en fait de réformes que la spoliation des Kanaks, leur exil dans des « réserve indigènes » sur leur propre sol. N’est-il pas clair que c’est précisément l’ORDRE que refusent les Kanaks ?
Et les réformes, comment peut-on imaginer un seul instant que le groupe social des colons caldoches puisse accepter la moindre réforme On connaît pourtant bien les réactions de ce genre de communautés, on peut les prévoir sans aucun risque de se tromper : « Pas un pouce de terre pour les "sauvages", c’est nous qui avons fait ce pays », etc., etc. On peut les prévoir comme on prévoit les positions sionistes en Palestine, ou les positions des blancs d’Afrique du Sud. Or, la terre, voilà la question, la question principale de cette lutte. Le peuple Kanak lutte pour sa terre contre le vol colonial. C’est la réalité autour de laquelle tourne une nuée de « solutions » politicardes et de propositions de dupes. C’est cette réalité qui ne peut mener qu’à l’échec les projets du gouvernement français.
UNE REPRESSION IMPERIALISTE SE PREPARE
Que vont-ils faire ? Pour le PS c’est simple. Le gouvernement prépare une répression coloniale qu’il justifiera par ces projets de réformes futures. « D’abord maintenir l’ordre », la guerre d’Algérie ne s’est jamais appelée guerre mais « Opérations de maintien de l’ordre en Algérie ». Pour le PCF, à l’heure où nous écrivons, il a pris timidement une position confortable de pacifiste bêlant : il réclame la négociation et l’autodétermination. Mais à toutes fins utiles, il a voté le budget des armées il y a une quinzaine de jours.
Mais prendre position aujourd’hui ce n’est plus seulement reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple Kanak. La lutte du FNLKS pose des questions beaucoup plus précises :
au plan politique, exclure les colons, notamment la masse des fraîchement débarqués, du droit de vote
au plan économique, récupération des terres volées par la colonisation. Réforme agraire radicale.
Là-dessus le PCF est vague ou muet. Ce sont ces revendications que nous devons soutenir derrière le mot d’ordre d’indépendance Kanak. Et non les manœuvres pour fabriquer une indépendance néo-coloniale associant une élite kanake et les représentants des colons.
Indépendance ou pas, le problème de la terre ne peut se résoudre que par la violence, le décor est planté pour que les positions mi-chèvre mi-chou soient rapidement impraticables. Alors il ne sera plus possible de choisir une position intellectuelle mais une position politique pratique. Les partis impérialistes de gauche choisiront naturellement leur camp, celui qu’ils n’ont cessé de choisir, problème après problème, depuis qu’ils sont au pouvoir. Les positions intellectuelles et les discours sur la « méthode raisonnable » ne serviront plus alors que de prétexte pour justifier la répression. Ce sont les réformistes qui ont mené les guerres coloniales. Nous aurons une « vieille » guerre impérialiste ou un peuple complètement muselé si le rapport de forces est vraiment par trop inégal.
Alors, à la mesure de nos moyens, préparons cette échéance.
Impérialisme Français dehors de Nouvelle Calédonie !
La terre kanake au peuple kanak !
La fameuse circulaire Messmer de 1972 sur le territoire de colonisation