Approfondir > Elements d’analyse du mouvement citoyen Y’en A Marre (YEM)

Elements d’analyse du mouvement citoyen Y’en A Marre (YEM)

Partisan Magazine N°12 - Novembre 2018

Pour ne trop tomber dans une essentialisation absolue de Y’en a marre, faisons l’analyse concrète de la situation politique du Sénégal. Pourquoi ?

LES RÉALITÉS DU SÉNÉGAL ET YEM IMPOSENT UNE ANALYSE PLUS OBJECTIVE

A lire le document sur YEM, il est facile de tomber dans l’illusion que les masses sénégalaises sont montées sur la scène de l’histoire avec Y’en Marre ou en tout cas que YEM y a beaucoup contribué.

Pourtant l’article souligne que Thiat et Kilifeu ont investi le discours politique dans le rap parce que désespérés par les conditions désastreuses de Kaolack, leur ville natale. Donc, leurs conditions d’existence ont fait d’eux des rappeurs politiques de leur ras-le-bol.

Je crois aussi que ce sont ces mêmes conditions qui ont engendré les multiples luttes du peuple sénégalais : Mai 68, les grèves de 69,70,71, pour citer les plus récentes, les luttes de 2012 contre le troisième mandat de Wade, le 23 juin. Il y a aussi les luttes d’aujourd’hui : celles des populations de Bargny contre la Centrale de Charbon, de Ndayane contre l’élargissement du port de Dakar, celles des quartiers populaires contre les pénuries d’eau, des populations impactées par le TER (Train Express Régional), celles des étudiants des Universités d’une violence jamais atteinte entraînant mort d’étudiant, les luttes des paysans du Nord à qui l’Etat cherche à spolier leurs terres pour l’agrobusiness, etc. Chaque jour, des populations barrent une route nationale avec des brassards rouges pour réclamer eau ou électricité.

Il faut remarquer que je n’ai pas cité les luttes des partis étatiques de l’opposition pour contraindre le Parti-Etat du Président Macky Sali à lâcher du lest, à élargir l’espace de démocratie bourgeoise parce que leur seule revendication est des élections libres. En fait, ce sont des luttes de partis se positionnant pour une meilleure offre de la gestion bureaucratique bourgeoise de l’Etat. Ces luttes nous importent peu. Donc YEM n’est qu’une des multiples formes organisées de la révolte contre le régime pourri, clientéliste, gabegique de Wade. Il est né en 2011 pour se formaliser dans le vaste mouvement de luttes contre le vote de révision de la constitution, le 23 Juin 2011, pour faire élire Wade dès le premier tour. L’impact de YEM sur le soulèvement n’est pas avéré puisque le peuple sénégalais, particulièrement jeune, s’est forgé une expérience de luttes dans les universités, les lycées, les débordements de rue, les quartiers. Et puis, le Rubicon franchi par Wade a sonné l’appel au combat contre l’arbitraire. D’ailleurs, si deux militants de YEM (Thiat et Fou malade) ont été emprisonnés pour quelques jours, des jeunes de Colobane accusés de tuer un policier dans un car de police brûlé ont fait des années de prison même après le départ de Wade.

LE MOUVEMENT DES ASSISES NATIONALES - TRAVAIL À LA BASE / YEM - ACTIONS D’ECLAT

Le travail préparatoire pour le départ de Wade et Fils est en très bonne partie lié au Mouvement des Assises dont le principe premier était de faire émerger une gestion des affaires de l’Etat non par un régime présidentiel, genre 5ème république française, mais par un régime où l’Assemblée des députés contrebalance le pouvoirisme présidentiel. Les Assises sont nationales par ses composantes tant sociales que territoriales et internationales. Le travail des Assises avec ses chartes a marqué le paysage politique. Ce mouvement a fédéré toute l’opposition parlementariste et électoraliste et fait adhérer de larges bases par une lecture concer¬tée, consensuelle de l’état désastreux du pays pour des transformations, genre étapiste, d’une République de droit, d’une République citoyenne. Il faut noter qu’en plus des partis sociaux-démocrates ou libéraux, la base essentielle et forte est composée de partis anciennement d’obédience marxiste : Ligue Démocratique, Parti africain de l’indépendance (moscovites), YAW pour l’autonomie populaire (maoïste). Cette dynamique a été initiée par ces derniers, inscrits depuis 1981 dans l’espace électoraliste, parlementariste après l’abandon des expériences formidables de travail dans les quartiers, les usines, les écoles. Sur cette étape, YEM est quasiment absent et développe plus une activité personnalisée de leadership par des actions d’éclat. Donc, la grande bataille du 23 juin 2011 est en très bonne partie liée à ce travail de masse par les Assises, même si c’est le peuple qui est porteur de ce combat parce que c’est lui qui a affronté les barricades, d’autant plus que les responsables des partis parlementaristes ont été exfiltrés par leurs gardes du corps.

YEM ET SON PROGRAMME, SA LIGNE

Son programme est de l’ordre de la citoyenneté, de l’État républicain. Il s’agit d’une vision totalement réformiste, de ce que n’importe quel État, même le plus libéral, peut faire pour assurer sa survie et mieux camoufler les rapports de classes. Les batailles auxquelles, dit-on, YEM est associé sont des batailles d’ordre démocratique, c’est-à-dire contre le tripatouillage de la constitution, le déficit d’électricité et autres. YEM est un lanceur d’alerte pour que le pouvoir politico-bureaucratique d’affairistes et de bourgeois corrigent ses fautes sans remettre en question sa nature. D’ailleurs, leurs sorties sont liées aux espaces ouverts des élections pour une inscription massive sur les listes électorales, à un possible changement de gouvernement pour une République citoyenne.

YEM ET L’ORIGINE DES FINANCEMENTS

Pour beaucoup de gens, leur argent ne provient pas de cotisations. Certains indexent principalement la Fondation Carter, le Département américain (à l’époque par le biais de l’ambassadeur d’origine congolaise au Burkina Faso) œuvrant pour l’apaisement démocratique (le totalitarisme démocratique, c’est-à-dire élections libres, économie de marché), finançant la révolution rose en ex-Europe de l’est, et les mouvements citoyens en Afrique. Pour d’autres, les financements proviennent de l’argent de la famille Diack impliquée dans le scandale de détournement de fonds de la CIO. YEM ne reconnaît de la part de cette famille que quatre billets d’avions ???!!! La rumeur évoque aussi de l’argent reçu d’opposants sénégalais selon les circonstances (Niass du temps où il était opposé à Wade). Le texte est muet aussi sur leur rencontre avec Obama en Juin 2013 et sur le prétendu financement de la rencontre de Kinshasa par l’USAID. En tout cas, l’image que YEM donne est d’être une de ces sortes d’ONG dont les principaux membres sont des « fonctionnaires » plus ou moins bien payés. Le rap ne les rendant pas, du tout, riches.

LA SITUATION DU SÉNÉGAL ET LES FORCES RÉVOLUTIONNAIRES

Des indépendances à nos jours, le pays est entre les mains de pouvoirs corrompus au service de l’impérialisme particulièrement français. Le printemps arabe s’y est passé de 1958 à 1981. Les organisations marxistes-léninistes ont payé le prix fort des batailles pour l’ouverture démocratique totale en 1981. Et d’autant plus que ces organisations étaient dans une perspective révolutionnaire.

Mais à partir de 1981, ils sont devenus des partis électoralistes, parlementaristes, trouvant que leur réelle liaison avec les masses populaires leur donnerait le pouvoir par des élections. Le désastre a été total : plus de liaisons avec les masses dans les quartiers, les usines, l’université, et pas de gestion du pouvoir. Ainsi, ils sont devenus des faiseurs de pouvoir intégrant les gouvernements en tant que partis ou en tant que simples individus. Dans le gouvernement actuel libéral, trois anciens partis m-l sont représentés par un ministre ou un ambassadeur et une vingtaine d’ex-militants m-l sont soit ministre ou fonctionnaire très haut placé. C’est une catastrophe totale. Mais des militants s’organisent dans une organisation démocratique ou dans des structures pour célébrer Octobre 17 ou pour faire le bilan des organisations m-l, pour la refondation d’une organisation m-l, ou pour organiser les militants autour d’une sortie de l’option simplement démocratique et pour un travail révolutionnaire.

En somme, YEM est une officine de propositions au pouvoir en place corrompu, libéral, pour qu’il soit plus démocrate au moment où l’opposition ne vaut pas plus et au moment où l’opposition révolutionnaire se cherche, réfléchit et s’organise.
Les militants de la révolution doivent les prendre pour de purs réformistes qui contribuent à retarder la prise de conscience révolutionnaire, des suppôts de l’impérialisme prônant le totalitarisme démocratique dont le nom soft est démocratie.

DÉCLARATION :

• La démocratie telle qu’elle est n’est pas notre choix : elle est un totalitarisme démocratique où les masses productrices des richesses économiques, culturelles, et autres sont écartées et représentées par des députés, des fonctionnaires élus et grassement rémunérés pendant quatre ou cinq ans ou même plus.
• Notre choix est la démocratie directe, populaire, participative où les masses élaborent des politiques pour elles, décident égalitairement des richesses, du temps libre, des loisirs, réfléchissent, choisissent, élisent, contrôlent, et révoquent s’il le faut. Il faut sortir de la représentation.
• Les concepts de République citoyenne, de République de droit sont des duperies bourgeoises. Notre choix est une République socialiste populaire par des innovations, des leçons des multiples expériences que les peuples du monde ont tentées ou tentent encore pour sortir de l’économie de marché, du profit, de la marchandisation de l’humain. Il faut sortir du capitalisme.
• La politique n’existe qu’organisée : il nous faut une organisation, un Parti bâti autour du marxisme, de la liaison avec les masses fondamentales et sur la base de l’héritage de toutes les avancées théoriques et pratiques de la construction du socialisme et de son échec. La politique de ce parti a pour visée le communisme que rien ne peut ensevelir mais que nous devons faire advenir en toute conscience. Le com¬munisme est la mise en œuvre de notre capacité à l’égalité. Il existe déjà quand nous cherchons à le faire vivre dans les masses, à s’organiser sur cette idée.

Un militant sénégalais, Juillet 2018

Soutenir par un don