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Pax Americana en Bosnie-Herzégovine

Partisan N°107 – Février 1996

Position du Secours Ouvrier pour la Bosnie face aux accords de Dayton et à la nouvelle situation en Bosnie- Herzégovine

La partition ethnique est entérinée

1. Les accords de Dayton signés en Décembre à Paris après un processus de négociations sous égide nord-américaine, concrétisent le plan de partition défendu depuis deux ans par les grandes puissances et par l’ONU : la Bosnie-Herzégovine se retrouve officiellement divisée entre une « Fédération croato-musulmane », sur 51% du territoire et la « Republika sprska » avec 49% des terres.
Le soi-disant maintien d’une Bosnie unitaire dotée d’institutions propres est purement factice, comme en témoigne le fait que chaque camp (y compris « l’Herceg Bosna ») conserve ses forces armées. Les réfugiés victimes de la « purification ethnique » sont en réalité invités à abandonner toute perspective de retourner dans leurs foyers. Bien d’autres « engagements de la communauté internationale », comme le soi-disant jugement des criminels de guerre par le tribunal international de La Haye, apparaissent de plus en plus pour ce qu’ils sont : une farce sinistre, une concession formelle à l’opinion publique internationale et une couverture à la partition ethnique.
Ces accords représentent une semi-victoire pour Milosevic, qui aura finalement obtenu une « petite Grande-Serbie », mais devra néanmoins finir d’imposer sa volonté à ses alliés de Pale, qui rechignent à toute concession. Surtout, ils sont une victoire pour Tudjman, qui a déjà commencé à intégrer à la Croatie les territoires contrôlés par le HVO (près de 30% de la Bosnie- Herzégovine) et peut espérer renforcer son rôle de « tuteur » de l’entité bosniaque « musulmane ».

Occupation militaire et économique

2. C’est pour appliquer ce plan de partition « ethnique » que l’OTAN a dépêché sur place l’IFOR (« Implémentation Force », force de mise en œuvre des accords), composée de 60 000 hommes bien armés et autorisés à tirer les premiers (dont 20 000 GI’s basés à Tuzla et un fort contingent français dont le commandement aura la responsabilité de la zone Sarajevo-Mostar). Sous d’autres formes et avec d’autres moyens, l’IFOR sert les mêmes buts et les mêmes intérêts que la FORPRONU.

 

Dans le même temps, la « communauté internationale » va engager un plan de reconstruction économique, mais celui-ci ne sera pas non plus « neutre ». La reconstruction ne se fera pas au service du peuple bosniaque et de la multiculture. Les milliards qui vont se déverser sur la Bosnie auront d’abord pour but de « mettre de l’huile dans les rouages » afin de contribuer à calmer les antagonismes et à éviter une reprise des affrontements. En deuxième lieu, ces investissements (outre les profits qu’en retireront les firmes privées occidentales) doivent aider à insérer dans le marché mondial les différentes entités entre lesquelles la Bosnie se retrouve divisée : ils iront de pair avec les privatisations et l’accentuation des différences sociales. Plus généralement, ce processus de reconstruction visera à maintenir l’Etat bosniaque croupion sous étroite dépendance de l’Occident. Les dispositions de Dayton qui prévoient une levée progressive et conditionnelle de I embargo sur les armes ainsi que le renforcement des conseillers militaires US sur l’armée bosniaque, vont également dans ce sens.

Persistance des tensions

3. Avec l’engagement de leurs troupes sur le terrain, les Etats-Unis mettent tout leur poids dans la balance pour le succès des accords de Dayton. Pour l’instant, leur mise en œuvre avance sans rencontrer trop d’obstacles. A long terme, cependant, ce « plan de paix » ne résoudra rien, et est gros de nouvelles crises et nouveaux affrontements. Si la mauvaise volonté des Tchetniks à remettre sous autorité bosniaque les zones qu’ils contrôlent à Sarajevo était prévue et prévisible, l’aiguisement des tensions à Mostar entre le HVO et l’armée bosniaque, et plus largement les divergences croato-bosniaques sur les contours et l’avenir de la Fédération minent déjà l’édifice de Dayton. Aucune paix durable ne sortira d’un plan basé sur la constitution d’entités « ethniquement pures » alors que les communautés sont étroitement imbriquées depuis des siècles.

Izetbegovic, c’est les USA

4. L’attitude du gouvernement Izetbegovic par rapport au processus de Dayton est totalement contraire à la défense d’une Bosnie- Herzégovine multiculturelle et non divisée. Face aux critiques qui ont surgi en Bosnie même, Izetbegovic a affirmé que c’était la moins mauvaise solution, ou même qu’il n’y en avait pas d’autre. Mais il a signé la partition du pays et accepté de rendre des territoires à Karadzic-Mladic au moment où l’armée bosniaque progressait sur tous les fronts et où la crise commençait à ravager le camp tchetnik ; il a présenté cet accord à son peuple comme une victoire (et non comme une concession qui permettrait de reprendre des forces pour poursuivre la lutte) alors que les Bosniaques en sont les grands perdants ; et il entérine à nouveau, mais sur une plus grande échelle encore, l’occupation de son pays par les troupes occidentales et la mise sous tutelle de ses forces armées.
La signature des accords de Dayton est cependant une conclusion logique de la part de dirigeants qui n’ont cessé, depuis le début de la guerre de vouloir remettre le sort du pays entre les mains des grandes puissances occidentales et qui n’ont jamais lutté de façon conséquente contre l’agression fasciste. Ces mêmes dirigeants participent d’ailleurs de la logique de partition « ethnique » lorsqu’ils développent, dans les zones sous contrôlent bosniaque, les mesures de « musulmanisation ». Leur principale aspiration était de voir reconnue leur position dirigeante à la tête d’une structure étatique, fût- elle minuscule : de ce point de vue, les accords de Dayton leur donnent satisfaction.

Soulagement, résignation et scepticisme

5. Selon les informations dont nous disposons, dans sa grande majorité la population bosniaque accepte les accords avec un mélange de soulagement, de résignation et aussi de scepticisme. Soulagement, parce qu’ils signifient la fin de la guerre - ou du moins la prolongation de la trêve. Résignation, parce que la population ne voit pas d’alternative, aucun courant politique en Bosnie n’ayant osé s’affronter aux accords et proposer une autre voie. Des réticences se sont bien manifestées avant la signature, dans l’armée bosniaque et dans les milieux intellectuels (notamment de la part des signataires des « Principes pour une paix durable »), mais elles n’ont pas débouché sur une véritable opposition, ni a fortiori sur une mobilisation contre l’application de Dayton. Scepticisme, enfin, parce que chacun sent bien que l’édifice de Dayton est largement factice.
La responsabilité principale du fait que ces accords puissent s’appliquer (du moins pour l’instant) n’est pas celle du peuple bosniaque, qui a mené pendant quatre années un combat héroïque, qui est parvenu à faire reculer les agresseurs alors qu’il était en situation d’infériorité militaire et que tous les grands pouvoirs étaient coalisés contre lui.
Une grande part de cette responsabilité incombe aux directions du mouvement des travailleurs en Europe et dans le monde, qui n’ont pas voulu se solidariser avec la résistance antifasciste et multiculturelle du peuple bosniaque.
La campagne et les actions réalisées depuis la France par le Secours Ouvrier pour la Bosnie et par plusieurs structures syndicales (dont SUD-PTT et la CGT-ONIC), ainsi que celles menées sur une orientation similaire dans d’autres pays n’en prennent que plus de relief. (...)

 

(les intertitres sont de la rédaction)

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