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Document : Comités d’entreprise et bureaucratie ouvrière en 1953

Cause du Communisme N°4 - 3ème trimestre 1981

AVANT PROPOS

Le texte que nous publions ci-dessous est extrait d’une intervention d’Auguste LECOEUR, secrétaire à l’organisation du PCF, lors de la Conférence Nationale de ce parti des 5 et 6 Mars 1953. L’intervention est rapportée dans le n° spécial des Cahiers du Communisme de Mars 1953.

Dans son rapport, LECOEUR critique durement les pratiques de collaboration de classe au sein des Comités d’Entreprises. A juste titre. Mais à qui la faute ? Comment s’étonner que des délégués ouvriers dînent à la table du patron, « remercient la direction », acceptent les licenciements, les sanctions ou encore « offrent un cadeau au patron » alors que c’est précisément avec la bénédiction du PCF qu’en 1946, de Gaulle a institué les CE pour éviter que se multiplient et pour vider de tout contenu subversif les conseils d’usines imposés à la Libération par la force armée ouvrière ? N’est-ce pas M. THOREZ qui, saluait dans son discours de Waziers le 21 Juillet 1945, devant les mineurs de charbon « le sacrifice de (vos) camarades de la métallurgie qui viennent de re¬noncer à leurs vacances payées pour fabriquer des marteaux-piqueurs » (Œuvres Choisies, Ed. Sociales, T2, p.393), qui proposait de « généraliser les 3x8, deux postes au charbon, le troisième au remblai » (idem p.395), qui menaçait les mineurs « il y a des causes de mécontentement mais ce n’est pas une raison pour ralentir l’effort » (p.396) ou encore qui se plaignait « on s’absente trop facilement pour un oui ou pour un non et un mineur qui a le goût de son métier sait très bien que tant d’absences entraînent une désorganisation complète du travail... c’est un scandale » ? Oui, c’est bien les dirigeants du PCF qui avaient tracé la voie de la collaboration de classes.

Ce texte illustre d’une façon saisissante ce que Lénine disait du double caractère de la réforme : « Toute réforme pour autant qu’elle en soit une (et non une mesure rétrograde conservatrice) marque un pas véritable, une étape vers quelque chose de mieux. Mais toute réforme dans la société capitaliste a un caractère double. La réforme est une concession faite par les classes dirigeantes pour retenir, affaiblir ou étouffer la lutte révolutionnaire, pour diviser la force et l’énergie, pour obscurcir la conscience des classes révolutionnaires... » (OC T12, p.135). C’est suivant l’exempte de leurs dirigeants, dans ce piège que sont tombés et que tombent encore aujourd’hui nombre d’ouvriers sincères, combattifs, bien intentionnés et qui se transforment progressivement, sans ferme soutien idéologique et politique révolutionnaire, en bureaucrates, serviteurs du patron. C’est dans ce genre de nid douillet qu’éclosent et se multiplient les bonzes révisionnistes.

Aujourd’hui, à l’heure où nombre de camarades de travail s’in¬terrogent sur les causes et la signification politique de l’attitude du PCF et de la CGT, particulièrement leur volte-face après le premier tour des élections présidentielles, nous devons intensifier nos efforts pour révéler, faits à l’appui, la véritable nature bourgeoise, réformiste de ces organisations, de leur ligne politique en rapport avec le statut social de la masse d’ouvriers planqués et dégénérés qui en constituent l’ossature.

Les Comités d’entreprise doivent rendre
plus facile la défense des revendications.

Le comportement du comité d’entreprise et des délégués de chez Sartiaux doit sérieusement attirer notre attention sur l’utilisation par le patronat et l’Etat-patron de certaines dispositions de la législation sociale.
Il ne s’agit pas ici d’une exception.

Le journal d’entreprise des Etablissements Gaillard à Rouen, auquel participe le comité d’entreprise, est rédigé par la direction.
Voici un procès-verbal de la réunion du comité d’entreprise, je cite :
« Le comité d’entreprise s’est réuni. Dès l’ouverture de la séance, le directeur passe la parole à un conférencier :
Celui-ci - est-il écrit - nous emmène sur un rythme allègre en Amérique où il a étudié sur place le grand problème de la productivité, le climat social et les rapports entre patrons et ouvriers. Une conclusion s’impose, celle qui dicte la vie aux USA : produire vite et bien avec un prix de revient minimum »
.
Dans une autre réunion, il est dit que le comité est informé que les ouvriers étrangers ont été débauchés. Aucune remarque du comité.
Enfin, un autre procès-verbal signale qu’un membre du comité d’entreprise prend la parole pour signaler - et je cite - : « le manque de confiance des ouvriers envers leurs délégués. »
Il est bien évident qu’avec un tel comportement, c’est le contraire qui serait étonnant.

Chez Godin, à Guise, dans l’Aisne, la société a réalisé d’importants bénéfices dans ces dernières années :
  de juin à septembre 1951, le prix de vente des appareils a augmenté de 37,33 % ;
  de 1946 à 1953, l’augmentation du prix des cuisinières a été de 213% ;
  pourtant, aucune augmentation de salaire n’a été accordée aux ouvriers depuis septembre 1951.
En juillet 1952 : premiers licenciements, et chômage partiel pour une grande partie des ouvriers qui travaillent 15 jours par mois.
L’Union syndicale des métaux fait un tract contre ces licenciements en dénonçant la direction et la politique gouvernementale.
Les délégués refusent de distribuer ces tracts (prétexte il y a de la politique).
Fin février 1953 : deuxièmes licenciements.
Les délégués, sauf un, acceptent, signent, et expliquent la position patronale en parlant des difficultés de l’entreprise.

A l’usine du Saut-du-Tarn, à Saint-Juéry (Tarn), cent ouvriers sont menacés de licenciements.
Un camarade membre du Bureau fédéral et du comité d’entreprise déclare à la réunion qu’en principe « nous sommes contre les licenciements », mais il admet les licenciements en expliquant qu’il faut tenir compte de la situation des ouvriers pour les licencier.

Aux Etablissements Gonroy, à Lépanges (Vosges), la direction décide de mettre 84 ouvriers au chômage.
Le comité d’entreprise, après une protestation pour la forme, accepte la décision patronale, qui est appliquée.

Chez Monneret, à Saint-Claude (Jura), à l’issue d’une grève de 8 jours, un communiqué commun signé par le directeur et les délégués ouvriers est envoyé à la presse.
Dans ce communiqué, les délégués reconnaissent :
  la bonne foi de la direction qui a, soi-disant, toujours payé régulièrement ’les heures supplémentaires ;
  le manque d’habileté de 6 ouvrières, ce qui justifie leur diminution de salaire.

Aux Forges d’Hennebont (Morbihan), le comité d’entreprise a approuvé au vote secret les propositions de licenciements du natron sur la base du choix entre les situations de famille.

A l’usine Maître, à Annemasse (Haute-Savoie), les délégués donnent leur accord pour le renvoi des femmes mariées.

Chez Hutchinson (Loiret), les délégués acceptent les propositions de la direction pour « lutter contre l’absentéisme ». Or, les femmes de cette entreprise sont fréquemment obligées de manquer leur travail parce qu’elles sont intoxiquées.

A l’Idéal-Standard, à Aulnay (Seine-et-Oise), les délégués au comité d’entreprise, sauf un, invitent le patron à l’Arbre de Noël et se font photographier avec lui. Le patron, seul, fait un discours.

Aux Transports de Nice et du Littoral, une grève est votée à l’unanimité pour la défense des revendications et la libération d’Alain Le Léap et des autres emprisonnés. Au journal le Patriote, où les délégués portent le communiqué, les responsables du bureau du syndicat font supprimer le passage concernant Le Léap et les emprisonnés « pour ne pas politiser la grève », disent-ils.

A l’usine Lafarge, à Conte, un banquet annuel est donné par le patron, les délégués syndicaux y assistent.

Aux piles Leclanché, à Chasseneuil-du-Poitou, le secrétaire du syndicat, membre du comité d’entreprise, déclare que le directeur est « un bon patron » et que les primes arrachées par les ouvriers sont le résultat de sa bonté.
Avant de poser les revendications, il s’informe « si le prix de revient le permet ». Et il accepte les licenciements.

A la communauté Boimondeau, à Valence (Drôme), les camarades acceptent le refus patronal d’embaucher des ouvriers parce que militants communistes. Un membre du Parti, chef du service social, fait renvoyer un ouvrier parce que, dit-il « il ne satisfait pas à l’esprit de la maison ».

A l’usine de nougat « le Canard Sauvage », à Loriot (toujours dans la Drôme), c’est le secrétaire de section qui explique les difficultés du patron.

Dans les Basses-Pyrénées, à l’usine Turboméca, au cours d’un match de football entre ouvriers, un membre du Parti invite le patron à présider le match et il explique : « Il faut savoir s’y prendre avec le patron ».

Dans le même département, chez Saint-Frères, un camarade du Parti, secrétaire du comité d’entreprise, désigne lui-même les ouvriers à licencier.

Dans l’Orne, à l’entreprise Cégédur, à Laigle, 200 licenciements sont prévus. Les délégués au comité d’entreprise (dont 2 membres du Parti) discutent des licenciements avec le patron, choisissant entre pères de famille et célibataires, entre vieux et jeunes, etc.

Chez Ducellier, à Issoire (Puy-de-Dôme), 200 ouvriers et ouvrières sont licenciés sans lutte : les licenciements ont été acceptés par le comité d’entreprise comprenant des membres du Parti.

Aux ateliers mécaniques du Centre-Clermont, 50 ouvriers et ouvrières licenciés, licenciements acceptés par le comité d’entreprise.

A l’usine Montupet, à Ussel (Corrèze), une quarantaine d’ouvriers sont licenciés. Le secrétaire du comité d’entreprise, membre du bureau syndical, accepte de dresser la liste des licenciés qu’il choisit parmi les semi-paysans et les étrangers.

Le secrétaire du syndicat « Source Perrier », dans le Gard, se refuse à distribuer un tract de l’UD et le porte au directeur.

A la Compagnie Française des Métaux, à Castelsarrazin, dans le Tarn-et-Garonne, la direction envisage le licenciement de 100 ouvriers parmi lesquels 63 de plus de 65 ans, nos camarades admettant le principe que soient licenciés par priorité les vieux.

A Chedde, filiale de Péchiney dans la Haute-Savoie, licenciements également acceptés sur la base de la discrimination familiale.

A l’usine textile Schappe, dans l’Ain, les délégués CGT (sauf un) votent les licenciements.
C’est un délégué CGT qui annonce les renvois aux licenciés.

Chez Delle, à Belfort, le patron édite une revue Reflets. Dans le dernier numéro, on rend compte de la « cérémonie pour les médaillés ».
Le secrétaire du syndicat prononce un discours, il remercie la direction, non seulement pour les médaillés, mais pour ce qu’elle fait en faveur des ouvriers. Le patron répond, se félicitant de l’accord complet avec la direction du syndicat, tutoie le secrétaire du syndicat, le remercie pour son concours particulièrement précieux.

A l’entreprise « La Colle », de l’Isle-sur-Sorgues, dans le Vaucluse, un délégué au comité d’entreprise rédige la liste des licenciements avec le patron.

A l’Alfa, à Sorgues, le patron établit la liste des licenciements de 36 ouvriers. Le délégué CGT approuve la liste et il y ajoute d’autres noms en expliquant : « Ils ont déjà une retraite ».

Aux balances Testut en Seine-et-Oise, tous les ans les délégués offrent un cadeau au patron.
Cette année, le patron leur a suggéré par l’intermédiaire de son fils de lui offrir son propre buste, ce qui a été fait.

Nous pouvons arrêter là ces exemples.
Nous en avons des milliers. J’ai simplement voulu en citer un seul par département, de crainte que cela ne soit fastidieux.
Améliorer les rapports du Parti aux entreprises exige donc et de toute urgence de mettre en place les cellules d’entreprise, les faire poser les problèmes politiques, orienter l’activité sur les positions de classe, combattre les fautes opportunistes et dénoncer les cas de corruption.
Dans cet ordre d’idées, les comités d’entreprise devraient rendre plus facile la défense des revendications des droits ouvriers, et la lutte contre le patronat et l’Etat-patron.
Mais lorsque le patron dirige le comité d’entreprise, directement ou par l’intermédiaire de ses membres ouvriers, ils deviennent entre ses mains des armes efficaces de corruption des militants et de démoralisation de la classe ouvrière.
De même, les nationalisations entre les mains d’un gouvernement démocratique sont des réformes favorables à la classe ouvrière.
Entre les mains d’un gouvernement réactionnaire, elles deviennent des instruments d’oppression et de répression des travailleurs.
Ceci est à peu près clair pour tout le monde, sauf dans certaines catégories de la SNCF et de l’EDF, où des illusions persistent encore, où l’on n’est pas encore convaincu que, selon l’enseignement marxiste : « L’Etat bourgeois est un comité d’administration des affaires de la bourgeoisie ».