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Minguettes : ce que nous avons appris

Pour le Parti N°60 - Juin 1983

DROIT AU LOGEMENT POUR TOUS !

La grève de la faim des jeunes des Minguettes est une lutte de jeunes ouvriers chômeurs pour avoir du travail. C’est une lutte de la classe ouvrière hors de l’usine.

C’est aussi une grève :
- contre le racisme qui rejette ces jeunes partout où ils vont (le droit de pouvoir danser comme tout le monde, etc.)
- contre le rejet d’un quartier, qui est leur seule racine, leur quartier, qu’ils veulent bien transformer pour pouvoir y rester, y vivre. Ils savent aussi qu’ils sont rejetés partout et qu’ils n’auront plus d’endroit pour aller vivre
- et donc contre la répression policière, l’injustice de la « justice bourgeoise », seule solution employée par la bourgeoisie pour pouvoir résoudre ses problèmes.

En fait c’est une lutte qui pose clairement les conséquences qu’apporte la crise à la classe ouvrière : chômage, misère, délinquance, répression, etc.

Pensez-vous réellement que se sont de jeunes ouvriers, ou des lumpenproletariat, des délinquants, des loubards qui sont contre la classe ouvrière ?

a) C’est un problème extrêmement important, qui divise la classe ouvrière, qui monte même une partie d’entre elle contre ces jeunes... qui seront peut-être nos enfants. Pourquoi sont-ils délinquants ?
Il y a le racisme général, le manque de travail, des mauvais logements ou trop petits, des parents dans la misère (la paie du père ne suffit pas souvent pour faire vivre la famille) ; une école inadaptée et qui les rejette, voilà la vie de tous les jours et à côté de ça des films à la télé ou au cinéma où on ne voit que de belles voitures, la vie facile, de l’argent, peu ou pas de travail, la publicité, les vitrines pleines de belles choses, et l’idée véhiculée par la bourgeoisie : « si vous n’entrez pas dans ce système vous n’êtes rien du tout ».

Tout cela provoque dans bien des têtes de jeunes une telle révolte inconsciente, qu’ils s’attaquent à tout ce qu’ils peuvent trouver, soit pour se venger un soir d’avoir été rejeté d’une boîte, soit pour se donner quelques heures l’illusion qu’ils peuvent faire comme on leur dit. Et puis bien souvent, c’est simplement du vandalisme, le produit de l’ennui, du manque de perspectives.

Sous pensons que nous devons les soutenir pour toutes ces raisons qui en font prioritairement les victimes de la société, les exploités, parce que cela n’est pas marginal, mais correspond à un phénomène de masse. Parce que c’est aussi en leur faisant d’autres propositions de changement de société, en offrant d’autres perspectives qu’ils arrêteront leurs agressions, et même qu’ils feront la police entre eux, cela s’est fait au cours de la grève de la faim, et nous avons appris que cela se fait même dans les prisons entre eux.

b) C’est cela que nous devons expliquer et défendre dans les usines, qu’en fait ce sont nos frères de classe, et qu’il vaut mieux lutter contre le responsable de leur misère et de notre exploitation, le système capitaliste, plutôt qu’entre nous, et aussi nous arriverons y compris à limiter largement tous les actes de délinquance ou vandalisme à l’égard des ouvriers.

Cette grève, qui n’a pas lieu à l’usine est malgré tout une lutte de la classe ouvrière, en quoi rejoint-elle la lutte de l’usine, l’élargit-elle ?

a) Elle pose le problème du chômage d’un point de vue chômeur et au niveau social, et pas seulement au niveau de licenciements d’ouvriers dans une usine.

b) Les grévistes avaient comme négociateurs entre autre un responsable CFDT, mais qu’a fait l’organisation CFDT dans les usines pour soutenir cette lutte, pour combattre les idées fausses chez les ouvriers, pour organiser un soutien des ouvriers aux grévistes ? En fait rien (pourtant nous pensions que par les syndicats nous pouvions toucher les pères de famille qui pour de multiples raisons n’étaient pas organisés autour des grévistes). Cela montre le véritable caractère du soutien de la CFDT.

c) Elle a posé le problème de la délinquance et du vandalisme à nouveau dans les entreprises, amenant des débats importants mais en ayant une autre base, pour pouvoir en débattre.

Ces améliorations, on ne pourra tout au plus que les arracher. Mais le problème aujourd’hui, c’est avant tout un problème de sécurité. Un problème de se protéger contre les provocations. De construire une force qui s’oppose aux volontés de faire peur, de semer la hantise des accidents, et forcer ainsi les familles à partir.

Et pour cela, il n’y a qu’une façon de faire : s’appuyer sur les prolétaires des Minguettes, sur les femmes, les jeunes, les pères. Mais cela ne se fera pas sans la construction d’une ossature un peu stable, un noyau de gens décidés justement à organiser la riposte, la mobilisation en cas d’intervention. Et qui, pour organiser, prennent en mains le travail de discussion, de réflexion, de propositions en s’appuyant sur la force formidable qui existe dans la mobilisation de tout le quartier.

En quoi cette grève de la faim est-elle différente de celle menée déjà il y a 2 ans sur les problèmes des jeunes ?

a) Elle n’a pas les mêmes objectifs.

b) Elle est aussi une continuation, mais aussi un immense pas en avant, d’abord et surtout parce qu’elle est faite, prise en main complètement par des jeunes eux-mêmes, au milieu de leurs copains, de leurs familles, dans leur quartier.

c) Cependant, avec la grande influence du prêtre et des militants autour de la 1ère grève, une lutte a lieu autour de cette grève : soit une mobilisation de masse pour soutenir et développer les idées de la grève, soit tout autre de centrer le soutien autour de personnalités, de la presse, etc... Apparemment c’est cette ligne qui l’aurait emporté momentanément.

Depuis 1981, les autorités ont encore mis sur le quartier plus d’éducateurs, de travailleurs sociaux. Quelle a été au cours de cette grève leur rôle, leur place ?

La grève de la faim s’est organisée sans les travailleurs sociaux et curieusement d’ailleurs cela a désarçonné pas mal de monde. Tous ceux qui passent leur temps à dire « il faut que ces gens-là se prennent en mains » ont senti qu’ils étaient en quelque sorte superflus, ou impuissants. Au fond, la seule assistance dont ces jeunes ont besoin c’est d’une aide politique et militante pour mener à bien leur lutte. Alors là aussi il y a deux lignes. Certains travailleurs sociaux, éducateurs, se sont mis résolument du côté des jeunes. Mais la grosse majorité a refusé. Au point de ne pas signer la moindre pétition de soutien. Souvent employés par la mairie PC, liés à elle par mille liens (économiques et idéologiques), ils ont en fait été contre le mouvement.

Comme quoi appeler « les gens à se prendre en mains », « refuser le statut d’assisté » comme souvent le font les bureaucrates syndicaux, c’est au fond du pipeau. En fait tout est fait pour continuer à les assister, à empêcher leur organisation, et souvent à s’opposer, car lorsqu’ils font quelque chose c’est sur des bases de classe qui s’opposent complètement aux bases qui leurs sont offertes.

Quelle a été le plus ferme soutien aux grévistes ?

Les mères, les femmes, les sœurs.

Les mères se sont mobilisées pour soutenir « leurs petits ». Et il faut prendre ici l’expression au sens large. « Ces enfants sont nos enfants » écrivent les femmes d’un quartier voisin aux mères des grévistes de la faim. Et elles sont fières de leurs enfants qui relèvent la tête. Elles voient bien que ce n’est que par leur lutte qu’il y a espoir d’autre chose.

Autre chose que la misère, les parloirs des prisons qui font partie maintenant de leur vie. Autre chose que la honte de devoir au fond accepter que leurs fils piquent de temps en temps pour finir les fins de mois.

Alors elles les soutiennent, même si au fond elles ont la peur au ventre. Au sens propre. Il y a eu une fausse couche le 21. L’une d’elles raconte que la seule vue des flics lui fait venir les règles. Mais on ne peut pas laisser massacrer ces jeunes, leur barrer tout avenir.

Elles commencent à se réunir entre elles.

Elles s’organisent, veulent que les poursuites contre les jeunes s’arrêtent. Elles parlent de paix, de retour au calme. Mais aussi de ce qu’il faudrait faire quand ça va recommencer.

Car il est évident pour tout le monde que ça va recommencer, il suffit de voir les rondes de police, les arrestations de jeunes, les tabassages systématiques dans les commissariats...

Alors maintenant, comment continuer ?

La grève a fait avancer la conscience de beaucoup : il ne s’agit pas seulement du refus violent et sporadique de la misère. Il y a eu un début de réflexion sur ce qu’on veut, ce qu’il faut faire. Ras le bol d’être chômeur, ras le bol de vivre dans cette ZUP pourrie.

Oui mais ce qu’on veut c’est y rester dans cette ZUP qui est notre seul « chez nous » rester dans cette ZUP, mais la transformer.

Travailler oui. Même si le refus de l’usine, cette forme-là de travail, est très présent.

Comment ? En construisant une force de refus. On a appris entre deux déclarations des « élus » qu’en fait il y avait des fonds destinés à améliorer l’habitat à Vénissieux et dans la banlieue lyonnaise, mais que ces fonds sommeillaient dans les caisses par manque de « propositions ». Traduisez : les municipalités de « gauche » ne veulent rien améliorer, pour dégoûter tout le monde et se débarrasser des « familles lourdes », des « familles à problèmes » et ensuite ouvrir ses portes à d’autres couches et classes sociales.

Ces améliorations, on ne pourra tout au plus que les arracher. Mais le problème aujourd’hui, c’est avant tout un problème de sécurité. Un problème de se protéger contre les provocations. De construire une force qui s’oppose aux volontés de faire peur, de semer hantise des accidents, et forcer ainsi les familles à partir.

Et pour cela, il n’y a qu’une façon de faire : s’appuyer sur les prolétaires des Minguettes, sur les femmes, les jeunes, les pères. Mais cela ne se fera pas sans la construction d’une ossature un peu stable, un noyau de gens décidés justement à organiser la riposte, la mobilisation en cas d’intervention. Et qui, pour organiser, prennent en mains le travail de discussion, de réflexion, de propositions en s’appuyant sur la force formidable qui existe dans la mobilisation de tout le quartier.

En nous concentrant dans ces cités maudites, la bourgeoisie tente de nous contrôler, de nous isoler. De tout temps ça a été son souci. Mais de tout temps aussi ça a été sa hantise : si on éloigne les prolétaires des centres bourgeois, si on les concentre, on risque justement de voir cette concentration se retourner contre les bourgeois. Les bidonvilles du temps de la guerre d’Algérie étaient des sanctuaires. Et les rues d’Alger, il a fallu la torture, et le combat au corps à corps pour arriver à s’en emparer, provisoirement.

La grande force des concentrations ouvrières, malgré tous les flics, elle existe.

La crise en fait des poudrières. Mais une seule explosion ne suffit pas. Il s’agit maintenant d’organiser cette révolte. De la forger, de la construire. Sans ce travail, le désespoir et l’absence de perspectives réelles ne pourront conduire qu’à l’amertume et au désespoir. Et ceux qui n’auront pas su aider ces jeunes, à les conduire vers plus d’espoir, seront balayés.

Il y a beaucoup à faire et à apprendre aux Minguettes...

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