Archives > L’anarchosyndicalisme, un obstacle toujours actuel

L’anarchosyndicalisme, un obstacle toujours actuel

Pour le Parti N°7 Ancienne Série - Avril 1977

Depuis quelques temps nous assistons à une résurgence des vieilles idées anarcho-syndicalistes dans le mouvement ouvrier, principalement par l’intermédiaire de la CFDT - qu’il s’agisse des positions officielles du syndicat ou de celles des différents courants dits de "gauche" qui s’agitent à sa base - mais aussi par celui d’organisations - HR, PCR ou OCT - qui se prétendent marxistes léninistes mais qui développent en leur sein des déviations typiquement anarcho-syndicalistes.

L’Anarcho-syndicalisme (AS) n’est pas un phénomène nouveau dans le mouvement ouvrier français. Il s’est constitué dès le 19ème siècle et a connu son apogée en France au début du 20ème siècle. Sa recrudescence aujourd’hui n’a rien d’étonnant car, par certains aspects, le mouvement ouvrier se retrouve dans une situation similaire à celle d’alors :
  le triomphe de l’idéologie bourgeoise sur l’idéologie prolétarienne, qui était lié au début du siècle à la faible pénétration du marxisme dans la classe ouvrière, est aujourd’hui assuré par le canal des idéologues traîtres du PCF. Derrière leur phraséologie marxiste, les révisionnistes dévoilent chaque jour l’essence bourgeoise de leur politique, et les éléments les plus combatifs de la classe ouvrière qui cherchent une alternative au révisionnisme se retrouvent "spontanément" AS en ce qu’ils croient la révolution possible sans théorie révolutionnaire marxiste-léniniste.
  La trahison des partis se disant de la classe ouvrière (POF au début du siècle, PCF aujourd’hui) les a conduits à une conception et une pratique bourgeoise de la lutte politique du prolétariat qui se traduit par le crétinisme parlementaire et l’abandon dans les faits de la nécessité de l’indépendance idéologique, politique et organisationnelle du prolétariat par rapport aux autres classes.

Or l’Anarcho-syndicalisme prétend répondre à cette trahison et y proposer une alternative : comme nous le verrons plus en détail au cours de cet article, il canalise les éléments révoltés de la classe ouvrière vers une impasse réformiste bourgeoise en proposant :
. un but dévoyé : le socialisme autogestionnaire, au lieu de la dictature du prolétariat. Cette parodie de socialisme peut retrouver aujourd’hui un certain crédit car la plupart des AS refusent l’image de la dictature du prolétariat que leur donne l’URSS. Mais, fondamentalement, ils n’ont pas compris que la bourgeoisie a restauré son pouvoir en URSS et que c’est elle aujourd’hui qui exerce sa dictature.
. des moyens illusoires : face au parlementarisme bourgeois du PCF, ils prônent l’émancipation de la classe ouvrière par le simple développement des luttes de masse spontanées. Pour garantir l’indépendance de la classe ouvrière - perspective que le PCF a depuis longtemps abandonnée - ils fondent tous leurs espoirs sur une révolutionnarisation du syndicat où la "démocratie à la base", restaurée, garantirait d’échapper à l’emprise des chefs traitres. Sans comprendre que le syndicat ne peut pas remplacer le Parti dont la classe ouvrière a besoin. Sans comprendre que l’indépendance du prolétariat ne réside nullement dans l’indépendance du syndicat vis à vis de tout parti, mais dans l’indépendance de son syndicat et de son parti vis à vis de l’emprise bourgeoise.

En bref, toutes ces illusions spontanéistes et économistes trouvent un terrain fertile de développement sur la base de la trahison révi¬sionniste qui engendre aujourd’hui les mêmes déviations que celles que la trahison social-démocrate a provoquées hier dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi le développement par les marxistes-léninistes des principes et des méthodes de combat contre ces déviations est capital, afin de nous éclairer dans la lutte que nous avons à mener pour rallier les éléments sincèrement révolutionnaires de la classe ouvrière qui sont aujourd’hui sous l’emprise de l’anarcho-syndicalisme : car si nous savons que les meilleurs des éléments AS des années 1920 ont, comme Sémard et Montmousseau, fini par comprendre l’impasse que constitue l’AS.et contribué à l’édification du PCF, nous savons aussi que cette évolution n’est pas "naturelle" et évidente : que c’est bien parce que Lénine et la IIIème Internationale ont mené une lutte fraternelle mais intransigeante contre les éléments révolutionnaires AS que ceux-ci ont transformé leur point de vue ; qu’ils ont été amenés à reconnaître par l’expérience de la Révolution soviétique la nécessité du parti et de son rôle dirigeant ; qu’ils ont compris que l’étroitesse du point de vue AS, son mépris pour toutes les questions internationales - en particulier son indifférence à la lutte anticoloniale - débouchait naturellement sur les positions social chauvines face à la guerre impérialiste qu’ils ont eu enfin une plus juste appréciation du rôle du syndicat dans la lutte contre le capitalisme, et de la nécessité de sa liaison au parti du prolétariat.

Aussi, aujourd’hui nous nous devons de dénoncer et de combattre la servilité des opportu¬nistes qui poussent les éléments révolutionnaires désemparés par le réformisme, le révi¬sionnisme et l’opportunisme dans le mouvement ml, à chercher une issue dans l’Anarcho-syndicalisme.

Nous nous limiterons dans ce texte à une explication des positions de principes essentielles du mouvement communiste à l’égard de l’anarchosyndicalisme. Ceux-ci doivent en effet guider immédiatement, et sans plus attendre, la propagande de tous les communistes dans la classe ouvrière. Dans d’autres articles nous continuerons à aborder la question en la reliant à la lutte politique quotidienne, sous tel ou tel aspect particulier.

QUEL BUT : AUTOGESTION OU DICTATURE DU PROLETARIAT ?

L’une des caractéristiques de l’A.S. aujourd’hui est qu’il n’exerce pas son influence par le canal d’une seule organisation ou d’un courant solidement structuré - comme l’étaient par exemple les "syndicalistes révolutionnaires" du début du siècle qui constituaient une minorité organisée au sein des syndicats réformistes - mais qu’il se manifeste sous des formes apparemment contradictoires dans le mouvement ouvrier.

Mais, si les formes sont contradictoires, si les manifestations et les discours diffèrent en apparence, le fond reste le même. La référence au "socialisme autogestionnaire" reste la forme la plus élaborée du "projet de société" du courant anarcho-syndicaliste, qui aime opposer le "socialisme autogestionnaire, démocratique et décentralisé" au "socialisme bureaucratique, dictatorial et centralisé".

Ces idées ne datent pas d’hier. Elles se rattachent à la tradition du proudhonisme développée dans le mouvement ouvrier au 19ème siècle. En son temps, Proudhon dénonçait violemment les horreurs du capitalisme. Il voulait les supprimer... en gardant cependant ce qu’il y avait de "bon", c’est à dire la "liberté" bourgeoise et la "libre entreprise". La solution proposée était l’union des ouvriers en espèces de coopératives, qui devait leur permettre de devenir leurs propres patrons et d’améliorer ainsi leur situation. Mais pas question de prise du pouvoir par la classe ouvrière, pas question d’instauration de nouveaux rapports de production : l’objectif, c’était la petite entreprise autogérée dans le cadre d’un capitalisme "humanisé".

La réalisation des théories de Proudhon aurait abouti à ce que les ouvriers s’imposent à eux-mêmes les règles de la gestion du capitalisme. Devenus localement propriétaires des moyens de production par le biais de petites collectivités, ils auraient continué à produire pour le marché, dans le cadre de la concurrence et avec comme but la réalisation du profit de leur entreprise. Cette course au profit aurait entraîné les conséquences inévitables d’un régime de propriété privée et de production marchande : pour tenter de résister à la concurrence, aux crises résultant de l’anarchie de la production, les ouvriers auraient dû se soumettre - ou soumettre une partie d’entre eux - aux "solutions" du capitalisme : baisse des salaires, intensification du travail, chômage...

Outre que ce "socialisme"-là est utopique et qu’il ne pose pas la question de l’Etat, forteresse au service de la classe dominante, il est réactionnaire, parce qu’il entre en contradiction avec le développement même du capitalisme amené à socialiser la production, à concentrer de plus en plus les entreprises, à élargir la coopération et l’interdépendance des ouvriers de toutes les branches de la production. C’est l’idéologie du retour en arrière qui se cache là sous le vocable de "socialisme", c’est nier justement ce que le capitalisme a d’historiquement progressiste.

Or aujourd’hui les mots d’ordre "autogestion", "démocratie", "décentralisation", propagés par les dirigeants de la CFDT et repris par nombre d’ouvriers désorientés par la trahison du PCF et l’exemple négatif des pays révisionnistes - URSS en tête - ne diffèrent guère des théories proudhoniennes.
"Pour la CFDT, le socialisme se définit par l’autogestion, c’est à dire par la définition de nouveaux rapports de pouvoir qui permettent aux travailleurs , aux citoyens, et à toutes les collectivités qu’ils composent de s’approprier concrètement le pouvoir de décision. La socialisation des moyens de production et la planification démocratique étant deux conditions nécessaires à ce changement des rapports de pouvoir" (CFDT Aujourd’hui, Janvier/Février 76).

L’Autogestion c’est donc que les travailleurs - les citoyens - puissent "décider de tout"... dans un régime gouverné par les lois du marché, de la libre entreprise, en bref du capitalisme. Car ce qui est proposé, c’est un "socialisme de marché", opposé à un "socialisme d’Etat" : par le biais d’un contrôle localiste (sur la base de leur entreprise dont ils pourront élire les dirigeants) les travailleurs "décideront" eux-mêmes de la production des prix, des salaires, etc. mais dans le cadre d’une économie de marché.

De plus, ce « pouvoir de décision » sera le fait de collectivités de type corporatiste (regroupant les « intéressés » d’un même secteur : entreprises, services, etc.) dans lesquelles les barrières de classe auront disparu comme par enchantement. Ce qui veut dire que sous couvert de faire passer les intérêts de la collectivité avant tout, on fait passer ceux du prolétariat derrière tout ! Quelle "unité d’intérêts" peut en effet exister entre un patron, un ingénieur et un ouvrier ? Au profit de qui les contradictions se règleront-elles, à l’intérieur des "collectivités", et entre elles ?

Il y a bien quelques "actualisations" du rêve petit bourgeois proudhonien. Face au développement historique du capitalisme, on reconnait la socialisation des moyens de production.
Mais si ceux-ci sont remis à "l’unité de production" toutes classes confondues et dans le cadre de la production pour l’échange marchand, cela reviendrait concrètement à remettre le capital dans les mains des "travailleurs", charge à eux de continuer à le faire fonctionner... autrement dit à faire des ouvriers des actionnaires du capitalisme ! On parle aussi de planification démocratique. Mais ce qui est proposé, c’est que chaque collectivité négocie le plan avec un gouvernement "coordinateur". On retrouve là l’idée petite bourgeoise de la "démocratie pure" : chacun discute, le gouvernement "coordonne", et tout va pour le mieux. Quelle classe a le pouvoir, au nom de qui sont tranchées les contradictions ? Certainement dans "l’intérêt général" cher à la bourgeoisie et qui l’arrange si bien. Ainsi s’estompe la lutte des classes, il n’y a plus qu’un harmonieux orchestre qu’un chef, de gauche bien sûr, coordonne : l’Etat bourgeois, instrument de la dictature bourgeoise, est, bien sûr, resté aux vestiaires.

On parle encore de "nationalisation des secteurs clefs de l’économie" (mais pour ajouter aussitôt : "attention, nationalisation ne signifie pas étatisation", comprenne qui pourra). Mais un régime bourgeois peut fort bien s’accommoder des nationalisations, il en a fait les preuves (cf. PLP n° 6).

Le contenu de ce "socialisme" on le voit se situe dans la droite ligne des illusions peti¬tes bourgeoises de Proudhon. Et comme illustration de ces illusions nous avons aujourd’hui l’exemple de la Yougoslavie, « paradis de l’autogestion ».

Il est capital aujourd’hui pour les communistes de montrer qu’une telle conception n’est pas simplement utopique, mais que sa fonction est de détourner le prolétariat de la conscience que la seule issue à sa lutte sera l’établissement de la dictature du prolétariat. Car toutes ces idées "autogestionnaires" ont été présentes dans les luttes récentes de la classe ouvrière (Lip par exemple - voir PLP n° 1), qui en restent à l’espoir d’une victoire locale, partielle, durable, sans aller jusqu’à poser la nécessité d’un affrontement politique de la classe ouvrière dans son ensemble, débouchant sur les perspectives de briser l’appareil d’Etat bourgeois pour conquérir le pouvoir. Or l’AS précisément consiste à éluder sous tous ses aspects la question de l’Etat comme enjeu central de la lutte révolutionnaire du prolétariat : les AS les plus "à gauche", tout en refusant en paroles la perspective social-démocrate d’intégration à l’Etat bourgeois, retrouvent dans le vieux fond anarchiste qui leur a donné naissance, une méfiance systématique vis à vis de tout Etat.

Or Lénine, en 1901, stigmatisait déjà la stérilité de cette conception anarchiste dans le mouvement ouvrier en une synthèse de trois critiques essentielles :
1) incompréhension des causes de l’exploitation.
2) incompréhension du développement de la société qui conduit au socialisme.
3) incompréhension du rôle de la lutte de classe comme force créatrice de la réalisation du socialisme.

Les AS d’aujourd’hui retombent tout à fait dans les mêmes incompréhensions. Ils ne recherchent pas les causes de l’exploitation dans les rapports sociaux créés par le mode de production capitaliste et dans la division de la société en classes qui en découle. Ils nient que le prolétariat, engendré par le capitalisme, est la seule classe qui puisse réaliser le socialisme puis le communisme. Ils ne comprennent pas que tout Etat est l’instrument d’oppression d’une classe sur une autre, et qu’on ne peut supprimer l’Etat (instaurer le communisme) que par le moyen de la dictature du prolétariat, qui seule peut réunir les conditions du passage au communisme : développement des forces productives (à chacun selon ses besoins), élimination des inégalités, participation de tous à la vie publique, haut niveau de conscience, élimination des classes.

COMMENT ATTEINDRE CE BUT : PAR LA SEULE LUTTE SPONTANEE OU LA DIRECTION DE LA LUTTE PAR LE PARTI PROLETARIEN ?

Déjà, face à la trahison des sociaux-démocrates (SFIO) et des syndicats réformistes (CGT), les syndicalistes révolutionnaires du début du siècle, s’appuyant sur la Charte d’Amiens de 1906 (voir encadré) préconisaient le développement et la radicalisation de la lutte spontanée jusqu’à la fameuse "grève générale" qui mettrait la bourgeoisie par terre. Leur dégout des partis traîtres parlementaristes les avait amenés à la conclusion qu’il n’y a rien à attendre des partis quels qu’ils soient, et que la classe ouvrière ne peut compter que sur l’organisation syndicale pour la guider dans ses luttes.

Si aujourd’hui de telles idées renaissent, après avoir subi un recul dans le mouvement ouvrier grâce à la lutte ferme du PCF d’alors, selon les directives de la 3ème Internationale, c’est bien parce que le PCF traître d’aujourd’hui a frayé la voie de leur renaissance : en développant une politique bourgeoise sous couvert de défense des intérêts du prolétariat, les révisionnistes dégoûtent par milliers les ouvriers de "toute politique".

En proposant à la classe ouvrière de s’organiser dans une caricature de parti, ouvert à toutes les classes, reniant chaque jour davantage le marxisme, subordonnant les intérêts du prolétariat à ceux de ses prétendus "alliés" qui englobent jusqu’au cadre et au petit patron, le PCF renforce le dégoût de la classe ouvrière pour les partis bourgeois, ce que l’AS transforme négativement en un rejet de TOUT PARTI, indépendamment de sa nature de classe.

Aujourd’hui on voit nombre de militants ouvriers mettre tous leurs espoirs dans le combat spontané de la classe ouvrière, se fixer pour seul objectif de radicaliser, coordonner les luttes. Ecœurés par le révisionnisme et désabusés parfois aussi par l’expérience plus ou moins directe qu’ils ont pu avoir des groupes trotskystes et soit disant marxistes-léninistes, ils rejettent également le travail théorique, ne s’attachent par à élargir leur point de vue au-delà de la lutte ouvriers/patrons, à s’élever coûte que coûte à la conscience communiste.

Ils en viennent à revendiquer comme seule connaissance de la lutte des classes celle qui leur parait la plus fiable, la plus vérifiable, celle qui est issue de leur expérience directe et du lien avec les masses qu’amène leur pratique syndicale. Et de cette négation du besoin de la théorie (le marxisme-léninisme) et de sa fusion avec le mouvement ouvrier pour que la classe ouvrière puisse faire la révolution, découle tout naturellement leur anarchosyndicalisme en matière d’organisation, leur refus "pour le moment" de se poser vraiment la question de la nécessité du Parti. Leur refus de trancher si oui ou non seul un parti du prolétariat peut conduire la classe ouvrière à la révolution.

Il faut rappeler que ce thème de "l’indépendance syndicale" est vieux comme le mouvement ouvrier et aussi éculé que l’idéologie petite bourgeoise qui l’inspire. Déjà en 1906 avec la Charte d’Amiens. Déjà encore en 1921 les syndicalistes révolutionnaires français - pourtant admirateurs de la révolution russe - défendaient cette position au 1er Congrès de l’Internationale Syndicale Rouge. Arguant de la trahison des partis sociaux-démocrates occidentaux pendant la 1ère guerre mondiale, Monatte disait : "c’est toujours par le canal des partis politiques que s’est infiltrée la corruption dans les syndicats".

Et de préconiser une "neutralité" vis à vis de tout parti, totalement illusoire. Car dans le combat entre capital et travail, il n’y a que deux camps, et la politique des partis et des syndicats ne peut que refléter cette division : deux lignes, deux voies, deux classes.

Aussi les AS d’aujourd’hui qui prennent prétexte de l’absence d’un parti réellement prolétarien pour passer du refus de la dépendance vis à vis des partis bourgeois (PC, PS), au refus DE PRINCIPE de toute liaison syndicat-parti, retombent-ils dans les mêmes ornières que le mouvement syndical du début du siècle, avant la bolchévisation du PCF.

Ce qui fonde l’unité de la classe ouvrière, ce sont ses intérêts en tant que classe, face à la classe des capitalistes. Et ses intérêts sont la lutte contre l’exploitation et pour la révolution prolétarienne. Voilà le ciment de l’unité syndicale. Et voilà le fondement objectif de l’unité de combat entre le syndicat et le parti révolutionnaires. C’est parce que les intérêts de la classe ouvrière sont bien, au-delà des victoires partielles de la lutte quotidienne, d’abolir le capitalisme, qu’il faut unir l’organisation de masse combattant les effets du capitalisme (le syndicat) sous la direction de son organisation d’avant-garde qui saura l’amener à la victoire totale sur le capitalisme (le parti). Les communistes ne sauraient trop rappeler cette vérité que l’avant garde du prolétariat n’a aucun intérêt spécifique à défendre par rapport aux masses et que sa liaison étroite avec les masses se traduit en particulier par sa participation entière au travail syndical.

Aussi la séparation entre l’organisation de masse des ouvriers et son parti révolutionnaire - que préconisent les AS - sert bien en premier lieu la bourgeoisie, et maintient la lutte syndicale dans des limites réformistes qui ne lui permettent pas de se développer avec son maximum de force et d’efficacité. Toute l’histoire du mouvement ouvrier confirme que la puissance du mouvement syndical dépend de la capacité révolutionnaire d’ensemble du prolétariat, de la force de son parti révolutionnaire (par exemple la réunification de la CGT en 1935 qui s’est faite sous l’influence du PCF, alors parti prolétarien).

Mais les AS de renchérir avec la CFDT majoritaire : la conception léniniste des liens entre le syndicat et le parti a fait son temps ! A preuve : les liens bureaucratiques entre le PCF et la CGT n’amènent pas du tout la CGT à être "plus révolutionnaire" que la CFDT, loin de là !

Or, examinons de plus près la question :

Tout d’abord, ce que préconise la CFDT, c’est l’indépendance syndicale en tant que capacité à "produire son idéologie propre" (37ème congrès). Soyons sérieux. Nous en avons vu les résultats : le "projet de société" qu’est le "socialisme autogestionnaire" n’a rien de plus "révolutionnaire" que les propositions des révisionnistes PCF - CGT associés.

Ensuite, en attaquant la CGT sur le principe même de ses liens étroits avec le PCF, sur la théorie du "syndicat - courroie de transmission", la CFDT et les AS contournent précisément l’aspect principal de la question, à savoir : sur quelle ligne ? et par suite comment s’établissent les relations entre ce syndicat et ce parti ? Il est clair qu’en posant une telle question, la réponse n’est pas la même : encore une fois les révisionnistes trompent leur monde en revendiquant l’héritage historique du léninisme qu’ils ont trahi. Car du point de vue communiste, ce n’est pas l’existence de liens idéologiques, ni même organiques entre le PCF et la CGT qui est à remettre en cause, mais le caractère bourgeois de la politique révisionniste menée par ces deux organisations, ce qui conditionne la nature bureaucratique de leur fonctionnement interne et de leurs liens.

Aussi aujourd’hui la tâche des révolutionnaires est-elle de recréer de solides noyaux communistes dans les syndicats afin de promouvoir l’union la plus étroite de toutes les forces du prolétariat. Union des masses ouvrières combattant contre les méfaits quotidiens du capitalisme et de son avant garde qui conduit la lutte pour éliminer le capitalisme, qui fait de la masse dispersée une force unie capable d’agir à bon escient. Cette union, les communistes peuvent la réaliser parce qu’ils se montrent les meilleurs combattants, les plus dévoués et les plus fermes, et que les masses font l’expérience de la justesse de leurs propositions ; de la force de leur organisation, de la vérité du marxisme-léninisme.

Voilà comment se pose le problème des rapports entre "les chefs et les masses" que les AS mettent si souvent en avant pour masquer la nécessité d’une forte organisation de la clas¬se ouvrière. Ceci bien sûr au nom de la "démocratie à la base" qui n’est que le cache-sexe du pouvoir des chefs réformistes sur la classe ouvrière.

Voilà pourquoi nous appelions tous les ouvriers décidés à lutter pour la révolution, qui ont conscience de leurs responsabilités, prêts à se battre jusqu’au bout, à devenir les cadres communistes, les chefs, dont la classe ouvrière a besoin, en s’emparant du programme marxiste-léniniste ; à s’unir sur cette base dans une solide organisation, à créer le parti de la classe ouvrière. Nous les appelions à nous rejoindre pour cela.

LES ANARCHO SYNDICALISTES ET "LA POLITIQUE".

Est-il vrai que les anarchosyndicalistes sont indépendants des partis, de "la politique" ? Nous avons en fait, par ce qui précède, répondu que non. Et concrètement cela se vérifie : en fait, ils fusionnent avec les révisionnistes, soutiennent l’Union de la Gauche.

Soit qu’ils "boycottent" les élections de façon systématique : c’est prendre pour principe de laisser le champ libre à la bourgeoisie et particulièrement à ses représentants réformistes et révisionnistes qui peuvent ainsi plus facilement se présenter en représentants élus de la classe ouvrière. Les communistes opposent à cela la tactique d’utiliser y compris les élections pour favoriser leur propagande.

Soit, et c’est plus fréquent, qu’ils votent pour l’Union de la Gauche en disant : ce sera toujours mieux que la droite. C’est à dire que d’un côté l’AS prétend lutter durement sur le terrain économique, tandis que de l’autre il s’en remet aux partis réformistes, aux partis bourgeois.

L’unité de ces deux attitudes est que l’AS ne croit en fait qu’à la voie des réformes : lutte partielle après lutte partielle, stade après stade, extension des droits démocratiques.

Et il rejoint là au fond le PCF, à qui il s’oppose par ailleurs. Le PCF qui préconise ouvertement plus de libéralisme, de pluralisme, de libertés, etc., qui préconise l’accession au socialisme par la voie de "l’extension continue" de la démocratie, la sauvegarde des petits capitalistes, toutes sortes de réformes, et qui bientôt intégrera même "l’autogestion", modèle yougoslave, dans son programme. Il est tout à fait vrai qu’on peut caractériser Marchais à cet égard de nouveau Proudhon.

L’Anarchosyndicaliste pourra aussi bien d’ailleurs retrouver ses théories chez certains groupes qui se réclament du marxisme-léninisme, comme le PCR par exemple, qui fait de la lutte économique le moyen de l’acquisition de la conscience, pourvu qu’elle soit dure, violente (cf. Rapport Politique 2ème Congrès p. 51-52), et qui jongle avec le vocabulaire : "offensive généralisée", "vaste front de luttes", "tous ensemble et en même temps", "unité populaire", tout cela en abandonnant complètement les tâches communistes de propagande, lutte idéologique, construction et édification du parti.

Aussi nous devons poursuivre sans relâche, approfondir, développer la lutte contre l’AS en tant que finalement il favorise la domination de l’idéologie bourgeoise (réformiste et révisionniste) sur le mouvement ouvrier. Même si nous savons que bien des ouvriers AS sont des camarades qui se sont engagés dans cette voie en croyant sincèrement lutter contre le révisionnisme, des camarades qui sont dévoués au combat de la classe ouvrière, nous ne devons pas pour autant, bien au contraire, céder d’un pouce à leurs conceptions idéologiques et politiques fondamentales sous le prétexte démagogique de renforcer l’organisation.
Nous devons lutter contre le "sans partisme", appeler ces camarades à devenir des ouvriers communistes, des chefs révolutionnaires. Et nos tâches à leur égard sont de leur donner la possibilité de le devenir, la possibilité de s’emparer du programme marxiste-léniniste.

LA CHARTE D’AMIENS DE 1906 (Texte intégral)

"La CGT groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.

Le Congrès précise par les points suivants cette affirmation théorique :

Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.

Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme. Il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste. Il préconise comme moyen d’action la grève générale, et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes, qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté, la transformation sociale".