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Pologne : qui se ressemble s’assemble

Pour le Parti N°45 - Février 1982

Faut-il soutenir les ouvriers polonais ? Le PC dit non, le PS et la droite disent oui. Mais cette divergence en paroles semble de bien peu d’importance puisqu’elle n’empêche pas PC-PS de gouverner ensemble, la main dans la main. Quant aux masses populaires et ouvrières de France et d’Europe, elles se sont peu mobilisées pour la Pologne. Beaucoup de raisons à cela. Peur d’une tension et d’une guerre avec l’URSS, attitude de la CGT et division du mouvement ouvrier, désorientation idéologique due aux échecs d’un certain « socialisme », réticences à sembler se mettre du même côté d’organisations aussi pourries que FO ou CFTC (sans parler du RPR et des patrons) etc. Et quand les grands moyens d’information braquent le projecteur sur le rôle des curés, les déclarations pro-capitalisme occidental de certains dirigeants de l’opposition polonaise, cela ne fait que renforcer la désorientation. Ira-t-on soutenir l’Eglise ? Le capitalisme façon occident contre le capitalisme façon pays de l’Est ? Non, ce n’est pas possible.

Aussi est-il important de bien montrer les raisons profondes que les ouvriers français ont de soutenir leurs camarades polonais. De montrer que notre solidarité n’a pas à voir avec celle, toute verbale d’ailleurs, affichée par la droite et le PS. De construire une solidarité effective entre ouvriers français et polonais.

Ce qui intéresse le PS et la droite, c’est de se servir du mouvement polonais au profit de la France capitaliste, au profit du pouvoir de la bourgeoisie française.

Ainsi, les Polonais sont de braves gens puisque leur mouvement affaiblit le concurrent impérialiste soviétique. Mais attention : qu’ils n’aillent pas jusqu’à nous demander de renoncer au commerce avec l’URSS ou, pire, de « mourir pour Dantzig ». D’ailleurs il faudrait aussi songer à ce que les polonais remboursent leurs 27 milliards de dollars de dette à l’Occident. Que ceux des Polonais qui comptent sur la bourgeoisie française pour les aider se détrompent donc. Les affaires avant tout. Elle veut bien se servir d’eux, mais pas les servir.

Se servir d’eux pour renforcer son influence sur le peuple français. Oui, là où il y a des Polonais fort sympathiques à la bourgeoisie française, c’est quand ils vantent le capitalisme occidental. Car ce qui intéresse au plus haut point la bourgeoisie, c’est de se servir de certains aspects de ce type, réels, du mouvement polonais, pour détourner les ouvriers français de la lutte et du communisme. C’est de leur dire : à quoi bon espérer mieux que ce que vous avez en France ? La vie en France ne vaut-elle pas mille fois mieux que la vie en Pologne dite socialiste ? (N’y a-t-on pas, en effet, des miettes du pillage impérialiste ?) Allons, tout va pour le moins mal possible pour vous. Plaignons, plaignons ensemble les pauvres ouvriers polonais qui n’ont pas votre chance. Et « retroussons nos manches » pour sauver ce cher capitalisme français de la crise.

Quant aux questions du pouvoir ouvrier opposé à celui des bureaucrates réformistes, des bourgeois dirigeants les entreprises nationalisées et l’Etat, etc. posées par le mouvement polonais : n’en parlons pas trop. Pas d’information là-dessus. Mieux vaut vanter seulement les monseigneurs évêques, le pape, etc.

Tout le soutien du PS et de la droite, ce sont des paroles, des soupirs hypocrites, au mieux la charité de quelques colis alimentaires (et encore). Pourquoi le soutien de ces « socialistes », de ces « démocrates » ne peut être qu’insignifiant ? Mais tout simplement parce qu’ils n’approuvent pas, au fond, le mouvement ouvrier polonais. Parce qu’ils ne peuvent pas l’aider dans ce qu’il a de plus pro¬fond : un mouvement révolutionnaire ouvrier. Parce qu’il n’y a pas grand-chose de ce mouvement qui les intéresse.

Notre position est autre. Tout en indiquant que nous ne partageons par les orientations générales données au mouvement polonais par la plupart de ses dirigeants, nous soutenons le mouvement ouvrier pour ce qu’il apporte comme contribution à la lutte de tous les ouvriers et exploités du monde. Nous ne considérons pas que nous ayons à aider charitablement les ouvriers polonais à rejoindre notre situation de pays « démocratique ». Mais que c’est à nous, ouvriers français, de rejoindre leur lutte pour organiser un large front prolétarien contre tous les capitalismes, de l’Est comme de l’Ouest.

Comme nous l’ont fait justement remarquer les camarades, nous n’avons pas assez développé cet aspect du soutien que nous apportent les ouvriers polonais. Notre propagande doit être beaucoup plus « la classe ouvrière polonaise aide la classe ouvrière française ». Parce que cette vérité fonde le soutien que nous devons apporter aux ouvriers polonais, et en détermine la nature.

En dessous du fatras idéologique pro-capitaliste, pro-Eglise, etc. des dirigeants genre Walesa, et à condition que nous grattions cette poussière, nous pouvons constater ce que nous apporte le mouvement polonais. Par exemple :

  L’affaiblissement, bien sûr, de l’impérialisme russe, qui trouve en Pologne, après l’Afghanistan, de nouveaux combattants dressés contre lui. Mais l’affaiblissement aussi de l’impérialisme occidental. « L’Ouest malade de la Pologne » titrait le journal patronal « Les Echos ». Les 27 milliards de la dette risquent de plonger de nombreuses banques dans la banqueroute. Autre titre : « Les problèmes liés à la dette semblent insolubles ». Les « alliés » n’arrivent pas à s’entendre sur des « sanctions ». L’Europe n’en veut pas. « Les Etats-Unis, dont les relations commerciales avec l’URSS sont dix fois moins importantes que celles des européens, soupçonnent leurs partenaires de vouloir sauvegarder un marché important en cette période de difficultés économiques mondiales, les Européens pour leur part, soupçonnent les américains de repousser l’idée des embargos céréaliers pour les mêmes raisons ».
Bref le moral des hommes d’affaires occidentaux n’est pas au beau fixe. Tandis que les ouvriers polonais diffusent aux peuples de l’Est comme de l’Ouest l’expérience d’une classe ouvrière debout, osant affronter les exploiteurs. Exemple qui contribuera à réveiller la classe ouvrière assoupie de vieux pays d’Europe comme la France.

  Exemple d’autant plus important qu’il s’attaque aux ennemis les plus sournois, les plus difficiles à démasquer, du mouvement ouvrier. A savoir les forces soi-disant pro-ouvrières des organisations réformistes genre appareils type PC, PS, CGT, CFDT etc. Le mouvement ouvrier polonais agit ici comme un révélateur des buts poursuivis par les dirigeants réformistes du type de ceux qui sont au pouvoir en France aujourd’hui. Buts qui sont de s’appuyer sur leur influence dans le mouvement ouvrier pour arracher des postes dirigeants à tous les niveaux de l’appareil d’Etat comme de l’appareil économique sans en changer la structure. A ce titre le mouvement polonais nous éclaire à nouveau, même s’il ne le voit pas encore bien lui-même, sur les objectifs de la révolution prolétarienne : transformer les rapports sociaux et abolir les classes et l’Etat, et non seulement changer le statut de la propriété et développer la production au profit d’une minorité dirigeante.

C’est en nous engageant nous-mêmes plus avant sur cette voie que nous aiderons le mieux le mouvement ouvrier polonais. Parce qu’alors nous combattrons ensemble pour des objectifs communs, et donc ensemble nous construirons une solidarité concrète.

Au contraire si le PS et autres n’aident pas les ouvriers polonais c’est qu’ils ne le peuvent pas. Parce qu’ils ne peuvent pas soutenir en Pologne ce qu’ils combattent en France. Exemples :

Ils ne peuvent pas soutenir la lutte pour les samedis libres en Pologne alors qu’ils imposent le travail le samedi en France avec les ordonnances sur les 39 heures. Ils ne peuvent pas combattre le régime Jaruzelski alors qu’ils approuvent son idée de « remettre les Polonais au travail ». Et qu’ils font comme lui en France. Mêmes discours, mêmes actes à l’égard de la classe ouvrière

Mauroy, visitant l’usine Chausson de Creil, s’entend dire par un délégué CFDT : « Pour nous ici, depuis 7 mois, rien de changé. Dans les ateliers, c’est toujours la course aux cadences, on licencie les intérimaires et on fait travailler à fond ceux qui restent. En dehors du bon vouloir de nos chefs, nous restons O.S. à vie. On entend parler des 39 heures, mais nous qui sommes en équipes nous continuons à rester enfermés à l’usine pendant 42 heures 30... » Et voilà que le « socialiste » répond (comme le « communiste » Thorez en 1945) : « Il faut avoir des gains de productivité. Il faut que chacun se sente mobilisé sur son poste de travail, qu’il en fasse plus. Il faut retrousser nos manches... La réduction du temps de travail ne doit pas être un encouragement à la paresse. Ce n’est pas la semaine des deux dimanches et demi que nous proposons ; ce n’est pas le ralentissement de la production, mais au contraire un meilleur usage des machines... »

• Qui se ressemble, s’assemble. Mauroy ne peut pas à la fois faire cette politique anti-ouvrière et être avec les ouvriers polonais. Il peut, et doit au contraire, sympathiser avec Jaruzelski sur ce terrain. Tout en faisant pression sur lui, en se servant du mouvement ouvrier polonais comme nous l’avons dit, pour tenter d’affaiblir le concurrent russe au maximum.

• Qui se ressemble, s’assemble. Les ouvriers de France s’uniront aux ouvriers polonais en menant eux aussi le combat dans lequel ceux de Pologne se sont engagés. Et pour s’y engager ils doivent, comme eux, commencer par balayer les appareils syndicaux et réformistes qui appellent à être « raisonnables », à « retrousser ses manches », à « sauver le capitalisme national », qui traquent les ouvriers combatifs, brisent les grèves, renforcent la police, chassent les immigrés, font accepter le chômage, développent les 3x8, le travail de nuit et le week-end, permettent les 130 heures supplémentaires à la discrétion des patrons, etc.

  Pas question de se ranger derrière la bannière impérialiste de Reagan et de la droite française qui développent une croisade impérialiste contre l’impérialisme russe.
  Pas question de se ranger derrière le PCF qui soutient la dictature militaro-fasciste de Jaruzelski.
  Pas question de suivre la voie de l’union nationale du PS et d’inviter avec lui les ouvriers polonais et français à regarder le capitalisme occidental comme meilleur que celui de l’Est.

Elargissons les rangs des ouvriers en lutte en rejoignant le combat de nos camarades polonais. Avec eux apprenons à nous donner les moyens de vaincre. Ce qui leur manque à eux comme à nous, c’est une perspective stratégique claire, une conscience politique éprouvée, l’organisation qui permettra la prise du pouvoir réelle par les ouvriers, un parti dirigeant. C’est parce que nous n’avons pas, ni les uns ni les autres, cette force indépendante du prolétariat que notre soutien mutuel est encore difficile. C’est cette force qu’il faut aujourd’hui construire, dans la lutte pour nos exigences.

Les ouvriers polonais nous aident dans cette voie parce qu’ils s’y sont engagés. Nous ne pourrons les aider en retour à surmonter les obstacles, nombreux, qui restent sur leur route que si nous entreprenons nous-mêmes de les surmonter. Reconstruire un parti ouvrier révolutionnaire, une force indépendante du prolétariat, un programme de société socialiste vraie, c’est par notre expérience mutuelle que nous y parviendrons.

La classe ouvrière polonaise est aujourd’hui dispersée, mais elle n’est pas vaincue. Son organisation et ses dirigeants d’hier sont brisés, mais le combat de résistance se réorganise sous des formes nouvelles. Les tractations en cours entre l’Eglise et le pouvoir fasciste ne l’arrêteront pas. Il faut s’attendre au contraire à une nouvelle radicalisation du conflit de classe. 1956, 1970, 1976, 1980-81, les ouvriers polonais n’ont jamais renoncé.

Mais nous, ouvriers de France, serons-nous plus forts pour prendre notre part de ces futurs combats qui mûrissent dans la vieille Europe ? Ou laisserons-nous les Polonais toujours seuls sur la barricade ?

Notre travail de militants de la cause ouvrière, dans les différentes organisations de masse où nous pouvons intervenir pour soutenir la lutte des ouvriers polonais doit viser à orienter l’activité non vers une quelconque « charité » mais vers l’élargissement des rangs des combattants de la cause de la libération ouvrière. C’est le renfort qu’attendent les combattants, aujourd’hui trop isolés, de Pologne.

  Combattons les Jaruzelski de chez nous
  Luttons pour pouvoir former librement des associations ouvrières sans monopole d’aucune sorte des syndicats et partis officiels et pour la libre activité de ces associations.
  Exigeons les droits démocratiques pour tous les ouvriers où qu’ils soient, immigrés ou pas, en France comme en Pologne.
  Refusons d’être plus exploités pour sauver le capitalisme de la crise. En Pologne comme en France, non au travail posté, au travail de nuit, le week-end, non à l’Union Nationale.
  Exigeons le retrait de toutes les troupes étrangères : russes hors de Pologne et d’Afghanistan, américains et français hors d’Allemagne, français hors d’Afrique, etc.

C’est sur des bases clairement combattantes, clairement orientées vers la satisfaction des intérêts ouvriers et populaires que nous construirons une force qui aidera réellement nos frères polonais, hors du magma réactionnaire, hypocrite et impuissant, des organisations bourgeoises et réformistes.

Charles PAVEIGNE