Approfondir > Déclaration de dissolution de la Rote Armee Fraktion (RAF)
Déclaration de dissolution de la Rote Armee Fraktion (RAF)
Déclaration du 10 avril 1992
Nous publions à titre d’archive ce document particulièrement édifiant sur les positions de la Fraction Armée Rouge d’Allemagne (connue aussi sous le nom de Bande à Baader). On y retrouve les illusions sur les prétendus pays socialistes, sur les dits "Pays du Tiers-monde", les travers anarchistes de "l’action par le fait", l’isolement gauchiste du militarisme... Jamais la RAF n’a été communiste, ce qui la distingue d’autres groupes armés, comme par exemple les CCC belges, avec qui nous avons pu mener un débat politique avancé... Voir https://ocml-vp.org/article643.html.
Néanmoins, ce document de la RAF mérite d’être conservé en archives, pour illustrer les positions de ce groupe armé.
Le BKA [1] de Wiesbaden n’a aucun doute quant à l’authenticité du communiqué de lundi de la RAF, par lequel elle annonce le renoncement aux attentats contre les hommes politiques et dirigeants économiques de la RFA.
A tous ceux qui se battent pour une vie digne, ici et partout dans le monde, et pour l’organisation concrète de cette vie. Là est aussi notre route. Des milliers de problèmes se posent à nous et exigent d’être résolus et qui, s’ils ne sont ni pris en main, ni solutionnés, mèneront l’humanité entière à la catastrophe. Problème nés du principe capitaliste, dont l’enjeu n’est que profit et pouvoir, y subordonnant les hommes et la nature.
Nous, la RAF, avons intensifié depuis 89 notre réflexion et nos discussions, et conclu que pour nous, comme pour tous ceux qui ont en RFA un passé de résistance, rien ne peut plus continuer comme avant. Il s’agit en fait de trouver les termes nouveaux pour une politique qui apporte les vrais changements pour la vie des hommes, et arrache à long terme, et pour toujours, des mains des oppresseurs le pouvoir sur les réalités de la vie.
Pour cela, il est nécessaire de revoir l’histoire de nos résistances, de réfléchir à nos erreurs, ou aux expériences importantes, et quelles incidences elles peuvent avoir sur l’avenir.
Le point de départ était :
1. Le fait que nous tous nous trouvions devant une situation complètement modifiée des rapports de force dans le monde : disparition des systèmes d’état socialistes, fin de la guerre froide.
Nous étions confrontés au fait que le projet de créer la faille pour une libération par une lutte internationale avait échoué. Les luttes de libération étaient dans l’ensemble trop faibles pour combattre un front si largement déployé de l’offensive impérialiste.
L’effondrement des états socialistes, dû essentiellement à des contradictions internes jamais résolues, a eu des répercussions catastrophiques pour des millions d’hommes dans le monde entier, et altéré tous ceux qui combattaient pour la libération de par le monde.
Mais cet état de choses a montré d’autant plus clairement à tous que la lutte pour la libération ne peut naître que de la conscience de l’histoire spécifique de chaque peuple, des conditions et buts authentiques. Et c’est de là que peut partir une nouvelle force internationale.
C’est dans les mêmes termes que les camarades du Trikont (Tiers Monde) ont contribué à la discussion, et qui travaillent là-bas à l’élaboration d’une toute nouvelle politique. C’est ce que nous ferons aussi, c’est pourquoi nous sommes en contact avec eux.
2. Nous avons dû considérer que, avant 89, nous avons mené une politique qui ne nous a pas rendus plus forts, mais plus faibles. Nous avons perdu le crédit de ceux avec qui une action commune aurait été possible.
Une des raisons principales a été de n’avoir pas été suffisamment ouverts à ceux qui, ici, étaient prêts à se lever, et totalement fermés aux autres.
Nous sommes conscients que nous devons chercher à élargir le mouvement, qu’il n’est plus possible de continuer à mener une guérilla et de décider seuls avec la confiance de ceux qu’on ne consulte pas. Nous l’avons certes formulé en d’autres termes, mais la réalité était autre.
Nous avions concentré notre politique sur l’offensive contre les stratégies de l’impérialisme, et c’est la quête de buts positifs immédiats qui a fait défaut, ainsi que l’acception d’une alternative à la société, ici et maintenant, D’autres acquis par la lutte nous ont démontré que c’est possible.
Les liens avec ceux qui nous étaient proches étaient en premier lieu conditionnés par l’offensive commune. Nous ne leur avons pas laissé la latitude nécessaire au développement de leurs propres valeurs sociales, dans leur vie de tous les jours. C’aurait pu être le point de départ d’une politique commune, rendant accessible et imaginable pour plus d’hommes -y compris ceux qui vivaient hors des différents ghettos de la "scène" - l’idée que l’impuissance glaciale contre l’impérialisme n’est pas inéluctable - à l’encontre des puissances de la nature -, mais qu’elle cesse là où les hommes réalisent où se trouve leur solidarité et quels sont leurs besoins.
Nous en avons tiré les conséquences et travaillé pendant deux années à l’élaboration de nouvelles définitions et interventions pratiques.
Nous avons alors espéré pouvoir créer de nouveaux rapports, et par là même les conditions nécessaires pour rendre possible une discussion et des perspectives communes englobant d’autres hommes, d’autres groupes.
L’erreur fut de ne pas faire connaître cette réflexion dans sa forme globale, mais par fractions, à travers déclarations et lettres. De même, ceci n’est qu’un commencement, et nous nous exprimerons bientôt de manière plus détaillée.
Après ces deux années, et depuis plus longtemps encore, nous est apparue clairement la nécessité de discussions communes, l’élaboration de contextes, de rapports entre différents groupes et hommes, là où ils vivent, compte tenu de leur quotidien dans cette société où l’urgence est de prendre en main leur propre situation et, ensemble, de chercher des solutions communes.
Nous pensons que de tels rapports peuvent devenir la force motrice de cette puissance d’en bas (ainsi la nommons-nous), et qui n’existe pas encore. Tant que cette alternative au doute et à la destruction ne prendra pas complètement forme dans ce système, le nombre d’hommes mis à l’écart, sans perspectives, et solitaires, le nombre de toutes les formes de suicide ne fera qu’accroître, sans parler de tous ceux qui continueront à cautionner le fascisme.
La conclusion de nos expériences et discussions montre qu’aujourd’hui, dans ce processus, la guérilla n’occupe plus une place centrale.
Nos actions ciblées d’exécution des têtes gouvernementales, et de l’économie, ne peuvent pour l’instant faire avancer les choses, car elles représentent une escalade qui nuit au renouveau attendu par tous. La qualité de ces actions amène certes la clarté de la chose accomplie. Mais elle n’est plus adaptée à cette époque où chacun est à la recherche de soi, et sur de nouvelles bases. Nous avons décidé de nous retirer de cette spirale.
Ce processus de discussion et de construction d’une nouvelle contre-puissance venue d’en bas inclut en priorité le combat pour la libération des prisonniers politiques, et après 20 années d’état d’exception, de torture et de destruction, leur droit à la vie et à la liberté.
Le ministre de la justice Kinkel a démontré, par l’annonce en janvier dernier, de libérer quelques détenus dont l’état de santé est incompatible avec l’enfermement, comme d’autres, détenus depuis très longtemps, que des fractions de l’appareil d’état ont compris qu’ils ne résoudront ni la résistance, ni les contradictions sociales en usant d’expédients policiers et militaires.
Ils anéantissent les détenus depuis 20 ans. L’annonce de Kinkel pose la question de savoir si l’état est prêt à sortir de son attitude destructrice à l’égard de tous ceux qui combattent pour devenir maîtres de leur propre vie et ne se plient pas à la loi de l’argent, et s’il est prêt à privilégier les intérêts et buts individuels au détriment du profit.
Nous suivrons attentivement avec quel sérieux le projet de Kinkel sera développé. Il n’a pour l’instant aucune conséquence visible, sinon que Claudia Wannersdorfer a été libérée, mais quelques mois seulement avant sa libération prévue. Tous les autres dont l’état de santé est incompatible avec l’emprisonnement - Günter Sonnenberg, Berns Rösner, Isabel Jakob, Ali Jansen - sont toujours en prison. Irmgard Möller, elle y est toujours depuis 20 ans.
Rien encore n’a été amélioré aujourd’hui dans les conditions de détention. Les 2/3 des interrogatoires menés pour Norbert Hofmaier, Bärbel Perau et Thomas Thöne ont des relents d’inquisition. Angelika Goder est menacée d’emprisonnement malgré sa maladie. A travers l’annonce de nouveau procès pour auditions de témoin principal continue à s’exprimer la soif de vengeance de l’état et l’objectif d’emmurer pour toujours les détenus.
Dans le "Welt", on formule avec modération la toujours vivace volonté destructrice du ministère de la justice de Stuttgart : d’après eux, il ne sera question de libération pour Günter, dont l’état est considéré depuis 15 ans comme incompatible avec la détention, que le jour où il se soumettra sans aucune résistance aux brimades répressives de la prison. « Détenu récalcitrant », parce qu’il est solidaire et garde le contact avec ses amis. C’est ainsi qu’ils s’acharnent contre sa libération.
Tout ceci est en grossière contradiction avec l’attitude du gouvernement qui semble, elle, réellement évoluer. Les détenus dont l’état de santé est incompatible avec l’enfermement, ainsi que ceux qui le sont depuis plusieurs années doivent être immédiatement libérés, tous les autres rassemblés jusqu’à leur sortie. A cet important carrefour, restons vigilants. Chacun pourra voir dans quelle direction partira le train. Ou bien la Fraction se fait une place dans « l’appareil », et elle sait qu’ils devront faire des concessions pour parvenir à des solutions politiques, ou bien ils resteront sur leurs attitudes provocatrices et bravaches.
Cela ne sera pas seulement visible à l’attitude de l’état vis à vis des détenus politiques. D’autres points chauds brûlent à ce carrefour, qui montreront rapidement quelle orientation sera suivie ; guerre ou solutions politiques.
Il s’agit à long terme :
• des luttes menées par les détenus sociaux contre les conditions particulières de détention, et d’emblée contre l’inhumanité de la prison. Non seulement les détenus politiques doivent sortir de l’isolement, mais personne d’autre ne doit y être placé. La notion même d’isolement doit être abolie.
• des luttes pour créer l’espace d’habitation et de vie pour tous ceux qui en sont encore privés aujourd’hui.
• de savoir à quel point les citoyens de l’ex-RDA seront broyés, tels des objets, dans l’engrenage du système capitaliste, ou s’ils pourront conquérir leur auto-détermination.
• de savoir combien de temps encore l’état attisera le racisme envers les réfugiés et les traitera comme des sous-hommes, afin de se soustraire lui-même à la responsabilité du chômage, des problèmes de logement, de la misère des vieilles gens etc... Combien de temps encore il enfoncera ces hommes dans la misère qu’il produit.
Que les flics protègent les fascistes et tabassent les antifascistes, qu’ils poussent les manifestantes à la mort, comme Conny Wissmann, qu’ils leur tirent dessus, comme il y a quelques mois à Francfort, qu’ils torturent les réfugiés à l’électrochoc, tout cela est depuis longtemps une réalité.
Que les soldats allemands se mettent à nouveau en marche contre d’autres peuples, que des états fascistes les arment et financent, d’ici, le massacre des populations, là sont les réalités, là sont aussi les questions.
La réponse à tout cela montrera à quel degré les solutions politiques sont envisageables ici.
Pour l’ouverture de cet espace politique, nous avons fait le pas en stoppant de notre côté l’escalade de la violence. Nous verrons bien comment se comportera l’état en réponse.
Et parce que personne ne le sait encore, nous déclarons que nous voulons protéger ce processus de discussion et de construction.
S’ils veulent, par leur valse de répression, anéantir ceux qui prennent l’initiative de ce processus, s’ils veulent continuer la guerre, qu’ils sachent que pour nous, la phase de modération sera révolue. Nous ne resterons pas spectateurs, nous agirons. S’ils ne nous laissent pas vivre, nous et tous ceux qui luttent pour une société humaine, qu’ils sachent que leurs élites ne vivront pas non plus.
Et même si ce n’est pas dans notre intérêt : on ne peut répondre à la guerre que par la guerre.
RAF 10 avril 1992
[1] BKA : Bundeskriminalamt – Office Fédéral de la police criminelle


