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Maternité et socialisme

Pour le Parti N°23 - Février 1980

"Un enfant si je veux, quand je veux" [1]... et si je peux ?

Manifestations pour le droit à l’avortement et à la contraception libres et gratuits, dénonciation publique du viol, depuis 1971 s’est développé en France, en Europe et en Amérique du Nord, un vaste mouvement revendicatif pour exiger que soit reconnue à la femme la libre disposition de son corps.

Cette vague de contestation, portée par des milliers de femmes issues de la petite-bourgeoisie n’a cependant pas gagné les femmes de la classe ouvrière. Et pourquoi ? Ne sont-elles pas celles qui plus que toutes les autres ont difficilement accès à l’information sur la contraception, qui n’ont pas de quoi se payer les avortements en clinique, qui vivent quotidiennement l’agression sexuelle dans l’usine, qui ont à endurer trop souvent la rancœur et la violence que l’exploitation patronale assène à leur mari pendant la journée.

Oui, la femme de la classe ouvrière subit de plein fouet l’oppression de la société patriarcale. Mais son oppression ne se réduit pas à celle-là, elle subit en plus l’exploitation capitaliste soit directement, soit indirectement à travers son mari si elle reste au foyer. En coupant l’oppression dans la maternité et la sexualité de l’exploitation capitaliste, le mouvement des femmes dissocie ce qui ne fait qu’un pour la femme ouvrière.

Bien sûr, il est mieux payé qu’elle, bien sûr il profite de son travail domestique bien sûr il s’impose à sa femme, mais en aucun cas il ne peut être un modèle de libération. L’aspiration à « vivre comme un homme » peut signifier quelque chose dans la moyenne ou grande bourgeoisie mais ne signifie rien que de rester dans le cercle de l’exploitation pour l’ouvrière. En outre le capitalisme ne lui laisse aucune chance de survie individuelle, d’être mère célibataire avec une paye d’OS rend de fait les conditions de vie encore plus dures. Quelques soient les aménagements, le capitalisme ne permet pas aux femmes ouvrières de disposer librement de leur corps. Dans son ensemble le mouvement féministe actuel, bien que traversé par de nombreux courants, se trompe d’objectifs et de cible, il transporte des illusions sur la situation actuelle des femmes et les voies à parcourir pour leur émancipation.

Il nous faut donc mieux comprendre quelle est la politique fondamentale de la bourgeoisie en matière de maternité, et voir dans quelle contradiction objective se trouvent les femmes de la classe ouvrière. A partir de là on pourra comprendre la nécessité du socialisme pour l’émancipation des femmes, et l’importance que cette libération effective soit réalisée pour que de plus en plus de femmes participent à la construction du socialisme, à la construction d’une société qui a comme but la libération de toute l’humanité.

LA POLITIQUE DE LA BOURGEOISIE EST-ELLE FONDAMENTALEMENT NATALISTE ?

Aujourd’hui le parlement discute de l’augmentation des allocations familiales et de la prime au troisième enfant ; Giscard, chaque année souscrit à la tradition en attribuant le prix Cognac Jay à la meilleure mère de France, mère prolifique, symbole de la France confiante ; les parlementaires bourgeois ne perdent pas une occasion pour rappeler que la place de la femme est au foyer. « La femme doit être l’âme du foyer. Comment peut-elle le rester quand elle doit en outre aller à l’usine ? Il est certain que la véritable tâche de la femme c’est celle qu’elle accomplit chez elle, et notre société perd grandement de sa valeur et de son âme en imposant aux femmes pour des motifs matériels la nécessité de travailler hors de chez elles ». Et ces appels catastrophés du Professeur Lertat-Jacob, représentant de l’ordre des médecins, nataliste à tout crin, se joignent aux plaidoiries de M. Debré pour une France prolifique.

Face à cette offensive, le mouvement féministe répond « Non, Debré nous ne te ferons pas d’enfants » et « Un enfant, si je veux, quand je veux ». Ce qui signifie : la bourgeoisie est nataliste, je refuse de satisfaire ses exigences, je veux faire ce qu’il me plait personnellement. Une des erreurs du mouvement féministe est donc de s’en tenir aux apparences, d’attaquer à travers Debré la politique nataliste du pouvoir. L’analyse marxiste nous apprend bien autre chose. Ce qui caractérise le pouvoir ce n’est ni le ministre Machin ou le président Truc, c’est le pouvoir d’une classe sociale : la bourgeoisie, qui se choisit tout à tour les représentants qui sont le plus à même de défendre ses intérêts. Si la fraction la plus nationaliste chauvine de la bourgeoisie représentée par Debré demande instamment aux femmes de rentrer chez elles pour faire des tas de petits français, pour défendre la permanence de la race blanche face à l’explosion démographique des pays dominés, la bourgeoisie au pouvoir, la fraction Giscard, défenseur des intérêts des monopoles impérialistes français, pense différemment.

Ce qui importe avant tout à la bourgeoisie c’est d’assurer son profit et donc de développer son exploitation. Pour cela, deux moyens privilégiés : d’une part, assurer la production au moindre coût et tant mieux si le statut précaire des femmes et des immigrés fait d’eux une main d’œuvre bon marché et entretiennent les divisions dans la classe ouvrière. Que ce soit des français ou des immigrés, que cela se passe en France ou à l’étranger, peu importe la couleur des prolétaires qui engraissent le capital français. Le capitalisme d’aujourd’hui comme le montre bien le capitalisme suisse, n’a pas forcément besoin de beaucoup de petits nationaux pour prospérer.

Le deuxième moyen d’assurer son profit c’est la guerre. Mais les techniques actuelles de la guerre impérialiste ne s’appuient plus ni sur le peuple, ni sur la supériorité numérique. L’importance de l’armée de métier, le développement des troupes de mercenaires, l’apparition de techniques de plus en plus sophistiquées nécessitant moins de main d’œuvre, rendent caduques les campagnes natalistes en vue de renforcer le potentiel militaire français.

C’est donc la recherche du profit maximum qui guide la bourgeoisie dans les orientations de sa politique vis à vis des femmes. Historiquement elle a toujours oscillé entre deux extrêmes. D’une part l’appel massif à la main d’œuvre féminine pour assurer la phase ascendante de l’industrialisation, la relève pendant les guerres ou le boom productif des années 1960. En effet, dès la fin du XVIIIème siècle les industriels commencent à vanter le travail des femmes connues pour leur docilité et surtout moins payées, et sur cette base le patronat organise la concurrence entre hommes et femmes : « Sans doute, (convient le baron Charles Dupin) on ne peut pas avec des lois attribuer aux femmes telle ou telle branche des travaux industriels pour en priver le sexe masculin. Mais par des instructions sagement combinées on peut répandre chez le sexe faible des connaissances et des talents qui créeront la concurrence la plus avantageuse entre le travail de l’homme et celui de la femme » [2].
D’autre part, dès que le chômage apparaît la bourgeoisie tente immédiatement de renvoyer les femmes au foyer. Et tous les moyens sont employés pour dissuader les femmes de travailler. Depuis les campagnes idéologiques assorties de mesures dissuasives, jusqu’à la contrainte pure et simple : décret instituant le chômage obligatoire des femmes dans toute la fonction publique dans l’Allemagne nazie ou, sauf rares exceptions, les femmes finalement n’étaient plus occupées, et souvent sans rémunération, que dans les formations à base politique, dans les fonctions sociales d’encadrement placées sous la dépendance du parti nazi, et dans les industries chimiques et d’armement.

Alors où en sommes-nous aujourd’hui en France ? Après un appel important au travail des femmes depuis la fin des années 60, largement repris par la presse féminine qui voulait l’émancipation par le travail, la stabilité économique et politique se trouve maintenant menacée par la crise et le développement du chômage. Pour résoudre ce problème la bourgeoisie s’est tout d’abord lancée dans une campagne pour contraindre les immigrés au retour au pays, elle tente de passer dans un deuxième temps à une vigoureuse incitation pour le retour des femmes au foyer à grands coups de pression idéologique et matérielle. Alors même que sont discutés l’éventualité du versement d’un salaire maternel et d’une prime substantielle pour le 3ème enfant, la campagne idéologique se déchaine : nous n’en prenons pour exemple qu’une déclaration tristement significative de Christian Beullac, ministre du Travail : « L’importance du nombre de femmes à la recherche d’un emploi est quand même un problème très particulier. Il semble que si la femme, mère de famille peut rester à la maison, c’est une bonne chose. Autant l’homme a pour vocation fondamentale de travailler dans les usines et les bureaux, autant une partie de la vie de la femme peut se passer ailleurs ».

La bourgeoisie n’est donc pas nataliste par essence. La politique vis à vis de la maternité est une conséquence de sa recherche du profit maximum. Certes, d’un point de vue idéologique, elle a tout intérêt à défendre la primauté du rôle maternel au sein du foyer. En effet, en tout temps elle fait faire aussi un travail gratuit. En outre, dans les périodes où elle a besoin de la main d’œuvre féminine, elle n’hésite pas à fouler à ses pieds, matériellement, la fonction maternelle de la femme tout en continuant à prôner idéologiquement le rôle maternel au foyer pour que le travail à l’extérieur soit considéré comme un « supplément » et donc soit sous-payé. Aujourd’hui, refuser de faire les soi-disant nombreux enfants que la bourgeoisie nous demande ne la gênera nullement. Par contre cela mutile déjà nombre de femmes qui les désirent sincèrement.

Nous ne devons pas attaquer la bourgeoisie nataliste mais sa politique familiale quelle qu’elle soit (nataliste, malthusienne ou autre) car cette politique familiale est toujours la résultante de sa course pour augmenter son exploitation. Soit la bourgeoisie exclue les femmes du travail productif les contraignant à l’exiguïté du foyer et à la dépendance totale par rapport à leur mari, sait elle les entraine à assumer en plus du travail gratuit (travail domestique, production et élevage des enfants) un travail salarié qu’elle pénalise car les femmes y sont sous qualifiées et sous payées, contribuant ainsi à accroître la concurrence et la division entre tous les travailleurs. Qu’il soit nataliste ou malthusien, le capitalisme ne peut qu’entretenir l’oppression des femmes.

Voyons maintenant plus précisément dans quelle contradiction le capitalisme place la femme qui veut à la fois son émancipation par le travail à l’extérieur et réaliser son désir légitime de maternité.

MERE DECHIREE ET TRAVAILLEUSE AU RABAIS

Autour de nous, on le voit bien, il n’y a pour ainsi dire plus de familles nombreuses, par contre de plus en plus de femmes ont une activité salariée. Et voilà ce qui fait crier Debré. Mais tout d’abord regardons la réalité en face : contrairement à des déclarations fantaisistes, il n’y a pas à proprement parler baisse de la natalité en France. Certes les familles sont moins nombreuses mais de plus en plus de couples ont des enfants, seulement ils n’en ont qu’un ou deux au lieu de quatre ou cinq. Il ne s’agit pas là d’une quelconque peur de l’avenir mais plutôt, d’une réponse bancale à la contradiction dans laquelle le capitalisme place les femmes : c’est soit la possibilité d’avoir plusieurs enfants mais l’impossibilité d’acquérir une indépendance économique et sociale par le travail salarié, soit la volonté de travailler à l’extérieur et l’impossibilité d’avoir plusieurs enfants. Aujourd’hui de plus en plus de femmes répondent par oui au travail et moins d’enfants. Mais la contradiction n’est pas pour autant résolue, elle est béante comme une plaie. Pour la vivre il faut payer le prix fort : accepter un travail harassant, sous qualifié, sous payé, mais un travail qui est la seule condition pour la prise de conscience de son oppression et la socialisation de sa révolte ; de l’autre côté accepter de faire des enfants c’est réaliser son désir de maternité, maternité déchirée, maternité mutilée ou incomplète, mais maternité quand même.

Certains tenteront de culpabiliser les femmes en disant qu’elles sacrifient le troisième enfant à la télé, au confort. Pour la grande majorité des femmes ouvrières le problème n’est pas là, c’est celui de leur droit au travail et à une certaine indépendance qu’elles ne veulent pas sacrifier. Si, quand les enfants sont petits, nombreuses sont celles qui voudraient rester avec eux plutôt que de les trimballer de nourrices en garderies, elles ont compris aussi que la femme doit travailler pour son indépendance et comme le disait une ouvrière de l’usine textile Defrenne à Roubaix : « C’est peut-être parce que j’ai toujours travaillé mais j’ai l’impression que puisque je gagne ma croûte, j’ai mon mot à dire ».

Les femmes n’attendent pas du socialisme la seule possibilité de faire de nombreux enfants en bonne santé comme cela a pu apparaître quelque fois de façon simpliste dans les projets, plans et déclarations de militants communistes. Nous ne pouvons nous reconnaître dans cette affirmation relevée dans les Cahiers du Communisme de 1946 sous la plume de Jean Berlioz : « Nous devons avoir des techniciens habiles, des ouvriers solides, des paysans robustes, des garçons et des filles intrépides, des soldats à l’œil clair et des mères aux hanches fortes ». Cette affirmation qui perpétue le partage des tâches : aux hommes la production, aux femmes la reproduction.

COMMENT RESOUDRE CETTE CONTRADICTION ? METTONS LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS !

On ne peut aborder de façon isolée, le problème de la maternité. Quand les féministes demandent « un enfant si je veux, quand je veux », elles coupent l’exigence d’un juste droit, de sa possibilité de le réaliser. Quand bien même la bourgeoisie pourrait nous accorder ce droit, la libéralisation formelle de l’accès à la contraception et à l’avortement, les femmes de la classe ouvrière et toutes celles qui sont opprimées n’auraient pas les moyens matériels d’accéder à ce droit. Si le travail d’usine reste ce qu’il est, les fausses couches seront toujours aussi nombreuses, si les conditions de transport, de logement restent aussi pénibles, si la vie est toujours aussi chère, si le 3ème enfant est toujours le signal du retour au foyer, si la primauté est toujours accordée au rôle maternel justifiant les payes minables, le manque de qualification, les pertes de salaire dues à « l’absentéisme », alors comment peut-on dire que l’on a obtenu un libre choix à la maternité ?

Nous voulons non seulement le droit de choisir mais aussi la possibilité de choisir. Et cette possibilité, ce qu’on appelle la réalisation effective du désir, le capitalisme ne peut pas nous l’accorder.

Replacer la maternité dans tout le contexte d’oppression de la femme c’est comprendre que la femme est engagée dans plusieurs rapports sociaux qui sont tous opprimants : le travail social, le travail domestique, la maternité, la famille et la sexualité. Mais ces cinq lieux d’oppression ne sont pas équivalents. Celui qui débloque tous les autres c’est la participation au travail social. Quand les femmes auront pénétré le travail social et la lutte politique comme individu à part entière et non comme roue de secours, alors se posera le problème du travail domestique, (pourquoi seraient-elles donc les seules à en avoir la charge) et la maternité (pourquoi celles-ci seraient-elles pénalisées alors que c’est un acte de production indispensable à la survie de la société). Si le travail domestique est réellement pris en charge par tous les membres de la société, si les enfants acquièrent une nouvelle autonomie, la femme n’aura plus cette place de second dans la société et de subalterne dans la famille. La famille bourgeoise, gardienne des rapports d’oppression patriarcaux éclatera et on pourra poser en termes beaucoup plus concrets, la lutte contre l’oppression sexuelle, liée à l’image de la femme-objet de plaisir, de la femme dépendante.

Mettre la charrue avant les bœufs c’est comprendre le rôle primordial que jouent les rapports d’exploitation, le rôle de la propriété privée dans le maintien de l’oppression des femmes. Tant que dominera la recherche du profit, les femmes seront pénalisées dans leur travail social et obligées à fournir un travail domestique gratuit, tant que dominera la propriété privée, se reproduiront au sein de la famille des rapports autoritaires de dépendance de l’homme sur la femme et des parents sur les enfants. Maternité et travail social seront toujours vécus comme un choix individuel, comme une aspiration impossible à concilier l’inconciliable.

POURQUOI CETTE LUTTE DE LIBERATION DE LA FEMME EST PRIMORDIALE ?

Parce que si la libération de la femme n’est ni souhaitable, ni rentable pour l’économie capitaliste, elle est par contre indispensable pour l’édification du socialisme. Mao disait : « les femmes sont la moitié du ciel et si cette partie du ciel reste sereine, les tempêtes révolutionnaires qui doivent balayer le monde se réduiront à de passagères ondées ». Et si l’on ne peut isoler la lutte pour la maternité libre des conditions générales d’exploitation et d’oppression, de même on ne peut réduire la libération de la maternité à l’abolition de la propriété privée et à la multiplication d’équipements collectifs.

La lutte pour la libération des femmes est importante aujourd’hui parce qu’en tant que lutte démocratique, elle concerne une large masse de femmes dont la mobilisation est un atout indispensable pour la victoire de la révolution. Elle est déterminante pour demain car comme l’a souligné Enver Hodja, secrétaire général du PTA : « Notre parti a toujours considéré et considère la grande lutte pour l’émancipation de la femme comme une partie constitutive de la révolution et de l’édification du socialisme, comme une condition sine qua non du développement et du progrès dans la vraie libération et dans la vraie démocratie ».

TOUTES LES FEMMES VONT-ELLES ETRE PARTIE PRENANTE DE CETTE LUTTE ?

Certes toutes les femmes en tant que femmes sont victimes du système patriarcal, et dans ce sens, elles ont toutes intérêt à terme à leur émancipation. Cependant malgré cette oppression certaines d’entre elles bénéficient directement ou à travers leur mari de l’exploitation capitaliste et à ce titre elles ne sont pas prêtes à perdre ces avantages actuels. Les femmes de la bourgeoisie ne sont pas prêtes à se mobiliser sur leur oppression et au-delà sur la disparition de toute exploitation. Par contre toutes les femmes qui sont exploitées et opprimées : femmes de la classe ouvrière, employées et femmes d’employées, paysannes, sont mobilisables dans cette lutte. Cependant seules les femmes de la classe ouvrière, qu’elles travaillent directement ou qu’elles soient contraintes au foyer à reproduire au moindre coût la force de travail de leur mari et de leur classe (les enfants) peuvent diriger la lutte. Seules, ces femmes peuvent avoir une vision claire du lien qui existe entre l’oppression et l’exploitation capitaliste, une vision claire de la nécessité de la révolution et de l’âpreté de la lutte idéologique et politique à mener contre les idées réactionnaires et patriarcales, qui bien après la révolution subsistent encore chez leurs compagnons.

Le socialisme que nous construisons devra permettre à la femme, si elle le désire, d’avoir les enfants qu’elle concevra sans que cela soit un handicap à sa participation au travail productif, aux responsabilités syndicales et politiques, à son action dirigeante dans la société. Le socialisme libérera la maternité non en lui reconnaissant droit de cité, en la glorifiant comme « fonction sociale » car la bourgeoisie l’a fait de tout temps. Il ne s’agira pas de faire prendre en compte la fonction maternelle, mais que les femmes, par leurs luttes fassent que cette fonction sociale cesse d’être « la leur » et deviennent celle de tous, de la société.

SEUL LE SOCIALISME PERMETTRA LA LIBERATION DE LA MATERNITE.

L’abolition de la propriété privée et de la recherche du profit maximum créera la base matérielle pour la libération des forces productives. Celle-ci sera utilisée pour le bien-être des masses et non pour le gaspillage ou les privilèges des bourgeois. Les bases matérielles pour libérer les femmes de l’esclavage salarié, domestique, des contraintes de la maternité et de l’oppression sexuelle existeront, encore faut-il mener une lutte aigue pour que ce qui devient enfin possible soit réalisé.

En effet si le changement dans l’infrastructure est une nécessité il n’est pas suffisant. Soyons vigilants contre les idées mécanistes comme quoi la libération des femmes découlerait naturellement de la destruction des rapports de production capitalistes. Il faut en fait une lutte soutenue des femmes, une politique conséquente du Parti du prolétariat, une priorité accordée à ces problèmes, un changement de mentalité chez les hommes comme chez les femmes.

Sans revenir ici en détail sur l’expérience de l’Union Soviétique qui a dans ce domaine innové donc essuyé les plâtres, le socialisme chinois et albanais a su tirer entre autres deux enseignements importants de l’expérience négative passée.
• Outre l’importance de la lutte idéologique à mener sous le socialisme, il est clair aujourd’hui que d’une part la collectivisation prime la mécanisation, c’est à dire qu’il ne faut pas attendre la création de milliers de cantines et de crèches, pour poser le problème de qui effectue le travail domestique. Dans le domaine de la maternité ce n’est pas attendre la création d’hôpitaux modèles, ou des congés maternité à rallonge pour poser la prise en main par la société dans son ensemble de cette réalité.
• Le deuxième engagement c’est que si les femmes sont motrices dans cette lutte, il ne s’agit pas seulement pour elles de faire ce qu’un homme peut faire, mais aussi de transformer ce travail productif tout en faisant faire aux hommes le chemin inverse : s’investir dans ce qui était jadis le domaine réservé des femmes et par là même contribuer à leur propre transformation et à la transformation de ce travail domestique.

Pour que les femmes ne se retrouvent pas dans la situation actuelle d’être forcées à concilier l’inconciliable (mère et travailleuse) il faut que la collectivité c’est à dire les hommes comme les femmes s’investissent aussi dans cette transformation.
Aujourd’hui grâce à l’expérience fantastique des socialismes chinois et albanais, grâce à la montée de la lutte des classes en France et notamment depuis 1968 on peut comprendre plus concrètement le socialisme que nous voulons.

Quelles mesures prendra le pouvoir socialiste pour la libération de la maternité et comment les femmes renforceront ce pouvoir en s’en emparant.

GARANTIR LE LIBRE CHOIX DE LA MATERNITE

Tout d’abord le nouvel état socialiste garantira sans restriction la liberté d’avoir des enfants ou non. Ceci par la diffusion massive de l’information, de l’utilisation et de la surveillance médicale de la contraception et par la liberté et la gratuité de l’avortement sans restriction aucune (délai, nationalité, âge...) Développement de la recherche pour améliorer les techniques de contraception masculine et féminine, liberté et gratuité de l’accès à ces méthodes. Pour les femmes qui désirent des enfants, développement de la recherche dans la lutte contre la stérilité des couples, soutien matériel et moral à la grossesse, développement des techniques d’accouchement « sans douleur », de naissance « sans violence ».

Il ne s’agit pas uniquement de mots ou de techniques, il s’agit d’un choix politique. Le capitalisme connaît déjà ou pourrait connaître bon nombre de ces méthodes qui visent à libérer la femme de certaines contraintes liées à la maternité mais il ne peut les développer massivement car cela lui coûterait trop cher et viserait à détourner vers les masses les profits qu’il s’accapare pour lui seul. Sous le socialisme cela reste un choix politique car il est certain que la masse de profit social sera attribué à ces recherches et à leur application ne le sera pas ailleurs.
Le pouvoir socialiste garantira en outre à toutes celles qui ont des enfants la possibilité de les élever dans les meilleures conditions. Développement des équipements collectifs (crèche, école, centre de loisirs) et de la surveillance médicale, emploi assuré pour les jeunes.

En mettant au service des femmes exploitées et opprimées toutes ses capacités, l’Etat socialiste est mille fois plus démocratique que l’Etat bourgeois qui ne donne aucun moyen matériel réel pour vivre les libertés maigrichonnes qu’il nous accorde. Seules les femmes de la bourgeoisie peuvent, dans une large mesure y avoir accès.

LE POUVOIR PROLETARIEN N’EST PAS NEUTRE

Le pouvoir prolétarien a comme responsabilité de guider la poursuite de la révolution dans tous les domaines pour assurer l’émancipation de tous. Il fait un certain nombre de choix politiques qui ne seront pas forcément immédiatement compris par tous car nous sortons de plusieurs siècles d’exploitation et de domination de l’idéologie patriarcale. Si le pouvoir prolétarien est répressif par rapport à ses ennemis de classe, il utilisera cependant vis à vis des masses la persuasion par la lutte idéologique pour que ces choix soient compris. C’est le rôle éducatif du Parti et cela passe par tous les organes démocratiques qui constituent le pouvoir prolétarien : comités révolutionnaires, comités d’usine, de quartier, etc. Aucune contrainte ne sera adoptée vis à vis des femmes qui ne suivent pas les incitations du Parti. Par exemple incitation à avoir ou non des enfants, incitation à avoir recours à la contraception plutôt qu’à l’avortement, incitation à l’utilisation des équipements collectifs pour l’éducation des enfants, etc... Concrètement cela signifie que, comme cela se passait en Chine où la politique du Parti visait à la fois à réduire le nombre d’avortements et le nombre d’enfants par famille, toutes les femmes pouvaient avorter sans subir de préjudice ni de discrimination, toutes les femmes ou couples pouvaient choisir le nombre de leurs enfants sans qu’aucune ne soient pénalisées par ce choix. Le Parti compte sur la justesse de son point de vue pour que les femmes qui en ont fait l’expérience développent leur conscience politique et donc leur capacité à diriger la lutte pour l’émancipation de tous et de toutes.

Cette situation est fragile et la victoire de la ligne bourgeoise au sein du Parti chinois a montré à quel point la bourgeoisie redevient rapidement coercitive, vis à vis des masses. Aujourd’hui en Chine capitaliste la campagne « un couple - un enfant » [3] se traduit notamment dans le district de Shifang par l’attribution d’une allocation santé pour l’enfant unique ainsi que par la gratuité au jardin d’enfant et de l’école primaire, par une priorité dans le domaine de l’emploi et des soins médicaux... Où est la maternité libre si le 2ème, 3ème ou 4ème enfant n’ont accès ni aux soins médicaux, ni à l’éducation gratuite et sont menacés de chômage, si leurs parents « seront redevables d’une contribution sociale plus importante » et s’ils auront des difficultés à trouver un logement, et pénalisés dans leur travail ?

LE POUVOIR PROLETARIEN S’APPUIE SUR LA LUTTE DES FEMMES OPPRIMEES ET EXPLOITEES.

Le pouvoir prolétarien n’est pas coercitif vis à vis de la masse des femmes parce qu’il prend racine parmi elles. Dans la mesure où il est réellement l’émanation de leur lutte libératrice, il ne laissera aucune d’elle seule face à ses décisions. Chaque femme est en régime socialiste une partie de l’état prolétarien. Comment cela ?

Le pouvoir de la classe ouvrière agit à travers une infinité d’organismes qui sont à l’écoute du peuple. Ainsi les organisations de quartier les organisations syndicales, les organisations de masse des femmes regroupent (avec tant d’autres) les femmes les plus actives. A travers ce réseau multiforme, le Parti qui regroupe les femmes et les hommes communistes est à la fois à l’écoute des revendications des femmes et de leurs luttes en même temps qu’il les guide, les épaule, les conseille pour qu’elles puissent avancer dans la résolution des contradictions encore existantes.

Ainsi une femme, mère célibataire ou non, qui désire avorter sera à la fois sûre de trouver une clinique et unes aide compréhensive, mais elle saura aussi que la venue de cet enfant sera une joie pour son entourage (famille, quartier, usine) et que tout sera fait pour que la collectivité partage et ainsi allège les contraintes de la maternité. La démocratie bourgeoise nous laisse la liberté de choix, prône la décision individuelle, mais nous n’avons aucun moyen de faire un choix qui ne soit pas mutilant. La démocratie socialiste, par contre, permet un choix individuel réel en même temps qu’elle oriente le choix : il y a fusion à terme entre les intérêts individuels de la femme et les intérêts collectifs, entre le bonheur individuel et le bonheur collectif.

Cette osmose entre le rôle dirigeant du Parti et le pouvoir des masses a permis qu’en Chine et en Albanie la question de la libération de la maternité ne soit ni repoussée à plus tard, car la demande était pressante et pouvait être entendue, ni cantonnée à une série de recettes du genre : développement des équipements collectifs.
La classe ouvrière qui fait la révolution, qui exerce sa dictature en participant aux organes d’élaboration et de décision, qui édifie cette nouvelle société en participant aux luttes politiques, idéologiques pour avancer vers le communisme acquiert expérience et conscience. En se joignant à ce combat dans les usines, dans les quartiers, dans les organes du pouvoir ouvrier les femmes de la classe ouvrière prennent conscience de leur propre oppression et de la nécessité de s’en libérer. Elles s’aguerrissent en entrevoient plus clairement ce que veut dire la libération de l’humanité et de ce fait revendiquant encore plus clairement le droit à l’égalité absolue qui leur permettra d’être partie prenante de l’édification de cette nouvelle société.

En imposant leur participation active à la lutte de classe, les femmes chinoises et albanaises ont refusé qu’on les aide avec quelques améliorations à mieux vivre, elles ont exigé - en même temps qu’elles s’imposaient dans la production et la lutte politique que la société toute entière et notamment les hommes s’investissent dans le travail domestique et la fonction maternelle. Elles ont lutté pour l’égalité des parents devant l’enfant (congés maternité et paternité, congés parentaux pour enfants malades...) pour le partage des tâches ménagères, pour que leur savoir, né de leur expérience, soit réinvesti dans les crèches, écoles, centres médicaux... afin que la collectivisation se fasse en fusion avec elles et non en opposition (prise en charge des enfants par des « techniciens » et rejet et mépris du savoir des mères), pour qu’enfin, toute période consacrée à l’enfant, grossesse ou soins ne soit pas un frein mais un élément d’activité et d’expérience sociale valorisante, pour l’accès à la formation et aux responsabilités politiques, syndicales, associatives.

La libération des femmes n’est pas un cadeau du socialisme, une fioriture, un mot d’ordre que l’on rajouterait par démagogie, elle est partie intégrante de la lutte pour le socialisme et l’avènement du communisme. Ayons toujours présent à l’esprit les enseignements de Marx qui conditionne le développement d’une époque historique donnée selon le degré de la progression des femmes dans la voie de la liberté et qui voit dans les rapports entre l’homme et la femme le niveau de développement de la société humaine. Il n’y aura pas de socialisme sans libération des femmes.

Demander la liberté de la maternité, ce n’est pas seulement exiger l’égalité avec les hommes ce n’est pas seulement revendiquer sa différence, c’est par la participation à la lutte des classes pour le socialisme modifier fondamentalement l’ancestrale division des tâches sur lesquelles s’est bâtie oppression et exploitation. Entre le Parti, avant-garde de la classe, et la masse des femmes, doit s’établir un lien de plus en plus fort. Plus la masse des femmes sera consciente de la nécessité de lutter pour sa libération comme élément d’émancipation de tous les travailleurs, plus la séparation actuelle entre celui qui dirige et celui qui est dirigé sera formelle, plus le pouvoir prolétarien se dissoudra dans les masses et plus l’Etat dépérira.

Judith Trepper

[1Mot d’ordre central du MLAC lors de sa dernière campagne

[2« Les femmes et le travail du Moyen Age à nos jours » Collectif, Editions de la Courtille 1975

[3Pékin Information 19/11/1979