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Même patron, même combat ?

Depuis des décennies, le mot d’ordre « Français, immigrés : même patron, même combat ! » est repris dans les manifestations, comme il l’était d’ailleurs par le PCF ou les groupes d’extrême gauche dans les années 1970. Voie Prolétarienne dès sa création avait souligné qu’il limitait la solidarité entre travailleurs français et immigrés à « la lutte économique, au combat gréviste contre le patron » [1]. Notre organisation affirmait alors que cette solidarité était basée « sur une réalité plus profonde », car « ouvriers français et immigrés, nous avons un même ennemi : l’impérialisme. Et un même but, un même combat : son renversement ».

Ne pas limiter la solidarité à la lutte économique !

Il est certain que pour des ouvriers de nationalités différentes, travailler dans les mêmes ateliers, subir les mêmes conditions d’exploitation, être confrontés à la même domination dans l’usine, sont des conditions qui favorisent leur rapprochement et contribuent à faire tomber des préjugés. Même des travailleurs peu avancés politiquement comprennent que face à leur patron, l’unité de tous les travailleurs de l’usine, est nécessaire pour le faire reculer par la lutte notamment syndicale. D’ailleurs dans les années où le PCF était encore la force principale dans les usines, il s’employait à organiser les travailleurs immigrés dans la CGT et même en son sein, là où les ouvriers étrangers étaient nombreux. Sans cela il n’aurait pu prétendre à être le « Parti des ouvriers ».

Pour autant, si le PCF affirmait que Français et immigrés formaient la même classe dans l’usine, sur le plan politique, contre l’Etat et contre l’impérialisme, cette unité n’existait plus. Le PCF cherchait l’unité des Français et des immigrés dans la lutte syndicale, mais organisait leur division dans le combat politique. Cette division chauvine s’exprimait de plusieurs façons.

Le PCF : une unité économiste compatible avec le chauvinisme.

Le PCF refusait d’accorder des droits politiques en France aux travailleurs étrangers, considérant qu’ils n’étaient « que de passage », et que seuls les travailleurs français devaient décider de l’avenir de leur pays par le vote. Les ouvriers étrangers devaient voter dans leur pays, où ils étaient appelés à retourner. Ce n’est qu’en 1985, que le PCF, constatant l’importance de la jeune française d’origine immigrée et l’installation durable de leurs parents que par opportunisme, accepta le principe du vote de tous étrangers aux élections locales.

Si dans les années 1970, à l’usine le PCF cherche à unir les ouvriers français et immigrés, dans les communes qu’il dirige alors, il les oppose. Constatant la concurrence entre ouvriers dans l’attribution des logements et les réactions chauvines, voire racistes, de certains ouvriers français, aggravées par les difficultés de vie dans les cités populaires, il adopte une politique de « quota » dans l’attribution des logements. Il s’oppose alors à l’installation d’immigrés dans les communes qu’il dirige. Il cherche ainsi à gagner les ouvriers les moins avancés. En décembre 1980, la fédération communiste du Val de Marne saccagea un foyer de Vitry pour y empêcher l’installation de travailleurs maliens, la municipalité voulant y loger des jeunes travailleurs français.

Reprenant à son compte la vieille politique réformiste de la SFIO, le PCF réclamait encore dans les années 1970, comme il le fait toujours, la fermeture des frontières, « pour protéger les travailleurs Français ». Il présente alors systématiquement l’immigration « comme un problème » comme le font aujourd’hui tous les partis bourgeois.

La solidarité de classe internationaliste est une question politique !

S’il est plus facile d’organiser l’unité de la classe ouvrière dans la lutte économique de boite, ce n’est pas le cas dans la lutte politique contre l’État et l’impérialisme français. La solidarité de classe internationaliste ne va pas de soi lorsque, comme lors de la lutte de libération nationale algérienne, la majorité des ouvriers français, en dépit de leur hostilité à la guerre, considèrent néanmoins les Algériens comme des « ennemis ». L’unité de classe ne pouvait se faire que contre le colonialisme français. Elle ne se fit pas ainsi, même si des militants ouvriers, y compris du PCF, adoptèrent une attitude et des pratiques internationalistes, en dépit des consignes de leur Parti [2]. Le PCF préféra appeler « à la Paix », dans « l’intérêt de la France » [3] que de soutenir la revendication d’indépendance du peuple algérien [4].

Comme les ouvriers algériens se détournaient du PCF, ce dernier essaya de maintenir une « unité » en engageant ses militants à défendre les intérêts économiques et les revendications catégorielles des ouvriers algériens. Mais ces ouvriers ne se battaient pas pour l’égalité des droits [5] dans une France coloniale, mais pour gagner l’indépendance de leur pays contre le colonialisme français.

Le problème est toujours actuel. Construire l’unité de la classe est toujours difficile, même si les conditions politiques ne sont pas aussi tendues que lors de la guerre d’Algérie. Alors, il est tentant de penser que l’on peut contourner le problème en avançant des arguments économiques aux relents chauvins. C’est le cas par exemple dans la lutte pour la régularisation de tous les sans papiers. Nombreux sont les soutiens qui cherchent à la motiver en prenant argument que ces travailleurs sont nécessaires à l’économie française, qu’ils paient leurs impôts, et que s’ils étaient régularisés, ils contribueraient encore plus au financement des budgets sociaux… Bien peu de soutiens fondent leur argumentation sur les intérêts communs à tous les ouvriers dans la lutte contre la bourgeoisie, son Etat et l’impérialisme français. Toutefois l’expérience a montré que les raisonnements économistes et chauvins ne sont guère efficaces et détournent de la mobilisation des autres exploités en privilégiant la petite bourgeoisie plus sensible à ces arguments.

En conclusion :

L’unité de la classe ouvrière ne peut se faire que dans la lutte politique contre l’Etat et l’impérialisme français. Cette unité peut s’appuyer sur les solidarités qui se construisent dans les ateliers, mais elle se fait néanmoins à contre courant de l’idéologie dominante dans la classe ouvrière, marquée par les préjugés chauvins entretenus par la bourgeoisie, ses dirigeants politiques, de droite comme de gauche. Pour faire cette unité, il est nécessaire de faire reculer ces préjugés chauvins ou racistes, mais surtout d’organiser l’unité dans la lutte commune contre l’Etat et l’impérialisme français, qui sont aussi des suppôts des régimes les plus réactionnaires (Afrique, Egypte, Arabie saoudite, Israël). Enfin, la lutte contre l’impérialisme ne peut construire l’unité de tous les prolétaires du prolétariat multinational de France, qu’en soutenant les ouvriers étrangers et leurs peuples dans la lutte contre ces régimes oppresseurs à la solde de cet impérialisme.

[1Pour le Parti n°10 et 11 septembre et octobre 1977

[2Le PCF condamnait tout soutien au FLN.

[3Un des arguments avancés par le PCF était que l’Algérie indépendante serait un débouché pour l’économie française.

[4Jusqu’en 1956, c’est-à-dire avant la mobilisation massive des soldats, des tracts PCF dans les usines où travaillent des Algériens font état de la légitimité de la revendication d’indépendance. Ce n’est plus le cas, lors les fils d’ouvriers ou de paysans sont massivement engagés dans cette guerre. Deux millions de jeunes, principalement des prolétaires seront mobilisés pendant les 8 années de guerre. 30.000 sont morts. Coté Algériens, le nombre de morts du fait des combats et de la répression, n’est pas de 1,5 millions comme affirmé mais intérieur à 500.000 (les attributions de cartes de fils de martyrs ou d’anciens combattants en Algérie sont intérieures à 300.000). Ce qui est de toute façon énorme pour une population algérienne de 9 millions de personnes.

[5Les ouvriers algériens étaient alors considérés comme des Français et à ce titre pouvaient dans les élections professionnelles ou politiques voter comme les autres. Mais ils supportaient néanmoins des discriminations en matière de droits sociaux lorsque leurs familles ne résidaient pas en France métropolitaine (Allocation familiales par exemple).

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