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Ex-Yougoslavie : un été meurtrier

Partisan N°102 – Septembre 1995

L’été qui vient de s’achever a été celui de l’ex-Yougoslavie. Offensives militaires de l’armée bosniaque, chute des enclaves de Srebrenica et de Zepa prises par les forces fascistes de Karadzic en juillet, guerre éclair de la Croatie en Krajina début août, intervention militaire de l’OTAN fin août, tout s’est accéléré. Bombardements, colonnes de réfugiés, témoignages d’horreurs nous ont accompagné au fil des jours avec pour objectif soit de nous réduire à l’impuissance (« on ne comprend plus rien, ce sont tous des barbares »), soit de nous mener à soutenir l’intervention des grandes puissances.
Alors, prenons le temps de faire le point avec un minimum de recul.

Le nationalisme mène à la purification ethnique

L’exode massif de la population serbe de Krajina vers la Bosnie et la Serbie a montré jusqu’où pouvait mener le nationalisme : à la purification ethnique. Qu’elle soit sanglante et barbare à la mode tchetnik (exécutions massives, camps de concentration, viols, disparitions des hommes, par exemple de tous les habitants adultes mâles de Srebrenica), ou plus policée à la mode croate (départ des familles par convois entiers), c’est la même politique : l’affirmation raciste et fasciste que des nationalités différentes ne peuvent vivre côte à côte.
Voilà où mène le nationalisme : la peur fanatique de l’étranger, de « l’autre », entretenue par les massacres, la rumeur, les médias et les officiels, la thèse du « peuple céleste » ou de la race supérieure. On a même vu des réfugiés serbes de Krajina refuser de descendre du train au Kosovo où ils avaient été conduits par le gouvernement serbe, par peur « d’être égorgés par les Albanais ». Le nationalisme serbe se retourne contre lui-même…

 

Dans une région du monde où les nationalités sont mélangées depuis des siècles, où aucune famille ne peut prétendre à la « pureté ethnique », où Serbes, Croates, Musulmans, Juifs, Tziganes, Hongrois, Italiens et autres vivaient côté à côté, se mariaient ensemble depuis des dizaines d’années, le nationalisme ne peut conduire qu’à la purification ethnique : pour préserver « sa » nation, chassons les autres, regroupons-nous « entre nous ». Et donc collusion entre les divers dirigeants nationalistes, seulement opposés sur la définition des zones qui leur reviennent. Milosevic, Tudjman, Izetbegovic se retrouvent dans cette logique réactionnaire, fascisante.
A supposer qu’elle soit pacifique et démocratique, la séparation sur des bases ethniques et nationales serait toujours réactionnaire. En ce sens (et sans pour autant soutenir Milosevic et autres fascistes) on peut comprendre la nostalgie de l’ex-Yougoslavie présente par exemple massivement chez les Bosniaques : du point de vue de l’Histoire et de la tendance à la fusion des nations, son démembrement sous l’effet de ses contradictions internes est tout à fait réactionnaire.

 

Cela pose, au-delà de la Bosnie, la question de la coexistence de tous les peuples de la région, de la Fédération socialiste des peuples des Balkans soulevée dès le début du siècle. Il faudra en trouver une version actualisée à la fin de ce même siècle, capable de surmonter les haines et les divisions surgies lors de ce conflit.

Colons et réfugiés

150 000 Serbes de Krajina en colonnes sur les routes vers la Bosnie ou la Serbie.
Banja Luka, ville doublement purifiée : les Croates, Musulmans et autres ont été massacrés ou chassés dès 1992, et elle est en train d’être repeuplée de réfugiés serbes de Krajina. La Kosovo, où les Albanais (90% de la population) subissent depuis des dizaines d’années une oppression nationale de la part du régime serbe, qui profite aujourd’hui de l’occasion pour la coloniser avec les mêmes réfugiés de la Krajina.

 

Tant qu’il y aura des réfugiés chassés de leur terre natale, il y aura guerre et nationalisme. Et de l’autre côté, les colons seront les meilleurs défenseurs des nouvelles acquisitions « nationales ». Comme en Palestine, face à la politique sioniste de « la terre promise pour le peuple élu ».
L’épuration ethnique prétend résoudre les problèmes (mais lesquels, au fait ?) par la séparation, elle ne fait que semer les conflits des années à venir.
En ce sens, le nationalisme croate n’a rien à valoir au nationalisme serbe, même si le niveau de barbarie n’est pas le même. Il ne s’agit là que d’une différence de degré, pas de nature ; et encore, il ne faudrait pas oublier les quelques « Oradour » provoqués par le HVO contre les Serbes ou les Musulmans en Krajina ou en Bosnie en 1992/1993 et qui ont provoqué l’exode de juillet dernier.

L’offensive croate

Belle unanimité pour soutenir l’offensive croate en Krajina. Enthousiasme à Sarajevo et même à Tuzla, face à la première défaite militaire majeure des Tchetniks. Silence pudique sur l’épuration ethnique ainsi souhaitée et provoquée.
Mais quelle est l’objectif de cette offensive ? S’inscrit-elle dans le combat antifasciste et antinationaliste qu’il faut soutenir ? Evidemment non. Comme le faisaient remarquer certains militants bosniaques, le début de l’offensive a commencé par la prise de certaines villes contrôlées par les Tchetniks en territoire bosniaque (Bosanska Grahovo et Glamoc), et c’est le drapeau croate qui y a pourtant été planté par le HVO.
Le fameux croquis de Tudjman révélé par la presse montre bien l’objectif recherché : la constitution d’une Grande Croatie et d’une Grande Serbie avec le dépeçage de la Bosnie, en accord avec Milosevic. Car les relations secrètes n’ont pas cessé entre les régimes nationalistes, qui fondamentalement partagent la même orientation, même si sa mise en œuvre est différente.

 

Se réjouir de l’offensive croate, c’est de la courte vue, c’est oublier la politique et le sens du combat qui s’y mène, et c’est s’exposer à de terribles désillusions à l’avenir.

Les bombardements de l’OTAN

En ce début du mois de septembre, l’actualité est tournée autour des bombardements massifs de l’OTAN sur les positions des Tchetniks. Et l’on voit certains commentateurs naïfs s’étonner : « mais comment est-ce possible, voilà, des années qu’on nous disait qu’une intervention militaire d’ampleur n’était techniquement pas envisageable ? ». D’autres (en particulier la plupart des sympathisants de la cause bosniaque) se félicitent de cette intervention, et en demandent encore plus.

 

Il faut bien comprendre que les raisons de ces bombardements sont exactement les mêmes que celle de la passivité de l’ONU pendant trois ans. Il s’agit de faire accepter un plan de partition de la Bosnie, d’ailleurs encore en retrait par rapport aux précédents (par exemple l’abandon de l’enclave de Gorazde, ou l’élargissement du couloir de Brcko). Après avoir essayé toutes les tentatives diplomatiques et être arrivé dans une impasse, il s’agit de donner une grosse claque aux Tchetniks pour les conduire à être raisonnables et accepter ce qu’ils refusaient jusqu’ là. Milosevic est d’accord, même le boucher Mladic s’y résigne, seul Karadzic s’obstine : on va le faire plier par la force. Le but n’est pas de le battre militairement, mais de l’amener à accepter ce qu’il refuse actuellement.

 

Mais l’objectif n’est pas antifasciste, c’est celui d’un accord de partition de la Bosnie sur une base nationale et ethnique, qui entérine la Grande Serbie (avec autorisation pour les Serbes de Bosnie de la rejoindre) et d’un autre côté une Bosnie croupion largement dépendante de la Croatie.
Les objectifs des grandes puissances impérialistes sont constants : retrouver le calme (sinon la paix) dans une région instable, en soutenant des régimes forts même s’ils sont peu présentables. Le tout pour pouvoir reprendre les affaires sur une base apurée (sans mauvais jeu de mots).
En aucun cas ils ne peuvent mettre en place une paix durable : leur objectif n’est pas l’intérêt des peuples, mais celui des grands patrons et des zones d’influence politiques et militaires. Quand on prône le libéralisme et le marché, la concurrence et la guerre économique, comment pourrait-on développer l’amitié entre les peuples, la solidarité et la résolution des conflits ? Rappelons-le : une des causes majeure de la guerre et des barbaries actuelles se trouve dans la crise économique subie dans la Yougoslavie depuis les années 70. Déjà capitaliste et libérale, endettée à mort, soumise aux diktats du FMI et complétement ouverte aux capitaux étrangers, c’est le fumier sur lequel a poussé le nationalisme.
La séparation « démocratique et pacifique » proposée par les USA (et imposée par les canons de 155 dont les français) n’a aucune chance d’avenir. Elle ne peut conduire qu’à une nouvelle situation de misère et de conflits, à brève ou moyenne échéance.

Les Bosniaques nouveaux Palestiniens

La situation s’apparente de plus en plus à celle de la Palestine, à la formation (sous la coupe des grandes puissances impérialistes) d’un état soumis entre deux états nationalistes et fascisants.
Comme parmi les Palestiniens dans les années 70, deux courants existent chez les Bosniaques : l’un laïc et démocratique, progressiste et antifasciste, non nationaliste. L’autre nationaliste, fondé sur un islamisme radical et exigeant, qui mène à l’impasse et peut tourner au fascisme. N’oublions pas qu’à l’origine le mouvement national palestinien était principalement progressiste et qu’il est aujourd’hui de plus en plus sous la coupe du Hamas…
L’histoire doit nous rendre vigilant et nous montre la particulièrement importance à défendre les courants non nationalistes comme à Tuzla, à soutenir l’émergence d’un courant ouvrier et populaire indépendant des bourgeois, antifasciste et progressiste.
Alors, plus que jamais, soyons aux côtés des internationalistes de Bosnie, comme nous le sommes ici, aux côtés de nos camarades immigrés !

 

Impérialistes, hors de l’ex-Yougoslavie !
Retrait des troupes françaises à l’étranger !
Non à la partition ethnique de la Bosnie !
Contre le fascisme et le nationalisme, soutenons les forces progressistes !

L’activisme des nationalistes islamistes

Dans les milieux favorables à la cause bosniaque, il est de fort mauvais aloi de se permettre de critiquer le gouvernement bosniaque, le SDA et Izetbegovic, les articles de presse ou décisions de la presse islamiste la plus nationaliste.
N’empêche, les faits sont têtus. Aujourd’hui, les régimes musulmans du monde entier se mobilisent en faveur des « Musulmans bosniaques » et les fonds recueillis le sont directement pour le SDA ou les organisations humanitaires qu’il contrôle (Mehamet » par exemple). La revue « Courrier International » (du 17 août) nous apprend que « des téléthons ont été organisés par la télévision jordanienne (7 millions de dollars collectés) le 22 juillet dernier dans les Emirats arabes unis (45 millions de dollars) le 28 juillet ; en Arabie Saoudite (chiffres non encore communiqués) le 11 août ».

 

Par ailleurs, de manière plus symbolique mais aussi importante, nous avons pu constater que les islamistes recrutent dans les cités des banlieues de France pour aller combattre aux côtés des Bosniaques. Une centaine de jeunes seraient ainsi au combat, ce qui est dérisoire en nombre relativement à la situation en Bosnie.
Mais c’est beaucoup plus inquiétant pour ce qui de la situation en France. Après l’Afghanistan, la guerre du Golfe, la Palestine, l’Algérie, le conflit bosniaque sert de prétexte politique au développement de l’intégrisme, au nom de « l’abandon par l’occident des populations musulmanes ».
Voilà une raison de plus de se mobiliser pour le soutien à la cause multiculturelle des travailleurs de Tuzla : faire vivre ici l’internationalisme et la solidarité français/immigrés…

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