Approfondir > Iran : pays semi-féodal ?

Iran : pays semi-féodal ?

Partisan Magazine N°22 - Décembre 2023

Nous avons interviewé également une autre militante iranienne, à propos de l’Iran, des classes et des tâches de la révolution.

Que peux-tu dire de l’Iran aujourd’hui ?

Quand on parle de l’Iran en France, souvent on imagine un pays arriéré, de montagnards et de paysans, il y a beaucoup de condescendance à l’égard du peuple iranien, c’est très propre à un pays impérialiste. Rien n’est plus faux. L’Iran est un pays riche et moderne, développé, relativement autonome économiquement grâce au pétrole et au gaz (l’énergie domestique était pratiquement gratuite, comme les transports intérieurs). Il y a une industrie lourde avec la sidérurgie à Ispahan, la pétrochimie à Chiraz, la sidérurgie du cuivre et de l’aluminium, l’énergie, l’industrie automobile, une industrie plus légère comme le textile. Et puis bien sûr l’industrie nucléaire, l’industrie de l’armement (la fourniture de missiles Shahed ou d’obus à la Russie contre l’Ukraine). De très nombreux cadres ont été formés à l’étranger et sont rentrés après la révolution de 1979.
Le niveau d’éducation est très élevé (60% des femmes ont un niveau universitaire) et complètement autonome - Maryam Mirzakhani a par exemple reçu la médaille Fields de mathématique en 2014 après un cursus complet en Iran. C’est un phénomène qui s’est même accentué sous la République Islamique, c’est une demande sociale très forte. L’Iran est une très vieille civilisation, bien plus vieille que les Grecs et les Romains…

Alors est-ce correct de dire que l’Iran est un pays semi-féodal ?

Non, je ne pense pas qu’on peut dire ça. La classe ouvrière représente 25% de la population active, elle est très active socialement et politiquement avec de nombreuses grèves, la paysannerie seulement 16%, le commerce et l’artisanat environ 50%. Comme dans beaucoup de pays, la classe ouvrière vient de la paysannerie appauvrie, qui travaillait chez les grands propriétaires fonciers.
Avec Truman aux USA en 1962, l’agriculture a été profondément transformée dans de nombreux pays, dans l’Iran du Shah ça a été la « révolution blanche » avec la soi-disant révolution agraire. Certains grands domaines ont été démantelés (c’est à cette époque que Khomeiny, qui était un petit féodal, a perdu ses terres), le capitalisme a pénétré le monde agricole et de nombreux propriétaires fonciers féodaux en ont profité pour se moderniser. Les paysans ont quitté les villages et sont venus s’installer dans des bidonvilles, dans les banlieues des grandes villes, pour servir de main d’œuvre à l’industrie en plein développement. C’est le même phénomène qu’il y a eu à la fin du XIXème siècle en Europe.

Mais la population active officielle (27,5 millions de salariés) ne représente que 34% de la population (44% en France). Bien sûr, il y a la jeunesse de la population, pour laquelle les parents se sacrifient pour que leurs enfants fassent de grandes études. Mais en plus, le secteur informel est très important, surtout des femmes précaires, qui survivent par des petits boulots, et le chômage aussi est important, près de 14% des salariés.
Donc je pense que c’est vraiment un pays capitaliste.
Il y en a même parmi les militants qui considèrent que ça pourrait être un pays impérialiste lui-même, vu les intérêts en Afrique, les exportations etc. Mais c’est en discussion.

Mais quand même les mollahs, le poids de la religion ?

C’est une apparence fragile. C’est le carcan idéologique mis en place pour contrôler la société, mais c’est très lié au pouvoir économique. Les Gardiens de la Révolution (Pasdarans) sont directement les milices de la grande bourgeoisie iranienne, financés et armés par elle pour défendre son pouvoir. C’est un pays d’oligarques, comme la Russie ou d’autres pays.
Il suffit de voir l’importance du soulèvement « Femmes, Vie, Liberté » pour comprendre que le rôle de l’islam chiite est au fond faible, même s’il s’impose comme un verrou sur toute la société. Quand on considère qu’une femme ne « vaut » que la moitié d’un homme (jusqu’à son salaire !!), dans un pays développé comme l’Iran, forcément ça intéresse la bourgeoisie et le gouvernement, mais forcément ça explose.

Et les relations avec l’étranger, avec les puissances impérialistes ?

L’Iran était très lié aux USA et à l’Europe (Renault avait des usines, Total était présent jusqu’en 2018, donc bien après la révolution de 1979… pour ce qui est de la France). A la suite du blocus et des sanctions, il s’est tourné vers l’Est, la Russie et la Chine, mais il conserve une autonomie importante, même si les sanctions pèsent sur la vie économique – d’ailleurs surtout sur le peuple.
De toutes les façons, la bourgeoisie iranienne est une bourgeoisie bureaucratique, pas du tout une bourgeoisie nationale anti-impérialiste. Que les sanctions se lèvent et elle s’intègrera immédiatement dans le système impérialiste mondialisé, pour en tirer le maximum de profits à son compte, en s’alliant avec telle ou telle grande puissance, selon les rapports de force mondiaux du moment. C’est d’ailleurs ce qui se passe en ce moment avec la Russie et la Chine.

En fait, ce qui manque en ce moment, c’est une analyse de classe approfondie de l’Iran d’aujourd’hui. C’est un pays capitaliste, mais il reste des tâches démocratiques, antiféodales, anti-impérialistes qu’il faut articuler avec une révolution sociale. C’est un peu l’effervescence en Iran, et c’est vrai qu’il faut construire une alternative maoïste.

Soutenir par un don