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10 ans de guerre populaire au Pérou
Partisan n°51 - Mai 1990
Cet article a également été publié dans la brochure "Dix ans de Guerre Populaire au Pérou" de Mai 1990.
Le régime péruvien n’en finit pas de toucher le fond. C’est la seule conclusion à laquelle peut mener le résultat du premier tour des élections. Un candidat inconnu, sans programme surgit au dernier moment, qui talonne Vargas Llosa et va disputer le deuxième tour. La seule raison de son succès est le rejet massif des politiciens de tous bords dans les masses péruviennes. De même que le nouveau maire de Lima, Ricardo Helmont, avait été élu en balayant tous les candidats de partis officiels. Le succès des "indépendants" ... tout aussi bourgeois que les autres, mais moins mouillés dans les querelles et les appareils politiciens. Le degré zéro de la politique !
Il n’y a plus rien à attendre de la démocratie parlementaire bourgeoise au Pérou, c’est la signification de ce vote. Et la seule perspective nouvelle, quoiqu’encore embryonnaire, c’est la guérilla du Parti Communiste du Pérou (Sentier Lumineux) qui ne cesse de se développer depuis dix ans. Une fois de plus les journalistes se félicitent de son échec dans son appel au boycott des élections. Une fois de plus ils prennent leurs désirs pour des réalités. Le vote au Pérou est obligatoire, et la présentation du livret électoral (à jour bien sûr) est nécessaire pour de nombreuses démarches officielles, par exemple pour voyager. Dans ce contexte, si le boycott avait été généralisé, cela aurait simplement signifié que le pouvoir était en train de s’effondrer. Ce qui n’est pas encore le cas !
POURQUOI LA VIOLENCE ?
Le PCP a déclenché la lutte armée, sous diverses formes. Affrontements avec la police et l’armée, exécutions sélectives de représentants du régime, de l’autorité, de traîtres, ce sont ces actions sur lesquelles les bourgeois s’appuient pour parler de « terroristes ».
Ces bonnes âmes charitables sont par ailleurs bien silencieuses sur la grande Guerre Muette qui se déroule depuis cinq cents ans en Amérique Latine opposant grands propriétaires terriens. et paysans des communautés indigènes. Des centaines de milliers de morts, bien plus que dans toutes les tristes guerres officielles, contre les spoliations. pour le droit à la Terre, lors de révoltes réprimées en massacres massifs. Elles ne disent pas un mot de la mortalité infantile dans les bidonvilles, de l’espérance de vie des mineurs, sont bien discrètes sur les disparitions dues à l’armée et aux forces para-militaires.
La violence est la seule issue possible pour les paysans pauvres, les exploités. Ils se sont heurtés à la répression sanglante ils se sont fait flouer par les voies légales et juridiques au service de leurs ennemis. Depuis des dizaines d’années, la violence était leur seul recours.
La différence actuelle, c’est que la violence développée par la guérilla du PCP n’est pas la violence désespérée et sans issue des révoltes paysannes depuis des siècles. C’est une violence organisée. avec un but un projet politique prendre le pouvoir d’État, détruire de fond en comble l’ancienne société, construire la nouvelle. Les exécutions sélectives c’est cela : détruire les représentants de l’ancien pouvoir qui refusent d’abandonner leurs responsabilités. Les affrontements avec l’armée, c’est cela aussi. Et c’est cela que ne supportent pas les ’démocrates’ prêts à justifier toutes les révoltes spontanées, pour verser ensuite une larme sur les massacres qui en découlent. Ce qu’ils ne supportent pas c’est que le pouvoir est en jeu et çà, ce n’est pas classique, ça sort de l’ordinaire !
LE NOUVEAU POUVOIR A LA CAMPAGNE
Le PCP a développé la guérilla d’abord à la campagne, autour du mot d’ordre principal « La Terre à celui qui la travaille ». II est parti du constat que la réforme agraire n’a concerné qu’une petite partie des paysans (ce qui est reconnu d’ailleurs par tout le monde), qu’elle a essentiellement consisté en un changement formel de propriété en remplaçant les anciens propriétaires terriens féodaux par une nouvelle couche de fonctionnaires et technocrates. A partir des zones les plus défavorisées, en s’appuyant sur les couches paysannes les plus pauvres, il a engagé la lutte pour la nouvelle société.
Car la violence n’est pas un but en soi pour le PCP. C’est le moyen essentiel et nécessaire pour détruire l’ancien et construire le nouveau. Dix ans plus tard, on en voit les premiers résultats.
Certaines zones des Andes profondes sont aujourd’hui semi-libérées. C’est à dire que l’ancien pouvoir n’existe plus ; propriétaires terriens, fonctionnaires, policiers ont fui ou ont été éliminés. Tous les liens ont été coupés avec le pouvoir central. Par contre le nouveau pouvoir se met en place : des Comités Populaires (clandestins) de cinq membres sont élus en Assemblée Générale, et prennent en charge toutes les fonctions d’organisation sociale de la zone. État civil, éducation, économie, échanges, défense, règlement des conflits internes. bien sûr sur une base nouvelle. Les terres occupées sont partagées, toute trace de féodalité est liquidée. Les cultures sont transformées sur la base principale de l’auto-subsistance. L’éducation politique est au premier plan. les formes collectives de production et d’entraide sont stimulées, la justice est exercée par le peuple lui-même. La dictature est exercée contre les exploiteurs, caciques, féodaux qui cherchent à rétablir leur pouvoir.
Ainsi « El Diario » annonce dans le numéro du 28/12/89 que dans la province de Tarrna, département de Juin (Arides Centrales) au moins une vingtaine de villages n’ont plus d’autorités. et que le nouveau pouvoir est en construction face à l’impuissance des forces répressives. Ces zones semi-libérées (au sens ou l’armée réactionnaire peut encore y circuler), sont le niveau supérieur de ce que le PCP appelle les Bases d’Appui - Bases qu’il développe actuellement dans tout le pays - avec constitution de Comités Populaires (même si leurs fonctions sont encore réduites) dans l’objectif de les consolider politiquement pour avancer dans la construction du nouveau pouvoir.
Il ne s’agit pas de formule de propagande, mais d’une réalité que la presse réactionnaire reconnait elle-même. Des revues comme ’Si’, ’Oiga’, ’Caretas’, ’Que Hacer ?’ multiplient analyses et articles décrivant ce nouveau pouvoir pour tenter désespérément de trouver le moyen de le contrer. Car cette politique une fois encore, n’est pas ’classique’. Il est vrai qu’un parti qui s’occupe de construire une nouvelle société tout en détruisant l’ancienne c’est beaucoup plus dangereux, parce que bien plus solide !
LES NARCO-TERRORISTES ?
Depuis quelques années. c’est l’accusation qui (raine vis à vis du PCP Appuyée sur son influence dans la région du Allo Huallaga, première zone productrice de coca du monde, mais aussi zone où les Bases d’Appui du PCP se multiplient. Il faut remettre les pendues à l’heure. Quand le PCP a développé son influence dans la région, la coca était déjà cultivée depuis longtemps, et par contre se développait une situation ’à la colombienne’, c’est à dire une situation de type Mafia. Les capos commençaient à régenter toute la vie, on retrouvait les cadavres dans les rues au petit matin etc. Les paysans étaient soumis à la terreur des trafiquants, qui imposaient leurs règles, et gare aux rebelles. Le PCP s’est implanté sur une base claire : on ne discute pas politique avec la mafia. Le seul rapport que l’on peut avoir avec elle est militaire. Il a donc liquidé militairement la mafia dans la zone. Jusqu’à preuve du contraire, ce que n’a réussi à faire aucun régime bourgeois. Il a instauré un nouvel ordre, sur la base de la défense des paysans. A ce moment. que faire vis à vis de la coca ? (4) Tous les bourgeois, sous une forme ou une autre. veulent contraindre les paysans à transformer leur culture. Le PCP veut convaincre politiquement d’éliminer une culture dont l’existence est directement liée à l’impérialisme (la consommation de drogue dans les pays riches), mais il ne cherche pas à l’imposer. N’ayant pas, encore, le pouvoir d’État, il n’a pas les moyens d’une reconversion massive et rapide. Mais toutes les occasions sont bonnes pour cette transformation. Ainsi en janvier, suite à la chute de Noriega au Panama, et à la ’guerre de la drogue en Colombie’, le transport a été très perturbé, et le cours de la pasta (produit-base de la drogue) a chuté de 800$ à 400$ le kilo. Le PCP a alors refusé les transactions qui auraient ruiné les paysans. Cela a été une excellente occasion d’éducation sur la perversion d’une culture soumise aux aléas du marché impérialiste.
La politique du PCP dans la zone est donc claire : défense des paysans face aux trafiquants, éducation politique pour la reconversion vers des cultures d’auto subsistance, refus de la contrainte et donc tolérance de l’existence des trafiquants qui commercialisent le produit (sans doute imposés financièrement par ailleurs). Les éliminer définitivement revient à condamner les paysans, quoiqu’on en pense ! Il n’y a aucun accord avec les trafiquants. Il y a un rapport de force d’une part, une tolérance du fait de la situation de monoculture de la région qui ne peut être changée du jour au lendemain.
Parler d’entente même tactique, avec les trafiquants est donc une imposture, au service d’intérêts bien précis : salir la guerre populaire.
L’IMPLANTATION OUVRIÈRE
Il y a cinq ans. nous nous interrogions sur les faiblesses du travail ouvrier du PCP soulignant que cela pouvait âtre inquiétant pour l’avenir de la révolution. Cette faiblesse a été reconnue par les militants du PCP eux-mêmes, en particulier dans l’interview de son principal dirigeant. le président Gonzalo. Depuis deux ans environ celte faiblesse est en train d’être corrigée, et le travail ouvrier organisé se développe à une vitesse foudroyante. Dans les mines d’abord, où il s’agit essentiellement d’un travail totalement clandestin compte tenu de la situation de type fasciste. Dans les zones industrielles de Lima, où des comités classistes sont organisés pour structurer les ouvriers de la capitale. Des grèves classistes ont déjà eu lieu et un premier congrès (clandestin bien sûr) du Comité de Lutte des Ouvriers et Travaileurs Classistes de la Caretera Central a eu lieu pour développer l’implantation dans toutes les usines de la capitale.
Une plateforme de lutte a été élaborée, pour les augmentations de salaire, la réduction du temps de travail, l’amélioration des conditions de travail. Le travail politique commence à s’organiser sur cette base, contre les réformistes. Par exemple il y a une forte polémique contre le mot d’ordre ’d’échelle mobile des salaires’ mis en avant par la Gauche Unie (dans un pays où il y a pourtant 3000% d’inflation), en accusant ce mot d’ordre d’étouffer la lutte des classes. Mais on sent qu’il y a encore à approfondir et à élaborer, car l’essentiel de la polémique se fait su le soutien ou non à la guerre populaire. C’est une évidence. Mais cela masque un peu l’importance du travail d’éducation politique qui doit se faire, par exemple à partir des salaires, sur la hiérarchie des salaires, les besoins, etc. Il n’empêche que relativement à il y a cinq ans, i y a un progrès significatif qui se manifeste dans les usines, comme d’ailleurs dans les bidonvilles et les quartiers.
UN PARTI DE TYPE NOUVEAU
Le PCP est un parti totalement clandestin avec des règles de sécurité extrêmement rigoureuses. Ce qui la préservé de la liquidation depuis dix ans et garanti l’avenir de la révolution. La bourgeoisie n’aime pas la clandestinité, on comprend pourquoi. Elle s’acharne donc à répandre les rumeurs les plus folles sur le PCP dont on ne connaîtrait rien, totalement monolithique, figé et dictatorial. Rien de plus faux.
De nombreux textes du PCP ont été diffusés. depuis des années. Nous même les avons trouvés sans difficultés il y a plus de cinq ans, ce qui nous a permis de nous faire une idée sur le PCP tant en positif qu’en négatif d’ailleurs. Depuis ces textes sont diffusés largement y compris en français. Et chacun y compris les journalistes bourgeois les plus hostiles a pu constater l’évolution et l’approfondissement de l’orientation politique du PCP. L’argumentation politique est de plus en plus précise, les tactiques se dessinent suivant les fronts d’intervention (campagne. usines, quartiers etc..). Un congrès a eu lieu dans la clandestinité et les armes à la main, dont les documents préparatoires ont pourtant été diffusés largement et publiquement. Cela aussi sort de l’ordinaire, et fait frémir la bourgeoisie, dans la mesure où cela révèle d’une part une implantation, d’autre part une maturité qui est de plus en plus difficile à nier.
Le PCP met au premier plan de son activité la formation politique et idéologique de ses militants et sympathisants. Les écoles de formation pour les sympathisants se poursuivent dans tout le pays, à la campagne, comme à la ville. Car l’objectif que se fixe le PCP n’est pas seulement la prise du pouvoir, c’est la marche au communisme, à long terme. Ce qui passe par diverses étapes, dont la révolution démocratique actuelle, puis la révolution socialiste, se poursuivant par des Révolutions Culturelles, à l’image de la Révolution Chinoise. Le PCP n’est pas un quelconque « front » anti-impérialiste à la vision limitée et floue (comme l’a-été le FSLN au Nicaragua), c’est un parti maoïste dont l’objectif historique est bien précis (même si la manière dont on y arrivera reste à élaborer). Là encore, cela sort de l’ordinaire, en ces périodes où l’on nous rabâche la mort du communisme. Le PCP fait peur à la bourgeoisie car chacun sait qu’on ne peut pas concilier avec lui, qu’il refuse toute compromission avec l’impérialisme, le révisionnisme et la réaction.
Bref les bourgeois n’ont pas de prise sur lui. Et c’est très inquiétant, non ? Pour eux du moins, car pour tous les révolutionnaires et les exploités du monde, au delà des interrogations qu’on peut avoir, c’est un espoir nouveau d’une libération véritable. Et depuis dix ans, le développement politique et organisationnel du PCP montre qu’il est possible de reprendre le chemin de la révolution.
Quant au débat interne, nous en ignorons évidemment le contenu. Mais le PCP dans son programme, définit comme un de ses principes de base la lutte entre deux lignes comme force motrice du développement du Parti. Et le peu que nous en sachions montre que ce débat existe bel et bien, par exemple sur le rapport entre lutte politique et lutte militaire. L’orientation générale du PCP étant que ’la politique commande au fusil’, mais la pratique montrant qu’en certaines occasions des glissements militaristes ont pu se produire. La presse bourgeoise se fait actuellement l’écho de contradictions internes au PCP parfois de manière grotesque, toujours pour se féliciter de ce qu’elle croit être un affaiblissement. Nous ignorons tout de la réalité de ces débats. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que c’est un phénomène inévitable. Résoudre ces contradictions peut être délicat, c’est l’enjeu d’une dure lutte politique. Mais le PCP pour l’instant suit une orientation générale correcte. Nous sommes donc confiants dans sa capacité a surmonter ces difficiles. ce qui conduit au contraire à un renforcement et non un affaiblissement.
VIVE LE PARTI COMMUNISTE DU PÉROU !
En conclusion, c’est avec espoir que nous regardons ce qui se passe au Pérou. Ce court article, en bilan de dix ans de guérilla, n’avait pas pour but de reprendre l’ensemble de l’orientation du PCP. Ce sera fait dans une brochure à paraître très prochainement. Mais en répondant point par point aux délires des journalistes bourgeois, sur quelques questions les plus vivantes, nous avons voulu donner une autre image de cette guérilla.
L’histoire reste à écrire, nous en ignorons le contenu. Mais comme nous l’écrivions il y a cinq ans. Nous rejetions le scepticisme généralisé, lié aux échecs des révolutions passées et au reflux actuel du mouvement de masse. Certes. il comporte un aspect juste, celui de refuser de se laisser berner une fois de plus. Mais il comprend surtout un aspect erroné : le refus de s’engager en attendant la pureté révolutionnaire. Le scepticisme n’est finalement que la version inversée de l’idéalisme qui prévalait dans la période des soutiens inconditionnels une position anti-matérialiste qui refuse de voir la réalité dans sa contradiction, qui refuse de déterminer l’aspect principal d’une contradiction au nom de la complexité de la réalité. Bref une position qui mène soit à l’échec (idéalisme) soif à l’impuissance (scepticisme). Et si nous n’avons aucune garantie sur l’avenir du PCP nous prenons position, à partir de ses positions, de son activité actuelle et passée. C’était vrai i1 y a cinq ans. C’est encore plus vrai aujourd’hui.
Correspondant VP
