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L’accord « croato-musulman » c’est le partage ethnique de la Bosnie

Partisan N°89 – Avril 1994

Nouvel accord en Bosnie, cette fois sous l’égide des Etats-Unis : va-t-on enfin arriver à un accord, même partiel, un début de solution en mettant déjà d’accord deux des trois protagonistes ? Le débat est chaud, en particulier chez nos camarades bosniaques en France.

Un accord qui ne règle rien

Cet accord pour une fédération croato-musulmane en Bosnie n’a en fait rien d’une solution. Relevons-en quelques termes : une présidence tournante alternée croate et « musulmane ». Un quota minimum de ministres et de députés croates à l’assemblée. La nomination des juges sur une base ethnique paritaire… Bref, il s’agit ni plus ni moins d’une définition ethnique du pouvoir au niveau de l’appareil d’Etat.
Cet accord exclue tous les bosniaques qui ne se définissent ni comme croates, ni comme musulmans. Qu’ils soient Serbes, Hongrois, Juifs, athées ou n’importe quoi, ils n’ont plus voix au chapitre.
Cet accord va renforcer le courant nationaliste en Bosnie, puisqu’il va falloir maintenant organiser la définition officielle de la nationalité de chacun. Avec des commissions tristement célèbres… dont la tâche sera particulièrement ardue avec les multiples couples mixtes (sur plusieurs générations successives !)
Cet accord exclue les Serbes et favorise donc par définition tous les projets des nationalistes serbes, en particulier celui de la Grande Serbie rattachant les zones qu’ils contrôlent à la Serbie. Il entérine donc l’éclatement de la Bosnie.
Cet accord n’a rien à voir avec la Bosnie multiculturelle que nous défendons, au contraire même. Il officialise la partition, il officialise le nationalisme. Une telle polarisation ne peut évidemment conduire qu’à de nouveaux affrontements, à l’image de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie ou du Liban confessionnel. Imaginons un instant un Croate officiel condamné par un juge officiellement musulman (ou l’inverse…).

Izetbegovic démasqué

Le gouvernement bosniaque a signé cet accord. C’est grave, mais cela a au moins un avantage : celui de lever le voile sur les prétentions multiculturelles et multiethniques de Izetbegovic. Cela montre que ce n’était pour lui que des discours destinés à obtenir le soutien de l’Occident, c’est plus présentable que le « nettoyage ethnique » à la sauce nationaliste serbe ou croate. Quant à l’opinion de la population bosniaque, il s’en moque.
Izetbegovic revient à ses amours, la politique de son parti nationaliste musulman, le SDA. C’est le retour aux élections de 1990 où les trois partis nationalistes s’embrassaient pour fêter leur victoire commune sur l’ancien régime… On a vu ce que cela donnait !

 

Nous défendons un principe démocratique de base, l’égalité des droits politiques et sociaux, indépendamment de l’origine ethnique ou raciale. Nous ne pouvons donc pas défendre le gouvernement bosniaque. Au contraire, nous devons défendre tous ceux qui en Bosnie persistent à se revendiquer d’une société véritablement multiculturelle et qui aujourd’hui sont des opposants à Izetbegovic et au SDA.

Soutenir l’opposition démocratique et de classe

Qui sont ces opposants ? D’une part tous ceux qui à Sarajevo, Mostar, Tuzla ou ailleurs se battent à leur échelle comme ils peuvent (mais sans concession) contre le nationalisme : artistes, enseignants, intellectuels, responsables politiques…
Et puis il nous faut défendre le secteur le plus avancé de cette résistance, le mouvement ouvrier de Tuzla et de sa région. Les ouvriers n’ont pas d’intérêt à défendre, ils n’ont que leur force de travail, ils ne sont pas non plus liés à la terre comme les paysans. Les mineurs d’origine croate, serbe, musulmane ou autre travaillent et luttent ensemble depuis des années contre l’exploitation des bourgeois (également croates, serbes ou musulmans). Ils ont en plus une riche expérience de solidarité internationale. Cela ne veut pas dire qu’ils soient insensibles au nationalisme, simplement qu’ils forment la base la plus solide pour y résister. A l’heure de l’accord accepté par Izetbegovic, la région de Tuzla est un obstacle majeur à la partition. On peut imaginer que c’est maintenant là que vont se concentrer les attaques pour faire plier cette résistance ouvrière au nationalisme et au chauvinisme. D’où l’importance de ce soutien.

 

A.Desaimes

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