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Pérou : on a raison de se révolter !

Pour Le Parti N°70 - Septembre 1984

Depuis quatre ans, le 17 mai 1980, exactement, la guerre populaire se développe au Pérou. D’abord ignorée, considérée comme une quelconque révolte locale, « Sentier lumineux » , l’organisation qui dirige cette révolte, est maintenant à la une de tous les journaux. La presse bourgeoise se déchaîne : terroristes sanguinaires, déstabilisateurs de la démocratie, maoïstes fanatiques, les insultes ne manquent pas pour dénigrer la lutte du peuple péruvien.
C’est seulement récemment que sont arrivées en Europe des informations plus précises sur cette guerre populaire et sur l’organisation qui en est à la tête. Notre devoir de communistes, de révolutionnaires est de soutenir cette lutte qui se mène sur des bases principalement correctes. Décidément, " le spectre du communisme " hante le monde, comme le disait Marx il y a un siècle et demi, le marxisme, le maoïsme ne sont pas morts. Ce premier article vise à donner les éléments immédiatement nécessaires pour combattre la propagande bourgeoise, populariser la lutte du peuple péruvien, soutenir les communistes au Pérou. D’autres articles, informations, analyses seront publiées régulièrement à l’avenir dans ce journal.

« Les journalistes policiers, marchands de calomnies,

« Ont répandu sur nos charniers des flots d’ignominie,
« Les Maxime Ducamp, les Duval, ont vomi leur eau forte,
« Tout ça n’empêch’pas, Nicolas, qu’la Commune n’est pas morte (bis) ».
Chanson de la Commune de Paris - J.-B. Clément (1871)


Les informations sur la situation au Pérou, l’avancée de la guerre populaire, la politique du Parti Communiste du Pérou sont rares. Cela n’empêche pas la presse bourgeoise, bien pressée d’enterrer tout espoir de révolution, de vomir des torrents d’insultes sur cette révolte.

Notre connaissance est encore limitée, notre étude des positions des communistes péruviens n’est pas achevée (et nous y reviendrons de manière plus approfondie), mais une chose est sûre : ces camarades mettent concrètement en pratique leur expérience politique et ce sur des positions principalement correctes. Ils doivent être défendus fermement, la vérité doit être rétablie.
Non l’espoir de la révolution n’est pas éteint, la Commune n’est pas morte !

1. « Sentier Lumineux n’a pas de programme, on ne sait pas ce qu’ils veulent, c’est une guérilla sans avenir »

La raison en est que le PCP ne s’est jamais soucié de se faire de la publicité dons h presse bourgeoise, de se faire connaître de la bourgeoisie. Le patient travail de quinze ans de reconstitution est passé inaperçu et aujourd’hui la bourgeoisie découvre avec stupeur cette organisation dont elle ne comprend pas les succès actuels foudroyants. En Europe, ces succès prennent tellement à contrepied tous les discours sur la mort de la révolution, l’adieu au prolétariat, la fin du socialisme, que la riposte ne peut être que d’avouer son ignorance, en la rejetant sur Sentier Lumineux : on ne sait rien sur eux, c’est donc qu’eux-mêmes ne savent rien de ce qu’ils font !
L’argument est d’ailleurs tellement débile que plus la guerre populaire s’étend, moins il est utilisé !

2. « Sentier Lumineux déstabilise la fragile démocratie péruvienne et favorise le retour des militaires »

D’abord quelques faits sur la soi-disant « démocratie » péruvienne.
Depuis quatre ans plus de 7 000 personnes soupçonnées d’appartenir à Sentier Lumineux ont été tuées, plus de 1500 sont séquestrées arbitrairement à Ayacucho, les massacres aveugles des « Sinchis » se multiplient. Le lien entre les trafiquants de drogue et certains membres du gouvernement sont étalés au grand jour... sans parler de la situation économique désastreuse qui met le Pérou au bord de la banqueroute.
Cette soi-disant démocratie n’est jamais que le masque de la dictature de l’impérialisme et de la bourgeoisie péruvienne.
Mais ce n’est pas tout à fait par hasard si le début de la lutte armée, en Mai 1980, coïncide avec le retour des civils au pouvoir. En effet, le Parti Communiste au Pérou a choisi de déclencher la lutte armée au point le plus élevé du mouvement paysan et des mobilisations populaires contre les militaires. Précisément au moment où le développement de ces luttes effrayait considérablement la bourgeoisie, où les militaires étaient complètement discrédités et se révélaient incapables d’y faire face. D’où une tentative civile vaguement populiste pour tenter d’endiguer le mouvement populaire. Le développement de la lutte armée a fait son sort à cette image. Le gouvernement Belaúnde se révèle face à la guérilla comme un gouvernement aguerri et sans nuances, à tel point qu’Amnesty International a pu parler de génocide au Pérou en 1982 contre les communautés paysannes.

3. « Sentier Lumineux massacre des centaines de paysans, utilise les mêmes méthodes que les sinchis, pratique un terrorisme aveugle et répand une orgie de sang » (Le Monde du 01/02/84 par exemple)

Calomnies de journalistes policiers !
Il est totalement faux de prétendre que le Parti Communiste du Pérou développe des exécutions aveugles et a la même pratique que les sinchis. D’ailleurs les statistiques officielles du ministère de l’intérieur péruvien sont claires : en 1983, 1 955 personnes ont été tuées, dont 86 des forces de l’ordre, 430 civils et 1 439 guérilleros. Et d’un pour les chiffres !

Ensuite ce qui a lieu au Pérou, c’est une guerre de classe entre deux camps, pour deux politiques antagoniques. Les « Sinchis » et autres militaires, collabos et notables exécutés défendent l’impérialisme et la réaction, les guérilleros défendent la classe ouvrière, le peuple et la révolution sociale. Cela empêché toute comparaison et seuls les humanistes bourgeois peuvent oser en faire. Et de deux pour la politique !

Encore, ces deux orientations politiques conduisent à deux pratiques différentes : les Sinchis et les militaires pratiquent la politique de la terreur, massacrent aveuglément des familles entières, des villages, uniquement à titre d’exemple. La torture est systématique dans les prisons. La guérilla, au contraire, choisit ses victimes avec précision et n’exécute que le strict nécessaire à l’avancée de la révolution. Dans tel village de plusieurs milliers d’habitants, sur plus de 300 personnes convaincues de collaboration étroite avec la police, 72 seulement seront exécutées. Même le maire pro-gouvememental d’Ayacucho le reconnaît : « Les forces armées sont sanguinaires, elles s’acharnent à tuer. Les cadavres mutilés en témoignent. Que je sache - et c’est ce que les gens disent - le Sentier-Lumineux exécute les éléments pernicieux. Il exprime les profondes différences sociales et économiques du Pérou, ainsi que la lutte des secteurs les plus pauvres ». (El Diario, 25/12/83) Et de trois pour les faits !

Enfin il est clair que le Parti Communiste du Pérou n’est pas une organisation non violente, pacifiste bêlante. L’Histoire a prouvé que seule la violence révolutionnaire et la lutte armée permettent la prise du pouvoir et la construction d’une société nouvelle. La violence, les exécutions, sont des actes graves mais indispensables, et leurs limites tiennent dans l’orientation politique qu’elles servent. Cela les bourgeois ne peuvent l’admettre, parce que c’est leur pouvoir de classe qui est en cause, et tous ceux qui, au Pérou, en Irlande, en Palestine ou ailleurs se battent les armes à la main ne peuvent qu’être taxés de terroristes.

4. « Sentier Lumineux a appelé au boycott des élections municipales en Novembre 1983, il n’a pas été suivi, c’est la preuve de son échec »

Décidément, par moment, les bourgeois font sourire. Soyons clairs : dans la situation péruvienne, dans l’état de l’affrontement de classes au Pérou, si le boycott avait été majoritaire et dominant, cela aurait voulu dire que la prise du pouvoir n’était pas loin ! Ce qui est loin d’être le cas, puisque les communistes péruviens eux-mêmes ne prévoient pas la prise du pouvoir avant l’an 2000.

En période d’insurrection, les élections sont un des moyens utilisés par la bourgeoisie pour étouffer la lutte et tenter de récupérer une apparence de soutien populaire. La seule possibilité pour les communistes est alors le boycott, et c’est ce qui se passe au Pérou. Voilà le compte rendu qu’en fait le Front Artistique Intellectuel Mariategui (une organisation de masse proche du PCP) :
« Selon des statistiques officieuses, plus de 40 % des électeurs se sont abstenus de voter, exprimant ainsi leur protestation et leur refus des élections bourgeoises. En 1977, le PCP avait aussi lancé la consigne de boycott des élections à l’Assemblée Constituante. A cette époque, le Parti n’avait pas encore beaucoup d’influence car il était en train d’achever son processus de reconstitution en tant que parti de nouveau type, marxiste-léniniste-maoïste, ce qui avait duré 15 ans. Et puis, il se préparait à commencer éventuellement la lutte armée. Cette fois-là, le nombre des abstentions et des votes nuls fut environ de 18%. Le 18 mai se réalisèrent les élections présidentielles. Le PCP avait entrepris la lutte armée le 17 mai, et lancé la consigne du boycott actif de ces élections, près de 25 % des électeurs les boycottèrent. En Novembre 1980 se réalisèrent les premières élections municipales sous le régime actuel. Le nombre des personnes qui boycottèrent ces élections, suivant la consigne du PCP, fut de plus de 33%. Ainsi, nous voyons clairement que le boycott représente une mesure politique qui s’est développée comme résultat d’un travail politique systématique, réalisé dans les masses de base, selon la stratégie de : « politiser, organiser et mobiliser les masses » pour la révolution et pour la prise du pouvoir au moyen de la violence révolutionnaire. Le fait que pour ces élections municipales le gouvernement, adoptant une mesure « démocratique », ait lancé toutes sortes de menaces et appliqué des sanctions à tous ceux qui ne voteraient pas, représente aussi un point très important. Sans compter une véritable guerre psychologique de propagande par télévision, radio et par la presse qui fut décharnée, exigeant du peuple qu’il vote. On exerça même un chantage sur la population en disposant que les travailleurs et les employés qui ne voteraient pas seraient frappés d’une amende équivalent à 10% de leur salaire. Pour le reste de la population, l’amende s’élevait à 20$. Dans la zone militarisée des départements d’Ayacucho, Huancavelica et Apurimac, les menaces furent plus dramatiques et plus cruelles : l’arrestation, ce qui implique la torture et, dans bien des cas, la disparition ou la mort. Et pourtant, dans toute cette région, le boycott s’éleva à plus de 66%. Plus encore, dans ces zones militarisées, non seulement le boycott se réalisa, mais les élections ne purent matériellement s’effectuer. A cet effet, les Comités Populaires (c’est-à-dire le nouveau gouvernement du Nouvel Etat qui existe au sein des Bases d’Appui) dirigés par le PCP avaient proclamé la grève générale pour trois jours contre le gouvernement et ses élections et en faveur de la lutte armée et qui devait se réaliser les 13,14 et 15 Novembre. La revue Caretas (15/11/1983) commente cette grève de la façon suivante : « Tous, sans exception y ont adhéré », et le journal Le Monde (15/11/1983) écrivait : « Oui, elle a réussi à paralyser la ville d’Ayacucho ». Dans bien d’autres localités également, le boycott bloqua complètement la réalisation des élections. La Guerre Populaire est un processus dialectique. Et dans ce processus, le boycott ne représente qu’une des nombreuses tactiques employées, se développant comme prévu, d’une petite échelle à une plus grande, de l’inconscient au conscient, grâce à la ligne politique correcte du PCP. Nous pouvons donc espérer que le boycott des élections présidentielles de 1985 s’effectuera avec beaucoup plus de succès encore que celui-ci ».

5. « Sentier Lumineux est un mouvement paysan, qui n’est pas prolétarien et ouvrier, ça ne peut pas être une organisation communiste, marxiste et léniniste »

Attaque lancée par tous ceux, trotskistes, proalbanais ou autres, qui n’ont rien compris à la révolution dans les pays dominés.

Le Parti Communiste du Pérou est une organisation marxiste-léniniste qui reconnaît le rôle dirigeant, politiquement et matériellement à la classe ouvrière. Dans ses textes programmatiques, cela est parfaitement clair.

Dans la pratique également. Le Parti Communiste est largement implanté dans les usines (des sabotages ont par exemple eu lieu à Fiat et Toyota à Lima) et il est actuellement contraint de faire passes ses cadres syndicaux à la clandestinité compte tenu de la répression accrue. Il est également bien implanté dans les bidonvilles, surtout à Lima, certains d’entre eux étant en train de se transformer en bases d’appui. De même dans certains bidonvilles, les élections municipales n’ont pu avoir lieu, le boycott ayant été particulièrement actif. La guérilla urbaine se développe, même si aujourd’hui elle a moins d’ampleur qu’à la campagne. En effet, la stratégie militaire du Parti Communiste du Pérou est la stratégie maoïste de l’encerclement des villes par les campagnes en attaquant l’ennemi par son point faible, la campagne, là où l’encadrement répressif, policier, militaire, judiciaire est moins concentré, plus dilué, et donc plus vulnérable. Aujourd’hui, ce qui apparaît le plus est donc la lutte à la campagne. Mais doit-on fonder un jugement politique sur l’apparence des choses ? Evidemment, non !

Comment juge-t-on si une politique est prolétarienne ou non ? En regardant s’il y a ou non des ouvriers à la direction, s’ils sont majoritaires ou non dans le parti, si la plupart des luttes sont ouvrières ? Bien sûr, ce sont des éléments importants et indicatifs de la ligne suivie. Mais cela n’est pas le critère décisif. Sinon, dans de nombreux pays dominés, Afghanistan, Afrique, Amérique Latine etc. où la classe ouvrière est encore faible numériquement, il ne pourrait pas y avoir d’organisation communiste prolétarienne. Le critère c’est la justesse de l’activité, dans le programme et dans la pratique, sur le chemin du communisme, de l’abolition des classes, des rapports sociaux de production capitalistes et précapitalistes, de la division du travail, de l’échange marchand etc. C’est dans la conformité de l’activité, pratique et théorique, avec le programme communiste. C’est ainsi que nous comptons juger l’activité du Parti Communiste du Pérou, dans le sens de l’unité internationale des communistes, pour apprendre et critiquer, progresser dans l’expérience commune.

PÉROU LES BASES OBJECTIVES DE LA RÉVOLUTION

La situation économique et sociale du pays est catastrophique. Sans exagérer on peut dire que le pays est au bord de la banqueroute. 11 milliards de dollars de dette extérieure, 125% d’inflation en 1983 (70% en 1982), 60% de la population au chômage ou sous-employée, 70% des entreprises sont sur le point de fermer leurs portes, la plupart ne tournent qu’à 20% de leur capacité.

En 1983, la chute de la production a été de 12%, la diminution (officielle !) du pouvoir d’achat de 16% pour répondre aux exigences du FMI. Malgré cela, en 1984, le Pérou sera incapable de rembourser les seuls intérêts de sa dette extérieure.

Suite aux mesures protectionnistes des Etats-Unis, les mines, les industries textiles ferment les unes après les autres. Les conflits sociaux se multiplient : occupations de terres à la campagne, de même que dans les villes pour le droit au logement, grèves dans les mines, les usines, etc. Jusqu’aux grèves générales (quatre depuis 1960, la dernière le 22 mars 1984) lancées par les réformistes (qui pourtant soutiennent le gouvernement) face à la dégradation dangereuse de la situation sociale et pour tenter d’enrayer la progression de la guérilla.

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